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Cyriaque Bassoka, producteur de musique

Notre inconscient collectif participe en partie des travaux que les producteurs d’artistes musiciens effectuent, parfois et même souvent, à la sueur de leur front. Cyriaque Bassoka fait partie de ces forçats de l’art bossant, malgré tout, avec des moyens de bord dérisoires , mais pour quels résultats ! Une vraie prouesse. C’est vrai que la musique congolaise est une richesse qui se dévalue de plus en plus en raison de l’inflation des groupes composés pour la plupart de dilettantes qui, pour reprendre Shakespeare, font « beaucoup de bruit pour rien ». Le mérite des producteurs c’est justement de ne pas privilégier certains talents au détriment des autres.

Cyriaque Bassoka : un producteur de musique qui sait anticiper sur les évènements

Après des études en sciences Po, diplômé en Droit International, rien ne prédisposait Cyriaque Bassoka au métier de producteur. Cette vocation lui est surtout venue grâce à sa rencontre avec Pamélo Mounka dont il déplora l’oisiveté à Paris après la période faste de L’Argent appelle l’argent, Amour de Nombakélé etc.

« Pourquoi ne reprends-tu pas tes titres ? » lui suggéra Cyriaque Bassoka. « Je te produirais » ajouta-t-il. Aussitôt dit, aussitôt fait. Pamélo rentra en studio et reprit du poil de la bête après les premiers succès. Il trouvera la mort à Brazzaville suite à un sale concours de circonstances dont, notamment, un diabète mal soigné et l’incurie du régime de Lissouba. On mit du temps pour faciliter son évacuation sanitaire en France. « C’est moi qui ai les dernières photos de Pamélo vivant » nous assure Cyriaque. De quoi exciter la curiosité du musicologue. Des images de ce monstre de la chanson peu avant sa mort ? Autant dire qu’il s’agit d’icônes, d’œuvres précieuses, des reliques pieuses pour un rite perpétuel chaque fois que le spleen nous gagnera. Culte de la personnalité ? Disons plutôt culte de la culture.

PAMELO, LA FIN

Pamélo, ultimes images

L’icône

Pamélo est né le 10 février 1945 à Brazzaville. Selon une biographie écrite de sa propre main, il composa sa première chanson à 9 ans, en 1954. En 1963, à 18 ans, ce compositeur au style si original chante dans Les Bantou, en 1964 dans Africa-Fiesta de Tabu Ley, puis en 1965 encore dans les Bantou. En 1973, il monte Le Peuple en compagnie de Nkoula Célestin et Mountouari Kosmos. C’est le trio Cépakos emblématique d’un mode d’arrangement jouant à l’excès sur la contre-mesure (pensez à Soso ya yambo ou encore à Mwana Mboyo). Cinq ans plus tard, après des pressions politiques, cet oiseau rare rejoint Les Bantou. Au début des années 1980 Pamélo décide de faire carrière seul à Paris en signant avec le producteur antillais Eddy Gustave. C’est l’apothéose avec L’argent appelle l’argent et Ce n’est que ma secrétaire.
En 1983, il fête ses vingt ans de carrière, enregistre avec Tabu-Ley. 1988, Pamélo tombe malade. En février 1989, il est évacué en France pour des raisons de santé par la présidence de la République. Il subira plusieurs interventions chirurgicales.... « Il y reste jusqu’à la fin de l’année 1990. » note un biographe.

BASSOKA & MOUNK’A

Pendant son hospitalisation, il rencontre un jeune promoteur Congolais, Cyriaque Bassoka. Les deux compatriotes décident de travailler ensemble pour la réalisation de l’album « D’ici l’an 2000 » qui sortira en France sous forme de LP et K7.

En 1995, sortie de deux albums « Les merveilles du passé » de Pamelo Mounk’A avec Les Bantous de la capitale . Le 16 janvier 1996, Pamelo Mounk’A décède au CHU de Brazzaville de diabète. Il sera enterré avec tous les honneurs d’un grand Monument de la Musique Congolaise.

Dernières photographies

LA PRODUCTION MUSICALE

Cyriaque Bassoka producteur congolais à Paris, comme Anyta Ngapi, "un ami de longue date" a su saisir les opportunités. Ce métier n’est pas une sinécure. Il quittera ses trop coûteux bureaux parisiens en faisant le choix de travailler dans la "structure molle" d’un cadre informel à Corbeil-Essonnes.

