email
Langues vivantes

Guy Menga prend langue avec la poésie

Lettres kongo

Guy Menga est l’un des rares écrivains congolais d’expression française qui n’éprouve aucun complexe pour écrire dans sa langue maternelle. Bien au contraire, la langue kongo/lari relève chez lui de ce que Roland Barthes appelle "plaisir du texte". Il vient de prouver ses qualités de poète lariphone dans un récent recueil de presque cent de pages paru aux Editions ICES dans la collection "Poètes francophones".

Guy Menga vient de commettre un recueil de poèmes. Son titre Cri bilingue I ne cache rien ni sur l’ambiguïté de la société congolaise sollicitée par plusieurs registres langagiers ni sur l’intention de l’auteur de donner une suite à cet ouvrage de 80 pages. D’ici peu le lecteur doit donc s’attendre à un Cri bilingue II, voire III etc.

Guy Menga réhabilite la poésie kongo/lari

Fort bien, car ça faisait un moment qu’on n’avait plus lu cet excellent homme de lettres doublé d’homme politique. Guy Menga a en effet été ministre de l’Information dans le cabinet d’André Milongo sous la Transition, en 1990. A une période où la mode est à la francophonie, il faudra rendre justice à cet acte littéraire iconoclate où l’auteur écrit la moitié de son recueil dans une langue africaine, le kongo-lari.

S’agit-il d’une démarche qui vise à prendre de contre-pied l’impérialisme culturel français ? S’agit-il d’un pied de nez fait à ceux qui envisagent enterrer sous plusieurs pieds le peuple locuteur de cette langue ?

Autant de questions dont la réponse coule de source quand on se réfère à l’œuvre globale de l’auteur où pointe déjà la contestation coloniale et dont le premier roman (L’oracle) le récompense d’un prix littéraire en 1969.

En mars 2004, à l’occasion d’une soutenance de thèse qui eut lieu à la Faculté des Lettres de Nice/Sophia/Antipolis, sur l’imagination romanesque chez Guy Menga, l’auteur de la thèse, Victor Béri, rappela dans ses hypothèses que Guy Menga était profondément enraciné dans la culture kongo d’où il puisait son inspiration.

Cri bilingue I conforte donc cette thèse car l’auteur réalise une profonde plongée dans le domaine où la société kongo/lari a de plus démonstratif : sa langue. Classé comme troisième moyen de communication au Congo après le kituba et le lingala, le lari semble avoir été déclassé dès les années 1990 par une logique politique supportant de moins en moins ce qu’elle appelait « son hégémonie ».

Cri bilingue I tombe ainsi à point nommé pour donner ses lettres de noblesse à une langue, dont certains locuteurs (selon les situations politiques) ont perdu la vie pour l’avoir parlée (cas du Beach) ou pour n’avoir pas su la parler (cas des bouchons Ninja à Bacongo).
Jamais un parler n’a aussi fait parler de lui que la langue kongo/lari. La langue serait-elle ce qu’il peut y avoir de meilleur et de pire ?

S’il s’agit d’exhibtionnisme langagier dans Cri bilingue I, il y est aussi question d’esquisse d’une critique politique de la société congolaise, démarche que nul ne peut reprocher à l’ancien ministre du seul gouvernement dont les Congolais, de l’avis de tous, gardent un bon souvenir à partir des années 1990.

Il l’a déjà fait le long de son écriture romanesque, notamment, dans La palabre stérile, où il fustigeait la prolixité verbale des marxistes ayant cependant mis en place un système économique improductif. L’auteur n’est donc pas à son coup d’essai sur le registre de la contestation et de la remise en cause. Cette tradition de la révolte est longue chez Guy Menga ainsi qu’en témoigne la dénonciation du système colonial dans Case de Gaulle et du poids de la tradition dans La marmite de Koka-Mbala.

Dans Cri bilingue I, l’auteur reste fidèle à sa méthodologie littéraire de la remise en cause de l’ordre établi, à plus forte raison quand cet ordre s’établit de force et, au profit exclusivement de l’establishment.

Fidèle à la tradition poétique, le vers de Guy Menga y est prophétique, prémonitoire même. Ainsi le très piquant poème Mbanza (la cité) où l’auteur se pique de métaphore insectivore pour annoncer, avant la lettre (1985), les morsures venimeuses de "reptiles humains" semant la panique dans une ville qui, jadis, fut belle.

POESIE DE L’AMOUR

L’auteur ne fait pas seulement des déclarations de guerre à ceux qui font la guerre au Congo ; il fait également des déclarations d’amour comme dans « Confidence à Mère Béa ». Elle doit être belle cette Béa. Qui est-elle ? Une femme ou la ville de Brazzaville dont Béa est l’autre nom ?

Incorrigible, même quand il s’agit d’ode pour une idylle, l’auteur ne peut s’empêcher de mêler l’amour à la guerre, prenant alibi sur Mère Béa pour régler ses comptes à la Mère-Patrie (ainsi le discours colonial désigne la France), comme dans « Le retour de Boula Matari. »

Oyez la pugnacité de ces vers offensifs :

« Qui chez eux condamnent les tyrans

Mais ailleurs les choient puis les dorlotent

Quand l’impératif des intérêts l’exige. »(p.29)

On aura reconnu ce monstre tentaculaire, la françafrique.

Ce recueil est à lire avec recueillement, si besoin (selon les conseils de l’auteur) en compagnie d’un fin connaisseur de la langue car certaines expressions n’ont plus cours dans le lari moderne. Il ne serait pas inintéressant que l’ouvrage fasse l’objet d’une analyse ici sur Congopage au forum « apprendre le lari ».

Lire également l’excellent compte-rendu qu’en a fait Césarine Miayoukou sur le site Mwinda.

Cri bilingue I , Guy Menga , 80p. Corbeil-essonnes 2005.
Edité par le groupe ICES sous la direction d’Alain Kounzilat ; 9 euros.


Les Editions ICES et la librairie ANIBWE vous convient à une rencontre - dédicace avec l’Auteur le samedi 17 décembre 2005 à 15h00 à l’occasion de la parution de CRI BILINGUE I, l’adresse ci-dessous :
Librairie ANIBWE
52, rue de Greneta
75002 Paris
Métro - RER : Les Halles

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.