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Fuir Brazzaville-sud, otages des milices

Journal d’un étudiant congolais pendant la guerre du 18 décembre 1998

Ecrivain, poète, dramaturge congolais, Issangh’a Mouellet wa Indo est né le 30 juin 1973 à Brazzaville. Il est détenteur d’une Licence es Lettres obtenue au sortir de la guerre qui a embrasé la partie Sud du Congo-Brazzaville pendant deux ans.
Fuir Brazzaville-Sud, otages des milices est son premier ouvrage publié.

Les conflits à répétition qui ont ensanglanté le Congo durant sept ans ne pouvaient que marquer les écrivains, et nombreux sont ceux qui ont voulu transcrire leur vision ou leur expérience. Jusqu’à Henri Djombo, ministre de l’économie forestière qui en a fait le sujet de son quatrième roman, lequel ne nous pas inspiré une chronique.
Malgré une utilisation peu orthodoxe de la conjugaison, le livre de Issangh’a Mouellet wa Indo nous a interpellé par son écriture et sa facilité de lecture qui devrait parfaitement convenir au lecteur congolais. Pas de grands mots qui demandent le dictionnaire ou l’encyclopédie, mais une écriture fluide et narrative. Il ne nous entraîne pas avec lui mais fait de nous les témoins de sa mauvaise fortune.

« Fuir Brazzaville-Sud, otages des milices » est le journal que l’auteur, étudiant congolais a tenu pendant la guerre à huis-clos du Congo-Brazzaville de 1998-1999. I1 l’a écrit au jour le jour, décrivant les faits vécus depuis le 18 décembre 1998, jusqu’à la signature des accords de cessation des hostilités à Libreville le 27 décembre 1999.

Le 18 décembre 1998, les miliciens « Ninjas » du « Pasteur » N’tumi opposés au gouvernement congolais font une percée jusque dans les quartiers Sud de Brazzaville (Bacongo et Makélékélé) qu’ils tentent d’occuper.
La réplique froide, brutale des forces gouvernementales jettera sur les routes de l’errance des centaines de milliers d’habitants, parmi eux, l’auteur et son frère qui sera tué.

Fuyant vers l’inconnu, ils vont traverser à pied la région du Pool, tenus en respect par les miliciens « Ninjas », avec à leurs trousses les miliciens « Cobras » du pouvoir et se réfugier à Sibiti, leur village d’origine, des centaines de km plus loin, dans la région de la Lékoumou.
La guerre les rattrapera dans leur village, les populations y seront traquées, pillées, tuées, bombardées par l’oiseau qui portait des missiles...

L’étudiant a continué à tenir son journal sur des bouts de papier de fortune, entre deux attaques, dans la forêt, sur les pistes de leur fuite, le ventre vide, à la lumière incertaine d’un feu de camp...

Malgré toutes les ignominies de la guerre, il s’accrochera à la vie, au souvenir du Bonheur Simple et Naturel pour demeurer un homme. Il dira l’humanisme à travers un puissant Appel à l’Homme, le vrai, guidé par l’idéal du Bien.


Extrait P21 à 23

« Samba-Alphonse Samedi, 19 décembre 1998
7h. Il fait jour. Les gens sont euphoriques. Les partisans des miliciens Ninjas propagent des informations que je juge fantaisistes. Le mot d’ordre de la propagande est : « on progresse ». Car, disent-ils, il faut soutenir le moral des popula¬tions ...

8h. Après la prière organisée et dirigée par un chef Ninja, la tête du train imaginaire des déplacés s’ébranla. Dolly était visiblement intéressé par la possibilité d’aller de l’autre côté de la frontière, c’est-à-dire au Congo-Démocratique. Et il le fit savoir. Quant à moi, je préférais une semaine de pénitence dans le Pool avant d’atteindre Sibiti, notre village, au risque d’y mourir, que deux jours dans un camp de réfugiés eu RDC, l’expérience rwandaise m’ayant fortement traumatisé. Le frérot se plia à ma volonté. (Aujourd’hui. je le regrette. On aurait mieux fait du suivre cette direction. NDA) Le marché de Samba-Alphonse, vidé de ses vendeurs comme de sa population, en forêt depuis de longs mois ne nous proposa que de juteuses mangues. Puis je repartis à Nganga-Lingolo à la recherche des déplacés originaires de la Lékoumou (notre région d’origine dont Sibiti est le chef-lieu) qui accepteraient de se joindre à nous pour la traversée du Pool. Secrètement. J’espérais y retrouver Sally. Je ne pouvais quitter Samba-Alphonse (la sortie de Brazzaville) sans la savoir hors de danger, loin de la mort parcellaire de Brazzaville.

