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Procès du Beach

A la douzième journée du procès des présumés assassins du Beach, l’opacité reste de mise

Où en apprend que l’armée de Sassou avait infiltré les camps des réfugiés de Mbanza-Ngungu en RDC. Ce à quoi les avocats de la partie civile ont argué que les enlèvements du Beach (donc les massacres) avaient été planifiés de longue date par les "vainqueurs " de la guerre du 5 juin 1997. Dans ce cas la thèse de la préméditation tient la route. Compte-rendu de la douzième journée.

Acte 12. Brazzaville. Le 3 août 2005. Cour pénale.

Tandis qu’avec hargne, le président de la cour constitutionnelle, M. Gérard Bitsindou, déclarait irrecevable la requête du bâtonnier Hervé Malonga du 25 juillet 2005 portant sur la nullité de nomination des juges chargés d’instruire l’affaire des disparus du Beach, un peu plus de 24 heures après, s’est poursuivi, à la cour d’appel criminel de Brazzaville, le procès sur cet épisode des réfugiés en provenance de Kinshasa disparus à leur arrivée à Brazzaville par voie fluviale.

Cette douzième audience, dite très critique et déterminante quant à la suite des débats n’a éclairé la religion de la cour que par la lumière d’un lampion. La pénombre qui voile les faits est encore épaisse. Les confrontations du jour n’ont pas été à la hauteur de leurs révélations et n’ont réussi qu’à soulever un angle du lourd voile qui couvre le champ très large qui va du Beach aux geôles de la direction centrale des renseignements militaires (DCRM).

Assis dans un fauteuil pour impotent poussé par deux infirmières, le dernier accusé à passer à la barre pour sa seconde audition, M. Edouard Ndinga Oba fait son entrée dans le prétoire à 15h27. Il vient de subir une intervention chirurgicale à l’hôpital militaire de Brazzaville.

Le président de la cour et sa suite font leur entrée dans le tribunal à 15h43. Sous la mitraillade des questions des avocats et des magistrats, l’accusé Ndinga Oba, commissaire de police à Ouenzé Mandzanza au moment des faits, très livide, s’abrite derrière les dénégations qu’il avait faites à sa première comparution. Il n’a jamais reçu aucun parent des Disparus dans son antre policier de Ouenzé 2 et n’a été mis au courant de l’affaire des Disparus du Beach que par voie des ondes et suite à sa convocation auprès du doyen des juges. Il ne connaît pas le commandant Vital Bakana, l’un des accusés, suspecté d’avoir conduit deux jeunes hommes, qui depuis sont portés disparus, dans son commissariat.

Me Ndzianitoukoulou, conseil des parties civiles, programme la confrontation du convalescent Ndinga Oba avec un certain Didas Bangui, officier de la police judiciaire et quatre autres personnes dont le maire de Makélékélé, M. Maurel Kiwouzou.

A 15h57, le président de la cour donne l’ordre au corps médical de faire sortir du prétoire l’ex commissaire de police. La cour est ainsi suspendue pendant 5 minutes avant de passer à la seconde phase, laquelle consiste à la confrontation entre témoins et accusés.

Les confrontations, annonce le président de la cour, sont organisées : « sur la base de l’extrait du plumitif. Le greffier en chef a recensé toutes les confrontations sollicitées par les deux parties (...). Certaines personnes ne seront entendues qu’à titre de simples renseignements. »

A 16h10, contre l’accusé Jean Eve Alakoua, commissaire de police au Beach en 1999, Me Ndzianitoukoulou sollicite l’audition de M. Bernard Bouékassa. Ce dernier argue que le rôle de la police frontalière ne se limitait pas seulement qu’à la palpation des réfugiés et aux fouilles de leurs bagages, comme le soutenait M. Alakoua. Les réfugiés de sexe masculin, suspectés d’être des Ninjas, sur la base de leur corpulence ou de quelques signes ostentatoires sur leur corps, étaient enregistrés, déshabillés, mis à l’écart et conduits en quelques endroits secrets. Le 14 mai 1999, répondant à l’appel du chef de l’Etat, à leur arrivée, deux enfants disparus jusqu’aujourd’hui, sont passées par ces pratiques dégradantes perpétrées par des hommes très froids et imperturbables en uniforme sombre dans les locaux attenants du port. Il affirme que c’est le 19 du même mois qu’il a appris l’exécution et l’incinération de ses deux enfants au bord du fleuve Congo, dans l’enceinte du palais présidentiel du plateau à Brazzaville, par les éléments de la garde républicaine. De ces trois enfants retenus captifs, un répondant au prénom de Ghislain aurait échappé au moment de l’exécution et vivrait actuellement en France.

