email

Echauffourée à Bacongo le 26 mai 2012

On s’est battu à Bacongo vendredi 26 mai 2012, violemment. Une brigade conduite par un colonel s’est livrée à une battue dans cet arrondissement, pour une obscure histoire foncière relevant du registre des biens mal acquis. Les insurgés ont tenu ferme. La presse locale s’est battue pour ne pas en faire état. Il est temps de paraphraser dans le contexte congolais un homme d’état français fraîchement élu : Le changement c’est maintenant !

RETROSPECTIVE

Il se raconte que pendant les massacres de Bacongo/Makéléké en 1998, un cobra qui avait cruellement sévi à Simou Djoué revint, le lendemain, seul sur les lieux du crime, afin de continuer le pillage. Mal lui en prit. La population du quartier tomba sur cet inconscient. Il paya pour tous les crimes commis par ses pairs. Les populations de Bacongo savent appliquer la Loi du Talion, surtout quand on en leur fournit l’opportunité. C’est ce qui a failli arriver à une escouade de cobras ce vendredi 26 mai à Bacongo, au croisement des avenues des Trois Francs et Simon Kimbangou (des noms de rue prédestinés à la résistance contre l’oppresseur)

Rendons grâce aux téléphones portables : la scène a été filmée par un amateur. Les images sont sans commentaires. Le document commence par la séquence d’une foule de jeunes de Bacongo en train de conspuer des hommes en uniforme. Ceux-ci, armés jusqu’aux dents, battent en retraite en tirant en direction de la foule. Dans la foulée, ces hommes en armes entraînent avec eux un adolescent habillé en rouge en lui assénant des coups de matraque sur le dos et sur la tête. Le plan qui suit montre le jeune homme en rouge affalé au milieu des militaires équipés comme pour réprimer une émeute. L’adolescent en rouge (dormeur du val) est immobile. Que lui est-il arrivé ? A-t-il perdu connaissance ? Ou, pire, a-t-il perdu la vie ?

Le cinéaste amateur continue de filmer ce qui a tout l’air d’être une échauffourée entre forces de l’ordre et civils. Le document sera remis à la chaîne de Me Massengo Tiassé.
Des pierres volent en direction des militaires. On dirait un début d’intifada comme en Palestine. Des airs déjà entendus au cours d’autres mouvements sociaux sont entonnés : "Ba honda kwahou" (mourir ne nous effraie pas). A un jet de pierre de là se trouve un hôpital. Les coups de feu traumatisent les malades qui ne savent plus à quel saint se vouer. Pour certains patients, les coups de feu sonnent comme des coups de grâce. Insupportable.

Les raisons de la colère

Mais que s’est-il passé pour qu’on en arrive là ? Un colonel, semble-t-il, à la tête de plusieurs « éléments » de l’armée serait venu déloger une famille d’une parcelle qu’il aurait (lui l’officier supérieur) achetée.
La méthode employée pour exproprier énerve alors les riverains. Les jeunes, dans un mouvement spontané, protestent avec véhémence. Vu l’âge des manifestants, beaucoup parmi eux n’avaient même pas dix ans lors des massacres de 1998. La mémoire collective leur a transmis les récits des combats épiques des Ninjas contre les Aubevillois et autres Cocoyes de Lissouba ainsi que les scènes des razzias de 1998 commises par les Cobras. Or Bacongo a une tradition des barricades. Il suffit d’une étincelle pour réactiver le volcan éteint.

Depuis la fin de la guerre du Pool, les policiers se comportaient dans les quartiers sud comme en terrain conquis. Ce qui était le cas puisque c’est à coups de baïonnettes que les vainqueurs de Lissouba/kolélas ont fait régner l’ordre dans Brazzaville/Sud. Quand on possède Mao on ne peut pas oublier que là où il y a oppression, il y a révolte. Comme tous vainqueurs, les nouveaux maîtres du Congo se sont mis à « coloniser » le secteur, s’appropriant parcelles et demoiselles car « qui a terre a utérus » qui a « guerre a terre  » (Honoré de Balzac). Qui a terre devient le roi de l’arbitraire.

