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Jacques Loubelo, chantre de l’unité nationale

Aucun poète, mieux que Jacques Loubélo, n’a pleuré sur le sort du Congo désuni, fracturé et déchiré par des luttes intestines. Pour parler trivialement, au début des années 1960, au Congo-Brazzaville « c’était chaud  ». Les esprits, atteints par la fièvre des Indépendances, viennent de vivre en 1959 une courte mais sanglante guerre civile (qui en annoncera d’autres) ; une guerre civile due à l’inconscience de leaders politiques en mal de reclassement politique postcolonial. Le traumatisme de la guerre de 1959, encore mesurable aujourd’hui, inspirera alors nombre d’artistes obsédés par l’idée d’un pays qui a besoin d’être réconcilié du Nord au Sud et d’Est en Ouest mais qui a du mal à trouver un modus vivendi entre ses populations.

Jacques Loubélo, né à Simou Djoué, élevé dans la commune de Bacongo, éduqué chez les prêtres catholiques est de ceux qui démarrent leur carrière d’artiste en faisant le choix de chanter l’unité nationale. On les dit "engagés". Franklin Boukaka fait également partie de cette classe d’artistes habités par le sentiment de concorde.

Loubélo n’est ni griot ni chansonnier. Il est tout ça à la fois : griot, chansonnier, poète, saltimbanque, critique social, correcteur des mœurs, ventriloque politique ; bref un sujet sur l’imagination duquel les violences coloniales, les récits de héros nationaux ( Matsoua, Mabiala Ma Nganga, Mama Ngounga, Bouéta-Mbongo..), les divisions ethniques ont laissé des traces. Il les sublime sous la forme artistique de la chanson, stimulé pour cela par sa culture du mbongui et par les prouesses musicales des monstres de la mélodie comme Paul Kamba, Antoine Moundanda, Wendo Kolosoy qui font la pluie et le beau temps sur les deux rives du fleuve Congo et dont il est un fervent admirateur.

Le commencement

D’entrée de jeu, l’artiste donne le ton. Il chantera la patrie. Il chantera aussi l’amour comme dans « Tangou za nsoni mé ni ngué ni kué banzi ; mpipa za nsoni, ngué ni loto ko… » Mais comme Charles Peguy, Loubélo chantera plus la terre où a coulé le sang de nos ancêtres que le cœur, siège des sentiments amoureux.

Muni de sa guitare qu’il a étudiée au Cercle Culturel de Bacongo, Jacques Loubélo, à la tête du groupe vocal Les Cheveux Crépus, écrit sa chanson (l’un de ses titres-phares) sur la grandeur de la nation congolaise dont le peuple doit être uni en dépit des tensions ethniques. Jacques Loubélo chante «  Congo nti éto ya mboté mboté, tu fwéti salila Congo  » (Quel beau pays Ô Congo ! Œuvrons pour cette terre). Optimiste, Jacques Loubélo clame mélodieusement avec sa voix rauque : « Bomitaba, Likouba, Lari, Mbochi, Vili, Batéké, Kougni, Ntsangui doivent affirmer leur fierté d’être Congolais »

Loubelo rappelle que tous, nous portons le nom générique de « Congolais » quelle que soit notre appartenance régionale. Ce qui nous sépare (les frontières ethniques) est inférieur à ce qui nous unit (la nation). Pour Loubélo, nous devrons être fiers de nos origines « Ozala na yo Libakou, kombo na yo Congolais  ». La société congolaise, victime finalement d’incessantes fractures ethniques (1959- 1997- 1998) a soif d’unité. La classe politique (toutes tendances confondues) ayant échoué, rien de tel que les artistes pour faire baisser la méfiance entre Congolais d’horizons culturels différents, autant de groupes instrumentalisés par des leaders qui se détestent le jour et s’entendent la nuit : oiseaux de proie.