M. Alakoua a continué de nier toutes les accusations qui sont formulées contre sa personne et a réaffirmé que sa mission était ponctuelle et ne se limitait qu’aux contrôles de routines faites à la traversée des frontières.

Un des aspects de la déposition de M. Alakoua soulignait qu’au Beach tous les services de renseignements étaient présents. Marcel Ntsourou, responsable des renseignements militaires, supplée au moment des faits par le colonel Clément Obouo a fait la requête à la cour d’auditionner ce dernier. A 18h10, celui-ci confirme les propos de M. Ntsourou selon lesquels il n’y avait pas de geôles à la DCRM, sauf celles dans lesquelles étaient transférés des combattants Ninjas et leurs auxiliaires capturés dans les zones de combats qui opposaient les forces gouvernementales aux miliciens du pasteur Ntoumi.

La séance est encore suspendue. A 18h30min.

A la reprise, à 18h40min, Me Nkounka fait la lecture d’une lettre de M. Obouo dont le contenu a laissé entendre que les services de renseignements de l’armée auraient infiltré entre 1998 et 1999 les camps de réfugiés congolais qui avaient fui la guerre de Brazzaville pour rejoindre le Bas Congo en R.D.C. Pour des raisons d’Etat, M. Obouo refuse de faire tout commentaire à propos de cette mission qu’il a effectué en secret pour le compte de l’état major général et craint que ces révélations n’empiètent sur les relations entre les deux Congo.

Prenant la parole, Me Ndzianitoukoulou émet l’idée d’une planification des enlèvements à la suite de la traversée du Pool Malébo par les réfugiés en soulignant qu’après quelques temps, Sita Bantsiri qui est accusé comme un mouchard de l’armée congolaise s’était aussi rendu dans ces mêmes sites, déjà investis par les éléments des renseignements militaires du Congo.

Dans le chahut entretenu dans le prétoire, de sa voix tranchante, Me Nkouka invite à l’audition de M. Sébastien Bayounga, alias Sergent Normal, qui fut pendant plus de huit mois prisonniers dans les geôles de la DCRM. Cet hôtelier de Matoumbou affirme n’avoir jamais eu comme codétenus des Congolais capturés au Beach de Brazzaville. Mais il confirme le séjours réguliers et par vague dans sa cellule des hommes à la fleur de l’age dont le nombre dépassait parfois la trentaine.

Mme Jeanne Ngoma, qui est l’ayant droit de ses deux enfants disparus à ce procès, affirme avoir rencontré M. Jean François Ndénguet à son domicile de Ouenzé pour solliciter une aide à la recherche de ses deux enfants retenus au Beach en mai 1999. L’accusé Ndéguet qui lors des précédents interrogatoires avait maintenu n’avoir reçu comme parents des disparus du Beach que le colonel Ntouanga argue que la visite de Mme Ngoma pourrait être vraie mais il ne s’en souvient pas car pendant cette période trouble, des centaines de gens se présentaient chez lui.

Vital Bakana, ancien Ninja, actuellement commandant de la police nationale, qui voue une haine particulière contre les Ninjas et dont l’exhibitionnisme est presque contagieux dans ce procès, accusé de surcroît d’être un indicateur à la solde de l’armée, a nié catégoriquement sa présence au Beach le 5 et le 14 mai 1999, malgré les affirmations des dames Collette Miankanda et Bazébizondza complétées par les allégations de Mme Bouékassa.

L’audience a été suspendue à 21h50min.

Keila Samuel
Brazzaville, le 4 août 2005

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