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Alain Mabanckou se confie à Blanchard Alice

Ouvrir la littérature africaine au monde entier

De passage au Salon africain du livre, de la presse et de la culture tenu du 27 avril au 1er mai 2006 à Genève, Alain Mabanckou a bien voulu répondre aux questions de Blanchard Alice.

Blanchard Alice : Vous n’êtes plus à présenter aux internautes de CP, mais je voudrais savoir ce que représente pour vous un salon du livre à Genève ?

Alain Mabankou :Un salon du livre ici à Genève est un moyen de pouvoir rencontrer d’autres écrivains, de pouvoir découvrir l’univers d’un pays, la Suisse, dont une partie est francophone. De ce point de vue, ce salon est important d’autant qu’il intègre un espace africain dans lequel on décerne également le nouveau prix Ahmadou Kourouma. Ce salon est pour moi une très belle découverte.

BA : Cette année, le salon a focalisé ses débats et ses réflexions autour de la connaissance et de la reconnaissance de l’Afrique. Pour vous cette connaissance et reconnaissance de l’Afrique passent par quoi ?

AM : Pour moi, connaître l’Afrique passe par la lecture de l’ensemble des savoirs de l’Afrique. La littérature est une grande partie de ce savoir. Si vous voulez connaître l’Afrique, il ne suffit pas seulement de lire l’histoire, mais il faut aussi lire, entre autres, tout ce qui concerne l’anthropologie, la sociologie, la philosophie, bref les sciences humaines et les sciences exactes... Il faut montrer aux autres que nous africains ne sommes pas seulement des objets de foire qu’on viendrait regarder avec curiosité. La connaissance africaine a autant de valeur que la connaissance européenne. Aucune civilisation n’est supérieure à l’autre. Remettons l’Afrique à sa dimension d’une des parties de l’ensemble des savoirs universels.

BA : Aujourd’hui, on reproche à certains auteurs africains d’écrire pour se faire vendre et plaire au public européen. Ne pensez-vous pas que nous sommes en train de perdre quelque chose dans cette connaissance et reconnaissance de l’Afrique, de sa littérature ?

AM : Ce sont des lamentations des gens qui pensent que dès qu’un écrivain africain émerge en France et dans le reste de l’espace francophone, forcement il devient suspect, vendu, à la solde de l’Europe - celle-ci ne cessera jamais d’être l’éternelle inculpée des individus en proie au désespoir et au pessimisme. Il n’est pas interdit d’être un écrivain libre et lu par un large public. Publier un livre c’est le proposer au public. Le paradoxe est que, tant qu’on ne vous lit pas, tant que vous n’avez pas assez de lecteurs, les gens bien, les perpétuels moralisateurs estiment que vous avez du génie, et que le monde ignore votre talent. Dès qu’on vous lit en grand nombre, la suspicion commence. C’est plus qu’un cercle vicieux. Or, à bien voir, les grands auteurs comme Gabriel Garcia Marquez ou Mario Varga Llosa ( http://www.americas-fr.com/litterature/marquez.html ) sont aussi des auteurs populaires. Ils maintiennent une exigence littéraire et une indépendance de créateurs même s’ils sont lus dans le monde entier. Je ne connais pas un éditeur français qui est venu me dicter ce que je dois écrire. J’envoie toujours mes manuscrits par la poste, sans demander une quelconque recommandation à qui que ce soit. Si les éditeurs refusent mon manuscrit, eh bien, je vais chercher ailleurs. D’ailleurs pourquoi viendrait-on dire aux écrivains africains : "Ecrivez ceci pour avoir de la célébrité" ? Les éditeurs français ne sont pas à la recherche des auteurs africains à qui on donnerait des sujets pour qu’ils commettent leurs fameux romans qui les rendraient célèbres. Quand un éditeur publie un livre, c’est parce qu’il l’a aimé. Il ignore si le public suivra. Sinon on ne publierait que des livres qui marchent. Or 90% des romans publiés en France ne marchent pas ! Et il faut savoir que ces éditeurs européens peuvent vivre sans les écrivains africains puisqu’ils ont leurs auteurs qui sont à l’affiche comme Patrick Modiano, Jean-Paul Dubois, Laurent Gaudé, Amélie Nothomb, Christine Angot, Michel Houellebecq etc. Si vous voulez par contre que la littérature africaine soit un ghetto - c’est-à-dire qu’on écrirait des textes qui ne seraient lus que par nos oncles, tantes et cousines - eh bien, faites donc cette littérature du recroquevillement et de l’escargot empêtré dans sa bave ! Quant à moi, j’ai toujours souhaité - sans pour autant vendre notre âme - que notre littérature soit lue même en Mongolie supérieure, au Japon, en France, en Colombie, à Porto-Novo. On ne doit pas se contenter d’une littérature cocorico, celle du palmier, de peaux de léopard, celle des masques, celle qui tournerait finalement autour de la case de son père au motif qu’il faut à tout prix défendre les racines africaines.

