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"Bouffer et dormir"

L’anecdote vraie qui suit est vraie, sert de trame à
ma réflexion cette semaine.

Appelons-le Tong. Personne ne s’est vraiment préoccupé
de ses vrais noms et prénoms. Un bar en faillite il y
a cinq ans dans mon quartier. Des travaux de
restauration menés tambour battant. Puis, à la veille
de Noël, la nouvelle enseigne : « Chez Tong Délices,
Restaurant chinois ». La curiosité nous y a conduit,
ensuite on a pris l’habitude.

Un de ces dimanches, j’attendais mon plat chinois, et
ne savais pas comment tromper mon oisiveté. Un journal
devant moi, de larges pages, et une écriture
spacieuse. En chinois ! Je feuillettai les pages en
véritable analphabète, regardant les idéogrammes et les
photos, notant des chiffres.

Dans un coin, des symboles caractéristiques
m’annoncent une météo, avec des –4° d’un côté, et des
+15° de l’autre. Qui sait, me dis-je, si la région
chaude c’est le Yhu Nan ou la Mandchourie, allez
savoir !

Je continue de feuilleter mon journal et tombe sur
l’avant-dernière page. J’y remarque ce qu’en jargon
nous appellons « l’ours » ; l’encadré qui comporte les
noms de l’équipe de direction et de rédaction du
journal, son adresse et ses numéros de téléphone… Et
je faillis m’évanouir ! En effet, bien en alphabet
latin, en « clair » comme qui dirait, figurait
l’adresse du journal… et c’est dans ma ville !

J’appelle Tong qui confirme, avec le sourire : « Oui,
c’est « Jade en Vogue », le journal de la communauté
chinoise d’ici » !

J’étais froissé dans mon inculture et dans mon
impuissance professionnelle. Je cherchai l’adresse du
journal et m’y rendais toutes affaires cessantes le
lendemain. Je découvris une équipe logée en
sous-soleil d’un immeuble quelconque, affairée devant
une dizaine d’ordinateurs.

Le Rédacteur-en-Chef avait le langage patient des gens
qui savent devant qui ne sait pas. Il m’expliquait que
leur journal existe depuis 1994 (« Huit ans ? me
dis-je ; et moi j’étais où ? je faisais quoi ? » !!!).
Le tirage ? « Oh !, nous sommes un petit journal, vous
savez. Nous ne tirons à peine qu’à 45.000 exemplaires
par numéro, trois fois par semaine » (Je signale que le
meilleur tirage additionné de Tam Tam d’Afrique et de
La Semaine Africaine, deux hebdomadaires du pays, ne
dépasse pas les 8.000 exemplaires !)

Je poursuivis mon investigation sur l’équipe, les
recettes publicitaires : les aides. « Les aides ? Nous
avons reçu 12 millions pour le lancement du journal,
puis six ordinateurs et un peu de matériel. Le reste,
on l’a acquis petit à petit ».

Vous auriez vu ce « reste » ! Un atelier d’impression
avec deux machines Heidelberg modernes ; un laboratoire
photo hyper équipé ; trois téléviseurs, dont un branché
en permanence sur Beijing News ; deux motos ; une
camionnette de livraison et un minibus pour la maigre
équipe de rédaction !

Le plus rageant pour moi fut d’apprendre que les aides
reçues provenaient non pas de la République populaire
de Chine comme je l’avais lâchement pensé,… mais de la
commune d’ici – « ma » commune ! Le Réd’-en-Chef
m’expliqua en effet que les autorités municipales
disposaient de fonds européens pour l’intégration des
communautés étrangères ! Moi, y compris !

J’en étais bouche bée. J’en suffoquais de rage, contre
moi et mes associations en accordéon ; mes
participations aux mille et une réunions de simples
manieurs du verbe…

Je vous rédige ceci car à mon dernier passage au
marché de Marcadet-Poissonniers, à Paris, j’ai été
pris du même sentiment de rage (contre nous) et de
honte. Les boutiques jadis aux mains des Ivoiriens,
des Sénégalais, des Maliens et même des Congolais bien
de chez nous, sont aujourd’hui propriétés de
Vietnamiens et de Chinois qui nous revendent le manioc
de Matongué, le safou de Mbalmayo, et le tylapia du
Cap-des-Biches (Sénégal) avec le sourire…

Dites : que faites-vous ? Que faisons-nous, à part
manger, boire, danser et baiser ? Quelle diaspora
êtes-vous ? – sommes-nous ? En quoi pensons-nous
développer quoique ce soit par le simple manger et
boire ?

Benda Bika

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