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Coeurs de plaies

C’est comme si tout d’un coup nous n’étions que plaies et haines ! Et que chacun brandissait son moignon de vie à la face de l’autre, le coupable le plus exécrable, avec qui nous avons eu le malheur de partager jusqu’ici le même pays. Oui, c’est une rengaine, parce qu’elle tend à devenir dans nos vies privées et collectives, le fondement de tout. Plus rien ne se voit ; plus rien n’est plus rien. Seul compte moi !

L’affaire des Disparus du Beach nous ramène à cette gymnastique honteuse de relativiser les douleurs et de réécrire l’histoire. Tout le monde joue sa partition, comme si ces morts et disparus n’étaient que le prétexte de hausser le ton et d’enfoncer l’autre. Et entre nous, la France joue les Ponce Pilate : Ndenguet relâché au bout de quelques heures d’incarcération ; affirmations véhémentes d’un respect de l’immunité… d’un policier ; proclamations maintenant et toujours de l’exigence, à la Baule comme à Moungali, de la bonne gouvernance et des règles de droit.

A Brazzaville, la nouvelle marotte est dans le nombre : combien étaient-ils ces « fameux » disparus ? demande, incandescent le ministre Akouala. 353, vraiment ? Et de nous brandir six noms, prétendus retrouvés parmi les vivants. C’est vrai : réjouissons-nous de savoir que 6 des nôtres sont saufs (sains, je ne sais pas). Mais, n’y a-t-il pas indécence pour un gouvernement à soutenir, en quelque sorte, que ces six là sont un début ; que les 347 restants vont bientôt battre le pavé et applaudir à la démocratie d’un gouvernement qui s’est soudain souvenu qu’il devait (les) rechercher - chercher les raisons pour lesquelles ils ne répondaient plus à l’appel ?

On insinue même que ces morts, après tout, ne furent pas les seuls. Egalité de destins = égalités de traitement : l’oubli. Pas une voie pour nous dire comment, depuis 1999, on entend traiter le problème et nous donner les raisons de pardonner et (d’essayer) d’oublier.

Dans l’opposition, on tient le bon filon. Forts de la règle qui veut que n’est démocrate congolais que celui qui a perdu le pouvoir, on en rajoute ; on crie et on beugle : Sassou assassin ! Oui mais : pas plus qu’à Brazzaville, à Paris dans la diaspora, personne n’aborde les voies de vérité. Personne pour souligner que cette horreur-là n’avait pas à être. Et que, puisqu’elle est advenue, il nous faut faire bloc, pour qu’elle ne se reproduise pas.

Nous crions aux assassins dans un véritable jeu de pompiers-pyromanes ; jeu de rôle dangereux pour une coexistence qui explore les mauvaises voies et se préoccupe surtout de savoir quand ceux qui dirigent vont passer dans l’opposition, et ceux qui s’opposent prendront la place. Et pas par la voie de l’alternance. Au fait : sommes-nous condamnés à ne voir que les mêmes noms dans les mêmes palais depuis 1963 ?

Je sais quelques lecteurs assidus ici qui s’agacent de mes invites répétées à dépasser le tribalisme et le racisme. Je sais quelle lassitude provoquent chez certains tout thème qui touche au Pool - « toujours eux ! ». Je sais qu’on n’avance pas en répétant les mêmes maux. Je le fais quand-même, parce que depuis toujours - c’est à dire depuis 1959 - nous sommes la même bêtise.

Benda Bika

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