Aimons-nous les uns les autres

Jacques, naïf ? Non. Jacques Loubelo, enfant de Bacongo, problématise à satiété la question ethnique dans son répertoire musical en étant conscient que le mal, profondément enraciné dans les cœurs, sera difficile à extirper. « Tu fwéti zolasana, tu fwéti salasana, tu fwéti tomesa Congo » décrète (en espérant qu’on va y arriver) le chant de Loubélo avec cette foi du charbonnier dont sont dotés les artistes quand ils s’attaquent à des combats aussi titanesques que changer les mentalités et les idéologies. C’est le classique (mais, ô combien difficile à appliquer) verset biblique « Aimons-nous les uns les autres  ».

Jacques Loubélo formé chez les spiritains joue souvent sur le registre divin, notamment au début de sa carrière quand il chante : « Ô Seigneur, pitié Seigneur, Pitié Seigneur Alléluia ! Le Seigneur dans sa puissance nous apporte le bonheur et nous délivre de nos pêchés  » (Paroles d’artiste) C’est l’évangile, pourrait-on dire, selon Saint Jacques. « Nzabé tata na ngouya na bokassi na yo, yokéla bisso bana na yo mawa. To zali ko senga yo mikolo nioso butu moyi, biso bana ba yo yokéla biso  »

Jacques, fataliste ? Encore moins. L’artiste sait que l’homme peut changer ; l’homme change. Aussi ne se lasse-t-il pas de reprendre la même thématique unitaire dans ses refrains. Il a les pieds sur terre. Loubélo peut devenir grave : « E é é, Kinkala kia mwaganga, Mpangala ya buza yé…Wa kéti kula ntsi ni wo lwa kitula mukuyu. Bio biéka ntsio bi mangu. »
De quel héros parle-t-il dans cette transfiguration antinomique : Marien Ngouabi ? Le Cardinal Biayenda ? Massamba-Débat ? En vérité, il s’agit de toutes ces figures que l’intolérance de leaders mal inspirés a fait disparaître de la terre des hommes en les transformant en êtres immatériels. Ici, dans le texte de Loubélo, il y a des traces de sarcasme dont il destine volontiers l’impact aux dictateurs de tous bords.

Humour congolais ; amour du Congo

Pour passer le message d’amour dans une société réputée violente (une société qui tue ses dirigeants et dont les dirigeants tuent les populations), Jacques Loubelo braconne le registre de l’humour en jouant et se jouant des clichés ethniques. « Mwasi na ngaï a yébi ko lamba ngado  » alterne avec « Nkéto w amé zébi lamba ngadu ». Pour le même plat, la viande de crocodile, le manioc qui est le plat national congolais, est commandé au marché Kisito quand le refrain est en lari ; au marché de Ouénzé quand le refrain est en lingala. Selon la langue, la toponymie change. « Ndiokéla yaka dia pété pété a zandu dia kisito-Makélékélé. » ou «  kéndé ko loukila ngaï moungouélé ya pétété na zando ya Ouénzé  ». C’est l’humour congolais ; c’est l’amour du Congo.

Loubelo polyglotte et polysémique

Loubélo chante en langues parce que, quelque part, il entend paradoxalement démontrer que tous les Congolais parlent, en définitive, la même langue. Il y a du lari dans le téké, du téké dans le mbochi, du mbochi dans le lari, etc. Seule change l’intonation. Alors, à bas tous ceux qui s’emploient à pratiquer l’impérialisme linguistique ! Pour Loubélo la volonté nationaliste ne peut qu’aller de pair avec le multilinguisme. A cet effet, comme à Pentecôte, le poète multiplie les langues dans ses chansons, pour créer des liaisons dans cette Tour de Babel qu’est le Congo depuis le découpage arbitraire du territoire à La Conférence de Berlin. La langue lari se marie avec le lingala. Ce n’est pas tout. La langue de Loubélo ratisse large en intégrant le mbochi, le téké, le tsangui. «  Atipo, Otoungabéya yo morobé, Elendé, Malonga, morobé » est un alexandrin qui succède à un autre où il est question de « Ngué Biks » dans la même strophe.

