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Genocides

Pour une fois le salut nous viendra peut-être d’Amérique. Le Congrès vient d’y décréter que ce qui se passe au Soudan, dans la région du Darfour, n’est ni plus ni moins qu’un génocide contre les populations noires. Le comportement des milices arabes, les ndjadjawids, ne laisse pas de doute : elles font montre d’une véritable rage d’en finir avec les populations noires locales.

Par toutes les armes à leur portée : le sabre, la kalachnikov, le Coran ou même le sexe, ils s’en donnent à cœur joie sur tout ce qui ne leur ressemble pas. Et le gouvernement soudanais ne fait rien pour l’empêcher. De subterfuges en atermoiements ; de feintes en fausses promesses ; de protestations en menaces voilés, Khartoum plie mais ne rompt pas.

Qu’on le sache donc : à près de 2500 Km au nord-est du Congo, un génocide est en cours. Ce sera mentir à sa conscience que de dire un jour : « je ne savais pas », « ça ne me concernait pas ». Tout comme pour le Rwanda il y a dix ans, nous avons à nozs portes, les moyens d’entendre par nos oreilles les gémissements de frères qu’on égorge. Et il ne sera pas utile d’invoquer nos propres problèmes pour draper nos consciences du manteau de la fausse innocence.

J’ai choisi d’en parler cette semaine pour trois raisons.

D’abord parce que j’ai visité le Darfour il y a peu et ce que j’y ai vu dépasse l’entendement. Des femmes, de l’âge de nos mères, obligées de marcher sur des centaines de kilomètres avec un enfant pendu à un sein qui n’a plus de lait ; des vieillards dont on se demande comment ils ont pu même se traîner à plus de dix pas de leurs habitations ; des jeunes filles à peine nubiles qui n’osent pas vous fixer dans les yeux, marquées par l’infamie du viol… Et tout ce monde affamé et mourant.

Ensuite parce que, une fois encore, l’Afrique a choisi le camp des Ponce Pilate. Koffi Anan, notre cousin glorieux Secrétaire général de l’ONU, a visité le Darfour fin juin. Il a rencontré les autorités soudanaises et américaines (Collin Powell a suivi quelques heures après lui). Comme il y a dix ans pour le Rwanda, lorsqu’il était en charge des opérations de paix à l’ONU, Koffi Anan a émis un avis négatif : « on peut parler de nettoyage ethnique au Darfour ; mais pas de génocide ». Des mots et des maux !

Enfin je parle du Darfour parce que, justement à propos des mots, nous semblons nous comporter comme si nous pouvions dire n’importe quoi, sans conséquences. A la fin de la guerre de 1997, celle de Lissouba contre Sassou, ce dernier a produit des livres entiers pour expliquer que l’ancien président avait mené une guerre de génocide contre les populations nordistes.

Pierre Nzé fut alors envoyé partout pour « vendre » cette idée qui finit par ne plus faire florès. Quelques années plus tard, c’était autour de Ntumi qui, en coopération active avec les Cobras, les Angolais et les Zimbabwéens, a saccagé la région du Pool, de crier au génocide des populations du Pool par Sassou.

Nous avons donc nos génocides domestiques, et nos génocidaires de confection. Nous brandissons les mots, peu nous importe notre responsabilité. Sassou ne parle plus de génocide de Lissouba aujourd’hui, comme s’il s’était juste agi de frapper fort les imaginations et d’enfermer l’autre dans l’ostracisme. On s’est payé un mot sur le dos de notre peuple, maintenant place à la politique. Fini le génocide !

Ntumi fera de même demain, lorsqu’il aura été nommé général, chargé des retraites spirituelles de l’armée ; aura reçu sa villa du marché total, aura 4 véhicules de fonction flambant neuf et sera paré de la cocarde du « résistant ». Il ne parlera plus de génocide ; et n’évoquera plus le rôle qu’il y aura pris.

De cette attitude découle au moins une conclusion : qui parle sans mesurer ses mots, ne saura jamais respecter sa parole. Et qui ne sait pas tenir sa parole ne peut bâtir une démocratie. Car elle se fonde, aussi en partie, sur la ferme volonté de tenir ce qui est dit. De respecter ce qui est dit et/ou écrit.

Benda Bika

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