Question : comment procède-t-on pour re-éditer les anciens morceaux des groupes ? « C’est un secret professionnel. Disons que nous numérisons les bandes de l’époque. Au début nous cherchions à garder le son d’origine, les bruits de fond, pour conserver le cachet d’antan. Par la suite, le souci de la qualité sonore nous a préoccupés. On a donc augmenté et le niveau du son et la qualité musicale au moment de la re-édition »

Pourquoi avoir laissé aux oubliettes les morceaux du trio Cepakos ? « C’est la peur de ne pas rencontrer une demande ». Peur de ne pas vendre ?
Pour notre part nous ne partageons pas cette inquiétude car les amateurs qui attendent avec fièvre les tubes du trio Cépakos sont nombreux et, surtout, piaffent d’impatience. Les Cépakos nous ont laissé une leçon de musique. Gageons que leurs successeurs actuels(au lieu de plagier les mélodies venues d’outre-fleuve) gagneraient à fouiller dans cet héritage qui recèle tant de trésors. Encore faudra-t-il (à leur décharge) que quelqu’un songe à les re-éditer.

JOSE MISSAMOU, SPLENDEURS ET MISERES D’UN SALSERO

José Missamou, c’est le « latino » des Bantous de la Capitale. Le spécialiste de la salsa avait échoué à Abidjan après les splendeurs de Brazzaville. La représentation que le public a de ses idoles est souvent fausse. José Missamou, ce play-boy brazzavillois a enduré les pires galères vers la fin de sa vie. Repêché dans une capitale de l’Afrique de l’Ouest où il faisait du piano-bar, José Missamou s’est retrouvé à Paris avec un contrat d’Africando en poche. Peur de la concurrence ou simplement mauvaise foi, le leader d’Africando ferma la porte au nez du chanteur congolais lorsque celui-ci voulut bosser avec le groupe sénégalais. Mais on ne peut cacher la lumière sous le boisseau. Désoeuvré, José Missamou croisa, la route de Cyriaque Bassoka qui résolut de le faire entrer en studio avec d’excellents cuivres et pianistes cubains de la Havane. Ce fut le pied pour ce féru du wawanco qui venait d’être remis en selle. Mais quel challenge pour arriver à marier les choses ! Dynamique au début des séances de répétition, José Missamou se mit par la suite à les déserter. C’est que la maladie (un mauvais diabète) commençait à faire ses effets néfastes.

L’âme latino de la musique congolaise

Cahin-caha, le volume dans lequel interviennent les Cubains vit enfin son terme. Le mélomane peut savourer ces chef-d’œuvre dans « The best El Salséro de Brazza à Cuba » José Missamou n’eut pas le temps de mettre à exécution le projet de reprendre en salsa les chansons de Charles Aznavour. Après audition desdites reprises, Charles Aznavour donna son accord pour leur production. Mais le projet fit long feu. Vaincu par la maladie, José Missamou laissa à la postérité, juste, une maquette avec sa voix témoin. Un produit commercialement inexploitable.

EL WAWANCO

Né en 1945 à Brazzaville dans une famille de musiciens, José Missamou a fait ses premiers pas en variétés pop dans les boîtes de la côte ponténégrine. Ce choix lui joua à la fois un bon et un mauvais tours quand il se retrouva dans Les Bantous. Le registre de sa voix ne correspondait pas avec celui de la rumba basique à laquelle était habitué le public congolais. Il fut confiné à la salsa, le domaine qui sert de levé de rideau, en attendant le concert proprement dit. Braz Antonio, un autre monstre congolais (d’origine angolaise) de la salsa campait déjà au micro des Bantou. Le public eut du mal à départager ces deux maniaques du wawanco.
Missamou était un rebelle né (au sens positif du terme). Un dérapage alors qu’il était steward à la défunte compagnie aérienne Air Afrique le poursuivra comme la poisse lors de sa carrière à Paris. Il avait un casier. « On eut toutes les peines du monde pour ses papiers, à cause de cette vieille condamnation qui pourtant se solda par un non-lieu » soupire Cyriaque Bassoka.

Malade et sans papiers, José Missamou connut les affres de la solitude à Paris. Totalement démoralisé, le chanteur s’enferma dans une logique où la prise de son insuline ne semblait plus capitale à ses yeux. Epouvantée par son comportement suicidaire, sa famille résolut de le rapatrier à Brazzaville où il mourut peu après son arrivée. Dans l’isolement total.

Paradoxalement José Missamou a laborieusement construit son identité brazzavilloise dans son dernier volume où il rappelle avec insistance ses origines congolaises. Se sachant condamné, voulait-il inconsciemment donner des instructions sur le traitement qu’on devait réserver à sa dépouille, à savoir reposer sur la terre de ses ancêtres où il n’a pourtant pas beaucoup séjourné, lui que le métier d’aventurier de la salsa a entraîné vers les ailleurs absolus ?