Vers 9h30. Le retour à Ngaga-Lingolo m’a fait révéler l’autre face de l’horreur que nous n’avions pu voir hier soir dans la nuit noire. La boucherie. Des corps en décomposition étaient en train d’être ensevelis. Des hommes. Des femmes. Le sommet de l’inhumanité, c’était ce cadavre sans tête. Tué, puis brûlé. Il portait un survêtement Adidas bleu avec des fantaisies vertes sur les côtés. Dans l’atelier « Meuble Ngoma », d’autres corps pourrissaient.

10h. J’avais bougrement soif lorsque j’arrivai à Nganga¬Lingolo. Mais comment boire une eau que tout le monde savait souillée ? Des corps auraient été Jetés dans certains puits. Je commençai mes recherches à l’église protestante. Aucune trace de Sally et de sa famille. Pire, personne ne semblait être au cou¬rant de l’existence de Sibiti sur la carte du Congo. Le taux d’adrénaline montait...

Les déplacés affluaient. Et les forces de Brazzaville pilonnaient : l’artillerie lourde au service du nettoyage des quar¬tiers Sud. Contrairement à Samba-Alphonse, le marché proposait une liste assez variée de produits alimentaires. Je me suis avancé vers le dernier barrage des Ninjas espérant apercevoir ma grande. J’ai attendu deux heures en vain. J’ai abandonné, la mort dans l’âme, c’est le cas de le dire. Mais je repartais avec une piètre consolation : un ressortissant de Sibiti ayant attache à Dolisie se joignait à nous pour aller droit au village. Le remake de la tragédie de 1997, les hommes politiques m’éloignaient du bonheur. Les canons hurlant ne me faisaient plus rien. Tout me faisait horreur. Tous les coalisés de Brazzaville, les Ninjas, les morts...

Le cœur serré, nous remontions vers Samba-Alphonse.

14h. Samba-Alphonse. Dolly faisait la tête à cause de mon retard. Mais, discret, mon frérot ne dit mot. Il avait lu tout le désarroi qui transparaissait sur mon visage. Il savait que je pleu¬rais mon bonheur : Sally. Nous avons fondu dans la colonne des déplacés qui s’était enrichie de milliers d’autres arrivées. C’est un voyage de bannissement qui commença d’emblée par un affrontement ouvert avec les montagnes comme si la mort ne suffisait déjà plus. Marcher, jusqu’à la tombée de la nuit.

15h45. Nous avons marqué une pause sur une colline sous une allée de manguiers, d’où l’on avait une vue magnifique sur la tour Nabemba, l’ombre d’elle-même depuis la dernière guerre, l’immeuble City Center et d’autres bâtiments qui faisaient jadis la fierté de la ville capitale. Ensuite, Dolly ouvrit le sachet de mangues achetées à Samba-Alphonse. On employa nos langues pour nettoyer notre ration. Lécher puis cracher la saleté. Déguster par la Suite ...

Pendant ce temps le grondement de la mort était aussi ter¬rifiant. On entendait son râle pervers de là où nous étions.

17h35. A deux ou trois, voire quatre kilomètres de Linzolo, nous traversâmes une nouvelle zone malodorante. C’était un cimetière il était probable que des corps y avaient été enter¬rés à la va-vite. Des restes d’une tenue militaire tachée de sang séché subissaient les assauts coordonnés d’une nuée de mouches au bord de la route.

18h. Linzolo. Il y avait foule. Les populations autochtones sortaient progressivement des forêts depuis que les Ninjas avaient pris le contrôle de la localité Les gens se reposaient sur des étals de bois du marche. La confrérie des soeurs de Linzolo était noire de monde. Nous avons trouvé un petit espace sur le gazon de la cour du centre hospitalier Phillip-Maurice. Après nous être rafraîchis dans une rivière à l’entrée du village, avec une eau aux effluves nauséabonds (des corps y avaient séjour¬né), débarrassés des odeurs d’esclaves enchaînés dans la cale d’un navire négrier, le moral à plat, nous avons placé notre drap sur l’herbe. Il était tombé de la flotte. Le froid pénétra durement nos os. On avait faim. On a dormi comme ça sous ce temps d’iceberg. »

Fuir Brazzaville-Sud, otages des milices par Issangh’a Mouellet wa Indo ; Editions L’HARMATAN, Paris 2006 ; 13,50€

On peut trouver ce livre au Congo pour 8000 FCFA, s’adressser à Ya Sanza : [email protected] qui transmettra.

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