BA : « Verre Cassé » a été très apprécié par des gens venant de divers horizons. De ce point de vue, vous avez gagné votre pari d’un roman qui pourrait être lu partout. Il semble que celui-ci va avoir une suite. Pouvez-vous nous en parler ?

AM : Disons que ce n’est pas une suite, c’est un deuxième volet de cette écriture de recherche formelle. Le livre que je vais publier en septembre, « Mémoires de porc-épic », est un "livre posthume" du personnage Verre Cassé. Je mets les mêmes exigences dans la forme et je m’attaque à la fable, au conte en essayant de m’interroger sur les manières de raconter une histoire "féérique".

BA : « Mémoires de porc-épic » a-t-il été écrit avant ou après « Verre cassé » ?

AM : J’écris toujours deux livres à la fois et ça va surprendre. Mais le livre qui va sortir a été écrit avant « Verre cassé ».

BA : Par rapport à votre vie professionnelle, il y a aussi du nouveau !

AM : Oui, il y a du nouveau. J’étais à l’université du Michigan pendant 4 ans. J’ai reçu l’offre de l’université de Californie-Los Angeles. Je vais enseigner dans ce grand établissement à partir du mois de septembre.

BA : Vous êtes africain, vous enseignez la littérature africaine aux Etats-Unis. Qu’est-ce que cette expérience vous apporte à vous-même et aux étudiants que vous avez ?

AM : Je leur apporte la dimension humaine de l’enseignement, l’expérience de l’homme qui travaille le texte littéraire de l’intérieur en tant que créateur. Le professeur classique, lui, apporterait une théorie, forcément éloignée de la pratique, s’il n’est pas écrivain. L’université américaine concilie toujours la théorie à la pratique. Ce que les étudiants m’apportent, c’est la connaissance d’un autre monde, l’innocence de ceux qui ne connaissent pas toujours la littérature africaine et qui vont vers cette littérature pour essayer de comprendre le monde dans sa diversité.

BA : Avez-vous prochainement, des projets pour le Congo ?

AM : Je vais au Congo au mois de juillet, nous avons des choses à faire au niveau de la littérature. Il y a beaucoup de projets, dont celui de la bibliothèque de Ouenzé, projet qui est né à partir du blog grâce à Francis Le Hérissé - un Breton à la retraite et qui fait beaucoup de choses pour le Congo. Il faut s’occuper de la diffusion du livre et des savoirs à l’intérieur du Congo.

BA : Pour finir cet entretien, auriez-vous quelque chose à dire aux internautes de congopage.com qui vous connaissent bien puisque votre blog est sur le site ?

AM : Ah oui, c’est le blog de la polémique (rires) ! Ça me fait plaisir d’avoir un blog à Congopage. Dieu seul sait que je reçois beaucoup de coups des internautes ! Il faut rester serein, calme. C’est un privilège de recevoir des coups, cela montre que le blog marche. Je dois du respect à ces internautes quelles que soient leurs humeurs et leurs réactions. Continuez à fréquenter Congopage, continuez à réagir dans les différents blogs, pas seulement le mien, il y a d’autres blogs, notamment ceux de la rédaction et les forums animés par plusieurs intervenants.

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