PAPA KOURAND AU RANG DES PRECURSEURS

Kourand gère une tension entre tradition et modernité.
Ironie du sort, Kourand vit dans un pays, le Congo, où le courant électrique est une denrée rare. Cyriaque Bassoka productions s’est également intéressé à ce précurseur de la musique congolaise dont le sobriquet, en signe de respect dû aux aînés, est affectueusement précédé du substantif Papa. Ce joueur de sanza fit la pluie et le beau temps de Likémbé Géant avec Antoine Moundada. De son vrai nom André Nkouka, Papa Kourand est né un 10 novembre de l’année 1935 à Goma Tsé-Tsé. Dès 1943, il est encouragé par l’Abbé Batantou Barthélemy dans le chant religieux. Excellent premier second rôle, il s’est consacré à la rythmique qu’il soutient avec régularité tandis que Moundanda réalise ses solos.

La bibliothèque musicale

La sanza appelée aussi piano métallique est un instrument qui possède un diapason lugubre. C’est ce qui explique sans doute la joie qu’y mettent les joueurs pour établir un rapport dialectique entre les niveaux d’expression. Toutes les chansons de son album « Les merveilles de la sanza » exhument les vieux démons de la musique brute de nos origines. Sa voix cassée se superpose avec inquiétude sur les vibrations des lamelles d’acier de son étrange instrument repertorié exclusivement en Afrique Centrale.

Les déboires de la guerre (kimbonguila) l’ont poussé à se réfugier à Pointe-Noire où il chante sa terre natale Ngoma Tsé-Tsé et où dans une chanson testamentaire il aimerait être enterré à sa mort. Les thèmes chantés par Papa Kourand sont farouchement moralisateurs et, tout en regardant vers l’avenir, ces chansons n’ont de cesse de s’enraciner dans le passé qui, de toute façon, a tendance à être remis au goût du jour. Dans un monde qui tourne en rond, ça fait parfois du bien de se tourner vers le passé. Cyriaque Bassoka Productions a eu une idée géniale de ramener au goût du jour ce génie de la tradition musicale congolaise.

L’ECURIE CYRIAQUE BASSOKA

Les atouts du producteur congolais sont nombreux et variés. Parmi les poulains de Cyriaque Bassoka, on compte Rovias Adampoth, le rasta Saintrick, le bcbg Vital, le sportif Didace, Clotaire Kimbolo dit Kim Douley,Chairman Jacques Koyo : une écurie composée de nombreux étalons de mesure de la musique congolaise. Il a donné le meilleur de son répertoire dans un DVD de 18 clips.

L’option salsa de la roumba

Adampoth a fait du chemin depuis l’époque de Fuka Féza. Avec son look de crooner Rovias Adampoth campe sur la roumba congolaise à laquelle, à l’image de José Missamou, il a donné une connotation latino avec un brin de folklore gangoulou.

Dans le DVD (Le meilleur de la musique du Congo-Brazaville) , notre flair de mélomane avisé a repéré Rovias Adampoth, Vital et Saintrick, un triptyque dont chaque élément n’a rien en commun avec l’autre. Saintrick s’en est allé braconné sur les terres arides du mbalax sénégalais en jouant sur l’ambiguïté de la soukous, musique capable d’intégrer toutes les autres musiques. Rovias Adampoth (Getta) a revisité avec bonheur la salsa. Mon dieu, comme ses chorégraphies donnent un coup de vieux à la danse classique cubaine ! Cette façon de faire de la contre-danse sur un tempo déjà complexe a quelque chose d’agréablement ahurissant. Dommage que le montage ait été fait tout azimut, insistant peu sur les aspects iconoclastes de la vidéo, braquant la caméra avec abus sur la seule image du chanteur, négligeant les impressionnants pas de salsa des danseurs. Quand se mettra-t-on en tête qu’un clip DVD ne consiste pas en une bête reprise imagée du CD ! Or un DVD doit en principe renvoyer à autre chose que ce que nous martèle la chanson. Ce pêché, trop de réalisateurs le commettent.

