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Livre

"Si seulement elle savait" : Les amours interdites de Bedel Baouna

A la fois récit de vie et récit de mort, le roman de Bedel Baouna est saisissant d’émotion. Egalement récit de pratiques de vie « Si seulement elle savait  » est un drame social.

Ecrit à la première personne, il s’agit d’une courte biographie sentimentale de haut vol où l’auteur est à la fois sujet et objet ; « objet abject » au regard de la belle-famille, les parents de celle qui aurait été sa complice pour « le meilleur et pour l’absolu » si la mort n’en avait pas décidé autrement. .

Sujet du roman : la vie de couple qui s’achève au cimetière des jeux de pouvoir et de la fracture sociale.

En somme, c’est le roman de la lutte des castes en milieu congolais intra-culturel des « bords de la Seine. »

Ironie socratique ou je ne sais, tout de suite le sujet (l’auteur/narrateur), joue le pathos de l’autodénigrement. Des indicateurs de « condition sociale pauvre » sont alignés dans le discours, presque avec morgue. Selon lui, il aurait traversé nombre d’épreuves dans sa « misérable vie  » (p.9) et ne comprend pas pourquoi le sort continue de s’acharner sur sa personne.

Selon nous, pourquoi faire de son destin un trauma, voire une exception culturelle individuelle, étant donné qu’au Congo 99% de la société vit dans des conditions de fortune. (on devrait dire d’« infortune »), la totalité de la richesse nationale étant kidnappée par 1% d’individu.

Il ne reste pas moins que le sujet qui fonde le livre de Bedel est celui des « positions » que sa belle-famille considère que lui, Bedel, n’occupe pas sur l’échiquier social et par conséquent, lui, l’opportuniste, devait se raviser quand on a la prétention d’entrer dans une « grande famille ».

Aussi la potentielle belle-famille s’offusque qu’une telle « interaction » ait pu s’instituer entre leur parente et lui, Baouna, en dépit de sa « misérable vie ». Par conséquent cette belle-famille a la hideuse attitude de lui faire payer cher (en l’humiliant) la tentative d’avoir osé transgresser le tabou de la caste en se positionnant comme gendre.

Si on écoutait la belle-famille, Honoré de Balzac aurait qualifié l’auteur de « roturier, chasseur de dot  » qui trouverait place dans « La Comédie Humaine » aux côtés de Rastignac, de Rubempré, de Chabert, de Trompe-la-Mort...

Si seulement le frère de Gwladys Mindouli savait, il se serait abstenu de prendre de haut son interlocuteur et lui parler sur le ton de la suspicion méprisante comme par exemple en lui signifiant au téléphone : « Je te connais très bien, je te vois tous les jours à château rouge » (p.61) .

Entendez, « tu ne fiches rien dans la vie ; tu n’as pas de statut social. Tu ne mérites pas de vivre avec notre soeur. »

La vérité est que, en presque dix ans d’union libre, Bedel Baouna et Gwladys Mindouli Mays ont formé un couple-culte, sympathique, médiatique ; un couple dont la réputation est solidement établie dans la diaspora congolaise du « bord de La Seine. »

A l’image de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, Bedel Baouna et Gwladys Mindouli ont symbolisé, en une décennie, l’archétype du couple contestataire, protestataire « qui adule le débat », qui « prend position » sur la situation politique au Congo. En témoignent : les chroniques du premier sur Ziana TV, les vidéos sur Youtube du second. Comble de critique politique : les vidéos de Gwladys fustigeant les membres de la famille prédatrice de Sassou, notamment celle qui fut sa « bête noire » Claudia Leboumba Sassou, fille du condottiere d’Oyo, chargée de communication à la présidence.

Vous auriez vu l’éloquence de Gwladys dans ce document où elle disqualifie sans morgue les prétentions de Claudia d’être un personnage d’utilité publique au Congo. Claudia une icône ? Non, une pauvre conne.

« De fait après cette fameuse vidéo, Gwladys Mindouli May accéda au Panthéon du succès. Commentaires et articles sur elles abondèrent. Son exercice fut pris pour un fait d’arme. Ou un acte politique. » (p.p 43 et 44)

L’acharnement du sort

Tout semble bien se passer pendant neuf ans de vie commune entre Gwladys et Bedel. Puis : c’est « Le commencement des douleurs », peu avant l’été 2023. Ensuite, la date fatidique du 23 mai 2023 où l’imaginable se produit et où commencent certainement les éclats de joie des héritiers de Mpila se disant in petto « enfin nous voilà débarrassés d’elle ». Gwladys meurt. La vie de Bedel bascule. Dès l’incipit on mesure ce que Bedel considère comme un acharnement du destin : « Une fois de plus, en moins de deux ans le deuil m’a donné rendez-vous » ( p.9)

D’abord son père, puis son frère, puis sa compagne. Tous, des proches qui font une rencontre avec l’aiguillon de la mort.

