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Détruisons

- L’Editorial de Benda Bika -

C’est une constance dans l’histoire de notre pays : les violences que nous nous infligeons, s’accompagnent presque toujours d’une rage de détruire. Détruire tout et tous : les hommes et les femmes ; les enfants, mais aussi les infrastructures, les symboles de la République comme les propriétés privées : tout absolument est cible d’une folie dévastatrice. De sorte que lorsqu’arrivent les retours de raison : nous sommes encore plus nus qu’avant. Tant pis !

Ne nous arrêtons pas aux idées reçues : une guerre déclarée, quelles qu’en soient les motivations avancées, est toujours une compétition de violences. Et donc de destructions. La violence qui évolue en guerre, on le sait, c’est avant tout l’affirmation d’une volonté sur les autres ; ceux d’en face, à qui on veut faire mordre la poussière. On le sait. Tout comme on sait que si ces éruptions, devenues cycliques dans notre jeune histoire, visaient des objectifs de défense de la patrie, c’est la patrie d’abord qu’il aurait fallu défendre.

Nos violences sont d’abord des violences ethniques. D’où la hargne que nous y mettons pour les rendre encore plus radicales, plus exclusives. C’est une compétition sans fin entre ceux qui possèdent « en ethnie » et ceux qui veulent posséder « en ethnie » aussi. Que cette ethnie soit identifiée comme telle ou diluée dans une aire géographique régionale, tous les coups sont permis. Ce sont les Nordistes contre les Sudistes ; les Tchèques contre les Nibos ; Lissouba contre Sassou ; Kolélas contre Lissouba.

On pille d’abord ; on brûle ensuite ; on casse et on tue enfin. Les séquences sont précises et ne laissent personne en plan : militaires « normaux » ; milices improvisées et forces supplétives de toutes dénominations s’y mettent avec ardeur : c’est à qui en fera le plus. Ne me faites pas le procès de rappeler que je répète ce que tout le monde sait. Ce que je veux stigmatiser c’est, en dehors de la compétition, l’idée sous-jacente des pilleurs : demain, on reconstruira plus beau, plus fort, plus durable !

Les sociologues nous diront demain les fondements de cette furie soudaine, de cette perte de raison. Mais on peut noter que depuis le renversement de l’Abbé Youlou, c’est toujours le même refrain : que nous importe de casser aujourd’hui, puisque demain nous rebâtirons ! Alors plus aucun symbole ne résiste à rien ; la vie est affaire de chance. Si au premier barrage on reconnaît un cousin et qu’on est reconnu par lui, ça passe, sinon ont est détruit. Qui n’a rien, est en danger ; qui a trop l’est aussi : pas de règle, rien que l’instinct du moment : nous rebâtirons.

Brazzaville est rafistolée aujourd’hui. Seuls quelques édifices (la toiture de Sainte Anne ; l’hôtel Mbamou Palace ; quelques immeubles ici et là à Poto-Poto) témoignent de la furie qui s’est emparée de nous en 1993 ; 1997 ; 1998 ; 1999. Nous avons effacé les signes de cette folie passagère, et nous vaquons à nos occupations. Plus personne ne se préoccupe de savoir comment juguler les causes d’une répétition toujours possible. Nous avons « reconstruit ».

C’est à dire que nous avons mis du sparadrap sur les signes visibles de ce déferlement, sur la vitrine la plus visite d’un pays qui traîne ses scories ailleurs, loin de la vue. C’est à dire que nous nous sommes donnés les raisons de ne plus réfléchir : que nous importe de savoir, si en apparence tout fonctionne ? Nos portables stridents grésillent à tout bout de champ ; les Western Union de la diaspora arrivent ponctuellement. L’électricité, l’eau ne sont fournies que 6 heures par jours ? Et alors, répond Sassou-Nguesso (Réponse à F. Soudan de JAL), même New York connaît des problèmes d’électricité, non ?

On me rapporte l’annecdote de ce Cobra qui, abattant un safoutier, réplique à son compagnon : « mais ce n’est qu’un arbre, il va repousser ! ». On me rapporte aussi cette autre d’un Ninja de Goma-Tsé-Tsé saccageant avec furie l’unique borne fontaine de la localité, et convaincu que « Tata Kolélas en fera construire une plus belle ». L’un et l’autre sont parfaitement congolais.

Tout comme le sont ceux qui, agacés par mes interpellations, n’ont rien trouver de mieux que d’appeler au meurtre. Attitude parfaitement congolaise : ce qui gène ne se combat pas, ne se contourne pas, ne se discute pas : ça se détruit. Car demain sera n’importe comment meilleur sans l’obstacle Mais demain, c’est toujours l’aujourd’hui de quelqu’un ; d’un Congolais.

Benda Bika

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