Saintrick, un Congolais de Dakar resté attaché au terroir

La jonction du mbalax sénégalais et de la roumba congolaise

Saintrick est né le 11 Mai 1968 à Brazzaville au Congo. Chanteur Guitariste, auteur compositeur, interprète et arrangeur, il découvre la musique au début des années 80 à Dakar au Sénégal où il a grandi jusqu’à l’âge de 15 ans. Admirateur d’Ismaël Lô, son premier amour fût l’harmonica. Passant de la flûte à l’accordéon, il découvre la guitare à son retour au Congo en 1983 et en fait jusqu’alors son instrument de prédilection (stage avec les jazzmen Louis Winsberg, Marc Ducret, Sylvain Kassap). Il joue et tourne avec différents groupes brazzavillois (Jah Children, Africa Brass, Tambours de Brazza) et crée avec son frère Luc (Bassiste) son groupe « Les Tchielly » le 18 Août 1988.

VITAL, LA SCIENCE ET LA MUSIQUE

Vital dans Mutandis Mutatis a bien agencé son clip en invitant ses potes de Strasbourg St-Denis ( Paris) à donner une dimension « house » à la mise en scène. Les pas légèrement décalés des danseurs de son clip ajoutent une originalité à une expression corporelle dont on ne sait plus s’il s’agit du zook ou du ndombolo, à moins que ce ne fut une de ces inventions dont les « parisiens » (entendez la diaspora congolaise) ont le secret, une danse sans nom.

L’intelligent

Vital ne pourra tromper personne avec son look Bcbg : c’est un intello. Il cumule des diplômes dans les sciences dites dures comme la physique. On oublie souvent que la musique est la plus excate des sciences ; elle est fondée sur des lois mathématiques. C’est peut-être pour cette raison que Vital a réussi à en percer les mystères.

L’inénarrable Clotaire Douley

Il faut peut-être le rappeler, si Zao s’est fait connaître, c’est en partie grâce à Kimbolo Clotaire Douley, pilier du groupe mythique de Moungali, Les Anges.
Depuis, Zao a fait une carrière solo tandis que Clotaire Kimbolo s’est essayé en soliste dans des chansons à textes, avec plus ou moins de succès.

Clotaire Kim est un ange

Ce qu’il faudra retenir de Kim Kimbolo c’est d’avoir contribué à maintenir la tradition de la chanson congolaise en dépit de la traversée du désert des années 1997, années chaudes. Contre vents et marées, les frères Kimbolo et le groupe Les Anges ont tenu le cap et résisté à l’appel de l’exil. On leur doit une fière chandelle pour ce rôle de garant physique de la musique congolaise. Cyriaque Bassoka a également bien fait de leur donner l’opportunité de figuer dans son DVD "Le meilleur de la musique du Congo-Brazzaville"

Didace, l’héritier de Mounk’a

Pamélo Mounk’a n’a pas fait trop d’émules en raison de sa manière sophistiquée d’attaquer le tempo. Didace peut se vanter de passer pour l’un des rares disciples de Babingui Bemba Pamélo Yvon Mounk’a.

Du sport à la musique il n’y a qu’un pas

Reste que suivre la trace du maître ne peut se faire qu’à ses risques et périls quand bien même Didace fut un ancien champion natipnal en athlétisme. Il a en effet représenté le Congo aux jeux de Los Angeles en 1984 et de Séoul en 1988. Cyriaque Bassoka nous donne l’occasion de voir comment Didace s’en sort en se lançant sur le chemin de croix de Mounk’a.

CE CHER CHAIRMAN

Jacques Koyo alias Chairman ne figure pas dans le DVD ci-dessus mentionné. Chairman est à la chanson congolaise ce que Jean Herdern Allier était à la littérature congolaise : un empêcheur de tourner en rond. Mais surtout aussi un provocateur, voire un agitateur.

Le folklore comme base de travail

Sûr de sa maîtrise de la mélodie, Chairman s’en donne à coeur joie dans ses chansons où il puise tour à tour dans le floklore makoua/koyo/mbochi et dans les succès kinois du milieu des années 1960. Franco de Mi Amor est notamment revisité avec bonheur par l’égocentrique et tonitruant artiste brazzavillois, ancien militaire.

Post Scriptum

Cyriaque Bassoka s’est envolé cette semaine de début juin pour Dakar d’où il ramènera Saintrick et Zao. Une tournée française est prévue pour les deux artistes. Ecoeuré par les méfaits de la guerre sur les populations congolaises, Zao a réalisé un dernier album :"Aiguille", titre métaphorique pour une réconciliation nationale. Le disque sera bientôt dans les bacs. On se pique de savoir ce que vaut ce dernier né de l’auteur d’Ancien Combattant.


CYRIAQUE BASSOKA PRODUCTIONS

15 avenue Léon Blum

91100 Corbeil Essonnes

Tél : 06 80 52 31 66

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