La maladie de Gwladys

Il y a des signes avant-coureurs : « Inconscience, grosse fatigue, perte d’appétit. Et surtout l’agitation. Je remarque tout ça chez elle. Elle qui s’agite de plus en plus… » (p.10)

Bedel Baouna, garde-malade infatigable, omniprésent auprès de Gwladys apprend la terrible nouvelle, après-coup. Un coup de fil, tard dans la nuit, le réveille. Un neveu nerveux de Gwladys l’appelle : « Tonton Bedel, maman May nous a quittés à 22h 40. Tu viens ?  » (p. 14)
Bedel est invité nuitamment de se rendre au reposoir de l’hôpital d’Argenteuil.

« Comment me rendre à cette heure-ci à l’hôpital ? Je n’ai pas une seule pièce dans ma poche… sachant que le trajet Fosses/ Argenteuil revient à presque 90 euros en taxi, je ne sais que faire. »(pp14-15)

Dans l’impasse où il se trouve Bedel « tourne en rond  » (p15)
«  Le neveu me rappelle. Alors ? insiste-t-il. Je lui dis la vérité. Mon petit, je ne peux pas. Il reste silencieux. » (idem p15)
« Dans ce cas, rejoins-nous à Le Mee, finit-il par dire. » (ibidem p15)

Bedel (c’est là son (moindre) défaut ) n’a pas assisté à la «  transition » de sa compagne Gwladys. Ce jour fatal, il serait resté une heure à l’hosto, peut-être qu’aurait-il pu vivre le départ de sa bien-aimée. Le sort en a voulu autrement. Gwladys a-t-elle éloigné à dessein son cher ami pour mourir loin de ses yeux ? Mystère. Etrange métaphysique de la mort.

« Aussi loin que remonte ma mémoire, je n’ai jamais vécu cet instant où quelqu’un passe de vie à trépas. » (p.9)

Précisément, c’est cette absence à Argenteuil qui donne sens au reproche que lui fait la partie adverse. Ce « non-lieu » est un élément à charge qui pèse lourd dans le dossier monté par les beaux-parents alors que dans ce « récit de mort  » tout semble avoir été fait pour que « l’ami fidèle », Bedel, soit évincé du champ dans lequel se déroulent les derniers jours de sa compagne sur la terre des vivants.

Le livre raconte la longue et pénible période qui dure sept semaines dans une chambre d’hôpital à Argenteuil.

Le philosophe français, Henri Barbusse décrit l’agonie d’une femme à laquelle assiste son fiancé dans une chambre de pension. Dans le récit de la souffrance de Bedel Baouna, impossible de ne pas penser à la puissante narration d’Henri Barbusse.

Quand sa tendre moitié se trouve à l’article de la mort, Bedel Baouna ne ménage pas son imagination littéraire. L’auteur de « Brazzaville, ma mère » n’a pas de formules assez émouvantes pour écrire tous les sentiments qu’il éprouve à l’endroit de sa dulcinée appelée affectueusement « Mindos » (pour « Mindouli »).

On comprend Olga Ndinga, chroniqueuse à Ziana TV qui a qualifié la rhétorique de l’auteur comme « une ode à l’amour non fantasmé ».(Emission diffusée le 3 février 2024).

Olga Ndinga rejoint, de ce fait, Alfoncine Nyélenga Bouya qui, depuis Ste-Agathe à Bruxelles, a entretenu les flammes de cette idylle par sa présence sans faille notamment quand les douleurs ont commencé.

Malgré le départ fantasmatique de l’âme sœur, on ne reste pas âme-seule. Il y a les souvenirs. Il y a les rêves, canal par lequel les morts communiquent avec les vivants.

Le roman de Henri Barbusse s’intitule « L’Enfer  ». Bedel Baouna (c’est le moins qu’on puisse dire) a vécu, a posteriori, une situation infernale que s’est employé de lui faire subir la famille de sa bien-aimée Mindos.

« Le sentiment le plus proche de l’amour, c’est la haine » chanta Ntesa Dalienst. La haine est une chaine infernale. En effet.

Dès le passage de vie à trépas de sa tendre amie, se mettent au grand jour les hostilités de la famille envers Bedel Serge Baouna. Une méthodologie de l’irrespect s’instaure. Les interactions dans le champ de la veillée mortuaire se font sur le mode du mépris, de l’humiliation et de la haine. Une « rhétorique de l’irrespect », à commencer par le beau-fils, la sœur aînée, en passant par le frère venu de Pointe-Noire et « le chef de famille » s’instaure.