Biks Bikouta, musicien de talent, a usé aussi de bilinguisme dans une mémorable chanson dans l’album Vision réalisé par l’orchestre national. « Beto kuenda na buala kou sala bi langa na Congo ki mvouama na béto kaka bilanga  » (en kitouba) «  lé dzua mboga po le baga béa bo koulou… » (en mbochi)

Un auteur tragique

La comédie, certes, la tragédie aussi. Tous les genres entrent en ligne de compte. Loubélo peut devenir grave : «  E é é, Kinkala kia mwaganga, Mpangala ya buza yé…Wa kéti kula ntsi ni wo lwa kitula mukuyu. Bio biéka ntsio bi mangu. » Matsoua André et la plupart des résistants sont mainte fois mis en valeur par Jacques Loubélo dans le combat contre le colonisateur : « Menga maou bo ma tsamouka, ntsia mpé Congo bo dia koulouka  » Leur sang nous a sauvés. L’allusion à la liturgie chrétienne où le sang de Christ a été versé pour nous tirer d’affaire saute aux yeux. Loubélo, rappelons-le est catholique. Il doit les premiers instruments dont se dotent Les Cheveux Crépus à un prêtre Blanc sensible au travail d’évangélisation que mènent ces choristes.

En 1965, sous Massamba-Débat, Jacques Loubélo chante « Na wo tsétsta mou ndéko nzadi  » avec Yvonne Nsona, une métisse eurafricaine aujourd’hui décédée. Emue, Myriam Makéba pour laquelle il fait la vedette américaine reprend le morceau (une berceuse congolaise) qu’elle enregistre à Paris sous son nom. Aujourd’hui encore Jacques Loubélo se bat pour recouvrer ses droits.

Exil et reconnaissance de la diaspora au travers du RICE

Milieu des années 1970 : Jacques l’ermite s’exile en Suisse où on n’entend plus parler de lui. Dans les années 1980, favorisé par la struture de l’IAD (Industrie Africaine du Disque), il fait la rencontre de Biks Bikouta, redoutable arrangeur congolais. Son style change. Avec Biks, il tient désormais compte des contraintes du solfège majeur. « Eh ya Samba, Samba  » est le morceau musical qui illustre l’influence des arrangements harmoniques dans la stratégie musicale de l’artiste. Le style change mais le contenu thématique demeure intact. Loubélo continue de chanter l’unité nationale pour une nation unique.

Son travail a finalement payé puisque l’artiste savoure ce 2 décembre 2011 la reconnaissance de son génie par la Diaspora sous l’égide du RICE (Réseau International des Congolais de l’extérieur)

Qu’est-ce que le RICE ?

Initiative congolaise, le RICE a, entre autres projets : « Récompenser des citoyens d’origine congolaise, des associations et des entrepreneurs de ou issue la diaspora, pour leur parcours socioprofessionnel, leur projet, leur réalisation exemplaire pouvant servir de modèle aux concitoyens et ayant un impact sur le Congo. » Des prix seront remis à tous ces Congolais de "distinction".

RICE : pour un Congo uni et dynamique

Le RICE a pris l’initiative de faire venir Jacques Loubelo à Paris. Les Congolais de la diaspora ne peuvent qu’exprimer leur reconnaisse au Réseau pour la promotion de la culture de notre pays et pour l’opportunité qu’il offre à ce grand artiste de s’exprimer sur les bords de la Seine. Jacques Loubélo étant l’un des piliers importants de la musique congolaise, le choix du RICE est d’une pertinence exemplaire, notamment quand on sait que sa musique sort des sentiers battus.

La cérémonie de remise des prix de ce 2 décembre 2011 aura lieu au Pavillon Royal au Bois de Boulogne.

Jacques Loubelo : Une Production d’Anyta Ngapi/Cyriaque Bassoka Productions, en distribution exclusive.
Tél : 0680523166

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