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Bush, Kerry, Ben Laden, les oiseaux et ta mère...

Le retour de Ben Laden ces temps-ci (aussi bien dans l’actualité que subtilement dans le roman de Salim Bachi, Tuez-les tous - paru ce mois dans la prestigieuse et très sélective collection La Blanche des Editions Gallimard ) me pousse à vous proposer ce texte que j’avais publié dans Africultures lors des élections américaines brouillées par l’Homme le plus recherché du monde...

L’Amérique a depuis redonné un mandat de quatre ans au Républicain George W. Bush. Le monde peut maintenant respirer. Et la chaîne CNN l’a crié haut et fort : “America has spoken”. Voilà déjà une chose de faite. Et puis, Ben Laden est au courant de tout du fond de la grotte où il se terre depuis des années. Il n’est pas coupé du monde, ah non ! Il avait même fait parvenir une cassette-video à quelques jours seulement de l’élection présidentielle américaine. Et pour signifier au monde entier qu’il était au courant des faits et gestes de l’humanité, il s’était permis de s’inspirer de certains propos de Fahrenheit 9/11, le fameux documentaire anti-Bush de l’Américain Michael Moore.
C’est donc dire que le barbu le plus célèbre de la planète n’est jamais coupé de la réalité. Aurait-il souhaité la réélection de George W. Bush ou plutôt du démocrate John Kerry ? Difficile à dire. D’un côté, il connaît George Bush, voire le papa aussi. De l’autre, il ne connaît pas ce Kerry. Et il vaut vieux connaître son ennemi qu’apprendre à connaître un nouveau. Surtout que ce Kerry a fait le Vietnam. Donc les grottes et autres retranchements à rats, Kerry les connaît à fond. De ce fait, tout me laisse à penser que le barbu le plus célèbre du monde devait jubiler dans son abri...

Républicains américains ou “républicains” africains ?

Bush a été réélu président des Etats-Unis jusqu’en 2008. En quoi cela changera ma vie ? Je n’en mesure guère l’impact. Peut-être à cause de la cécité qui me caractérise d’ordinaire lorsqu’il s’agit de scruter la politique. Disons que j’aurais au moins retenu qu’une campagne électorale américaine est une espèce de vertige collectif. C’est la manifestation d’une division entre les “Républicains” et les “Démocrates”. Il se trouve que les Démocrates se disent plus républicains que les Républicains et que les Républicains se disent plus démocrates que les Démocrates...

Les oiseaux dits "Républicains"

Je crois pourtant que le mot “Républicain” est africain par essence. Je me risque à révéler que les pays développés nous l’ont volé à l’époque où ils se livraient à des parties de safari dans nos forêts puisque, en Afrique australe, on appelle républicain une espèce de moineau qui édifie un nid collectif dans les arbres où se reproduiront plusieurs couples d’oiseaux. Et si ces êtres couverts de plumes étaient plus politiciens que nous, hein ? Kourouma avait donc bien vu en intitulant son livre “En attendant le vote des bêtes sauvages”.

Il ne manquerait à ces oiseaux africains que des bulletins, des urnes et des instituts des sondages. Mais à quoi bon cet arsenal puisqu’ils font déjà de la politique en s’occupant du destin des autres, de l’organisation de leur “cité” ?

Et dire que, pendant ce temps, nous nous battons à coups de machettes rwandaises alors que ces oiseaux de républicains prônent l’intérêt des peuples à plumes ! En plus ils n’ont jamais lu Le Contrat social, L’Esprit des lois, les oeuvres complètes de Tocqueville ou d’Ernest Renan ! Ces républicains à bec oeuvrent pour la communauté de leurs compères. Je me pose alors une question capitale : en quoi un républicain à plumes est-il différent d’un Républicain américain ?

Le premier, on l’a dit, est un oiseau soucieux de loger les couples de compères sans nid fixe. En plus cet oiseau altruiste n’est pas payé pour cela, il le fait par élan naturel depuis que le monde est monde. Or le Parti républicain américain date seulement du 19ème siècle. C’est dire que les républicains africains étaient déjà là. C’est dire qu’ils battaient leurs ailes. C’est dire qu’ils volaient d’arbre en arbre. C’est dire qu’ils s’activaient à pérenniser leur devoir : construire des nids pour les couples de leur espèce. Le droit au logement, ils en savaient quelque chose, ces oiseaux. Pas besoin de Ministère, de HLM des banlieues et autres tracas des politiciens à deux jambes...
Conclusion : les Républicains américains feraient mieux d’aller prendre quelques leçons chez leurs homonymes à plumes d’Afrique australe...

Bon, il ne faut pas charger les Républicains de chez l’Oncle Sam. Leur parti a été quand même fondé à partir d’un programme anti-esclavagiste, voyons ! C’est peut-être pour cela qu’après la Guerre de Sécession, ils eurent une longue période de domination sur les Démocrates : de 1861 à 1913, puis de 1921 à 1933.