D’ordinaire, en temps de deuil, on enterre la hache de guerre. Mais ici, non.

«  Voyou ! Tu fais quoi à Fosses ? Dès l’instant où Gwladys est morte, tu aurais dû prendre tes cinq chemises – parce que tu n’as que cinq chemises dans cette maison- et dégage de là. » (p.61) une gentillesse du beau-frère qui n’a jamais supporté la cohabitation du couple dans la résidence de Gwladys à Fosses-Survilliers.

Et pourtant en Occident, à l’inverse de l’Afrique, la « virilocalité » n’est pas une règle absolue. Passons.

On note une conspiration de la haine. Le lieu des obsèques est vécu comme un enfer par le compagnon de la chère disparue. On pensait le malheur une occasion d’élargir, voire de consolider, l’amour entre les vivants et les morts, entre les vivants et les vivants. C’est mal connaître la nature animale de l’homme. L’anathème a été le seul et unique rapport que la belle-famille établit avec le gendre et les amis du gendre.

Ca s’est vérifié à Melun, à l’occasion du rassemblement funèbre au domicile de la sœur aînée et à Villeneuve Saint-Georges dans la salle de recueillement public.

Le pic des piques est atteint à Melun, au domicile de la soeur de la bru où se tient la veillée funèbre.

« …J’essuyais les larmes. L’humiliation était telle que je ne pouvais m’en empêcher. Alors que l’ingrate était assise sur le canapé aux côtés de ses visiteuses, l’une d’elle lui demanda qui était cet homme seul (en l’occurrence moi) au coin du salon. Elle fit semblant de consulter un message sur son portable avant de lui répondre « pose-lui la question » Mes yeux aussitôt s’inondèrent. En si peu de temps, me dis-je, elle a oublié que j’ai été le compagnon de sa sœur défunte pendant neuf ans ? Ô cruauté.  » (p73)

Cette scène où un « être est brisé » est le coup de grâce assené à une « interaction conjugale » dont on ne veut pas accepter l’existence.

Pour preuve, la famille de la disparue poursuit le beau-frère de sa haine jusqu’au cimetière au moment de l’oraison. Bedel et ses amis sont exclus de l’éloge funèbre. Tout se passe comme si, en enterrant leur parente, les membres de la famille tuent par la même occasion le conjoint. Ils le font symboliquement bien sûr, mais c’est la pire des morts.

Règlement de comptes

Les bons comptes font les bons amis. La question coule de source : dans « Si seulement elle savait  », Bedel Baouna aurait-il réglé ses comptes avec la famille par l’écriture ?

«  Si seulement elle savait » rend la monnaie de sa pièce à la belle–famille. Faut-il redouter des procès en diffamation ou une riposte épistolaire des « Beaux » ? C’est que la charge contenue dans le livre du gendre est cruelle.

Certes, d’entrée de jeu, l’offensive s’articule à fleuret moucheté. Mais à partir de la page 59, on bascule dans le propos féroce ; le tout, dans la pure dialectique de l’attaque et de la riposte. Du « coup pour coup ». La contre-attaque est une dimension des rites d’interaction quand il y a un défi. Ici en l’occurrence, l’ex-gendre a eu beau jeu de riposter sur le terrain de l’écriture car il a été profondément humilié.

« Le cognat cogne l’agnat » peut-on dire.

Beaux-parents

Depuis Sigmund Freud, nous savons tous que les beaux-parents ne sont pas toujours des bons parents. Les gens, les gendres ne sont pas tous des gentils. Pour des raisons fondées sur le mythe grec d’Œdipe on sait que la belle-famille peut s’avérer hideuse à cause de cette vieille interaction appelée jalousie. Donc depuis Abel et Caen, rien de nouveau sous le soleil lumineux de Satan.

Articulé comme un sujet douloureux, « Si seulement elle savait  » est un récit qui respecte la règle de la rhétorique esthétique.

On reconnaît un Bedel Baouna, orfèvre de la plume qui adore traquer le subjonctif, le paradoxe, la métaphore, la parabole, l’hyperbole, la métonymie, la litote, l’ellipse, l’apophtegme, bref, les figures de style. On a affaire à un Bedel Baouna qui confine dans ses derniers retranchements la mauvaise formule car le beau et l’esthétique rhétoricienne doivent avoir le champ large pour la clarté, pour le bonheur et pour le « plaisir du texte » (Roland Barthes).

En un mot, « Si seulement elle savait » est un texte court mais agréablement discourtois.

Thierry Oko

« Si seulement elle savait. »
Bedel Baouna
Les Lettres mouchetées 91p. Paris 2023, 14 euros

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