Offres Publiques d’Achat

Les nouveaux riches se sont mis à acheter avec des bouchées de pain des terrains nus ou construits dans le Sud, notamment à Mpissa, quartier prisé en général par les généraux, la petite et moyenne bourgeoisie ayant réussi à spéculer avec les deniers de la République depuis le boum pétrolier des années 1990. A tel point que les palissades portent de plus en plus à Brazzaville la mention « cette parcelle n’est pas à vendre ». En effet, il y a de quoi en avoir ras le bol. Une classe de nouveaux riches procède à des OPA (offres publiques d’achat) menées à bien grâce à des agents immobiliers sillonnant les rues de la ville à la recherche de proies à dévorer comme des vautours.

Ces charognards sentant votre statut de cadavre social vous fourrent sous le nez des sacoches bourrées de coupures de banques. Prolétarisés par le système insatiable du Chemin d’avenir, nos moribonds sociaux sont priés d’accepter, de gré ou de force ; plutôt de force que de gré. Comment faire autrement avec la crise qui sévit actuellement. Après ça, vous êtes tenus de quitter les lieux au plus vite, sinon bonjours le bâton. Ces OPA, comme tous les raids ont fait appel à des ripostes d’envergure, souvent hélas avec des moyens de bord.

C’est ce qui est arrivé ce vendredi 26 mai 2012 à Mpissa où le pot de terre a lutté avec le pot de fer. L’expropriation a d’autant moins plu aux jeunes du quartier, ces Gavroches, ces Petits David, qu’il y a un vieux contentieux entre le Goliath de Mpila et le peuple. Les populations des quartiers Sud n’ont pas besoin d’avoir fait Sciences Po pour se rendre compte qu’il y a un développement inéquitable dans la ville de Brazzaville, que de cette inégalité naissent des offres publiques d’achat qui mettent des familles entières à la rue avec, en prime, des déchirures parentales. Des villas poussent (comme des champignons après la pluie) dans les quartiers Nord ; des routes sont améliorées à Ouénzé, Talangaï, Mpila, Poto-Poto tandis que Bacongo et Makélékélé sont en train de reculer vers le néant urbain.

Ingrédients d’un « Mpila social »

Il y a de l’électricité dans l’air. La moindre étincelle peut tout faire exploser, comme à Mpila mais (cette fois-ci) sur le plan social, tant les courts-circuits sont légion dans le système politique. Certes un calme règne dans les quartiers Sud. On dirait même une résignation. Certains individus en manque de gloriole profitent de cette apathie pour user et abuser d’un prétendu pouvoir gagné au bout du fusil à l’issue de la guerre de 1997.
Vendredi 26 mai 2012, l’un de ces chefs de guerre, trompé par le calme apparent, est venu faire le « con » à Bacongo, feignant d’oublier que l’eau calme est généralement profonde. Le bougre a failli se noyer. N’eut été la bande armée qui l’accompagnait, le zouave aurait pu y laisser la peau comme le cobra solitaire (dont on parle au début de cet article) qui revint sur la scène du crime en 1998. Pour la petite histoire ce loup solitaire fut lynché et inhumé immédiatement (comme un musulman) sans autre forme de procès et de rite funèbre. Dans les quartiers Nord les siens doivent encore se demander ce qu’il était devenu ; vers quelle destination était-il parti ; avec quelle nana était-il parti fonder un foyer dans un quartier inconnu de la ville…

Black-out de la presse locale

La presse officielle, naturellement, n’a pas rendu compte de cette mini émeute qui aurait pu embraser la ville. N’était le cameraman amateur l’opinion n’aurait jamais été tenue informée de cet affrontement entre le peuple sans arme et des hommes en armes aux ordres de l’état-major. Pour une répétition, ce fut plutôt une réussite. Il ne tient qu’aux provocateurs de Mpila de jouer la pièce en grandeur nature en continuant d’aller chercher les poux sur la tête des néo-Ninja. Un autre plan dans ce style, alors peut commencer le film hugolien de Waterloo. Vivement que l’ami Thierry Moungalla achève sa couverture de la fibre optique sur tout le territoire de la République. Malgré le black-out des médias officiels, désormais la vidéo de la Commune de Bacongo est visible sur la toile.

http://www.youtube.com/watch?v=gknUIaXvEMw

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.

Recevez nos alertes

Recevez chaque matin dans votre boite mail, un condensé de l’actualité pour ne rien manquer.