N’allons pas si vite dans l’angélisme : le Républicain d’aujourd’hui est-il encore anti-esclavagiste ? Lutte-t-il pour la cause de l’opprimé ? Je ne crois pas.
Un exemple qui vient de très haut : en pleine campagne électorale, on a appris que le vice-président des Etats-Unis, Dick Cheney, qui est républicain - donc en principe philanthrope, soucieux des valeurs morales comme ses ancêtres républicains)- ce vice-président, qui vient d’être lui aussi réélu, avait jadis voté farouchement contre l’appel à la libération de Nelson Mandela. Et comme si cela ne suffisait pas, le même vice-président s’était opposé avec une énergie de désespoir contre la proposition d’une journée nationale à la mémoire du très charismatique et Prix Nobel de la paix, le Pasteur noir-américain Martin Luther King...

Et puis, consolons-nous, ces Républicains nous ont quand donné Eisenhower, Nixon, Ford, Reagan, Bush père et fils, voyons...

Démocrates ou défenseurs des cow-boys ?

Oui, et les Démocrates, hein ? Ne serais-je pas un peu trop allégeant à leur égard ? Y a-t-il aussi des oiseaux appelés démocrates dans la brousse africaine ? Je ne sais pas.

Dans mon pays tout le monde parle de démocratie. J’imagine le Démocrate comme un énarque, un type à la cravate nouée avec l’exigence d’un caporal-chef et qui pratique à tort et travers le subjonctif imparfait. Et puis, tout le monde dit avec béatitude : “Démocrate ? Mais le mot vient du grec dêmos (peuple) et kratos (pouvoir)...’’ On est heureux. On a l’impression qu’on a étudié le grec au séminaire. Donc dans une démocratie, c’est le peuple qui exerce la souveraineté lui-même. Ah bon ? Et pourquoi alors ce collège de grands électeurs, ces types qui doivent désigner le président américain, hein ? Vous votez, votre Etat gagne, votre Etat crédite un nombre donné de représentants à votre candidat à l’élection présidentielle. Tous les Etats n’ont pas le même poids. Le vote d’un habitant de la Virginie est ridicule face à celui d’un type qui habite sous les cocotiers du côté de la Floride ! C’est une autre forme de démocratie. Et puis, il n’y a pas de définition unilatérale de la démocratie. Le dictateur est toujours convaincu d’agir en démocrate et ne réalise jamais qu’il bascule vers la dictature...

Et le Parti démocrate américain ? Il est plus ancien que le Parti républicain. Pour caricaturer, je dirais qu’il défendait au départ les agriculteurs (Chirac serait-il un peu démocrate américain ?). Et puis, de l’agriculture à la démocratie il n’y a qu’un petit coup de houe à donner. On fait des sillons, on sarcle, on met en marche les moissonneuses-batteuses, on pousse la charrue avant ou après les boeufs, peu importe. Et puis c’est toujours gênant d’aller en ville avec des fringues qui sentent la bouse de vache folle et les godasses encrassées de fientes de mésanges.

Et voilà que ce parti démocrate américain qui défendait la houe, la graine, le pauvre cow-boy et son ranch, voilà donc que cet organisme prit le nom de Parti démocrate. Et puis, il y a eu cette fameuse crise de 1929. Il ne fallait surtout pas naître à cette époque-là, je vous dis. Les Démocrates avaient jugé que les pouvoirs publics devaient intervenir dans la politique économique et sociale. Le Démocrate américain tient à l’économie. John Kerry vient d’apprendre qu’un président peut être réélu même avec un bilan économique blâmable.
Et puis ce parti démocrate nous a donné Roosevelt, Truman, John F. Kennedy ou encore Carter et Bill Clinton...

Et puis, du jour au lendemain, ce parti n’a plus jamais prononcé le mot agriculture parce que, soyons sérieux, on ne gagne pas une campagne présidentielle américaine en promettant un poste de secrétaire d’Etat à un boeuf rachitique du Texas, voyons !

Une affaire d’oiseau

Et moi je me demande encore s’il n’y a pas d’oiseaux appelés démocrates quelque part dans la brousse africaine. Il doit bien y en avoir. Dans ces conditions, les rôles seraient bien répartis : les républicains construisant déjà des nids pour les couples en quête de logis, les oiseaux démocrates (à rechercher surtout dans la forêt du Mayombe) se chargeraient de nourrir les républicains en pratiquant l’agriculture.
Par conséquent, si on veut comprendre la politique américaine, il est conseillé de bien observer les oiseaux. Parce que la campagne présidentielle est la période idéale des chamaillades, des caquètements et des gazouillis. On se lance des noms d’oiseaux, on fait le pied de grue devant les artères en vue de proposer une passe à l’électeur. On traite l’autre candidat de pratiquer la politique de l’autruche, de ne rien voir comme une taupe, d’avoir tué la poule aux oeufs d’or en ruinant l’économie nationale, de jouer les oiseaux de mauvais augures, de n’avoir jamais pris d’envol etc.

Les Américains savent-ils que les oiseaux sont meilleurs politiciens que les hommes ? Est-ce pour cela que leur pays a fait de l’Aigle son symbole ? Voyons, ils n’allaient tout de même pas prendre pour symbole le l’oiseau-républicain de l’Afrique australe ! Le Parti républicain en réclamerait la paternité à chaque campagne électorale !

J’ai publié une version de cet article dans la revue "Africultures"(www.africultures.com)

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