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Sida

L’Afrique court à la catastrophe

Les deux tiers de la population mondiale infectée vivent en Afrique. L’avenir démographique de l’Afrique australe en particulier est gravement menacé.

" L’Afrique subsaharienne n’abrite guère plus de 10 % de la population mondiale, mais c’est là que vivent près des deux tiers du total des personnes infectées par le VIH. " Cette comparaison brutale ouvre le chapitre consacré à l’Afrique dans le rapport 2004 d’ONUSIDA. Soit un ordre de grandeur de vingt-cinq millions de personnes. Sur la seule année 2003, on estime à trois millions le nombre de nouvelles infections dans la zone et à 2,2 millions celui des décès dus au sida.

L’enfoncée du continent dans la tourmente concerne la quasi-totalité des pays (à l’exception notable de l’Ouganda où la pandémie a reculé de façon sensible, le taux de prévalence de la population adulte passant de 12 % au début des années 1990 à 4,1 % en 2003), même si elle s’effectue à des rythmes très inégaux selon les régions. Première victime : l’Afrique australe qui subit une épidémie dite " généralisée ", le VIH se propageant à la population dans son ensemble, ce qui se traduit notamment par un pourcentage de naissances séropositives parfois égal ou supérieur à une sur dix. Au Swaziland, par exemple, la prévalence moyenne chez les femmes enceintes est passée de 4 % en 1992, à 34 % en 2000 et 39 % en 2002. Au Botswana, la prévalence mesurée dans les consultations prénatales ne cesse de progresser : 35 % en 2002, 37 % en 2003. Ainsi qu’en Afrique du Sud : 25 % en 2001, 26,5 % en 2002. Chacun des sept pays de la région accuse un taux de prévalence supérieur à 15 % de la population adulte : Zambie (16,5 %), Namibie (21,3 %), Afrique du Sud (21,5 %), Zimbabwe (24,6 %), Lesotho (28,9 %), Botswana et Swaziland (respectivement 38 % et 38,2 %). L’avenir démographique de toute la zone est compromis, certains experts n’hésitant pas à pronostiquer des évolutions négatives à moyen terme.

Dans les autres régions du continent subsaharien, la prévalence reste statistiquement stable, mais cette stagnation relative " est souvent le fait d’un plus grand nombre de décès dus au sida, ce qui cache le taux toujours croissant des nouvelles infections ", relève le rapport.

De façon générale, les femmes sont plus exposées au risque d’infection. Et celle-ci survient à un âge plus jeune que chez les hommes. On compte aujourd’hui en moyenne treize femmes infectées pour dix hommes infectés, le ratio s’établissant à quatorze femmes pour dix hommes dans les zones urbaines (douze pour dix dans le monde rural). La différence des niveaux d’infection est encore plus marquée chez les jeunes de quinze à vingt-quatre ans : vingt femmes pour dix hommes en Afrique du Sud, voire quarante-cinq pour dix dans des pays comme le Kenya ou le Mali.

" Un seul facteur ne saurait suffire à expliquer l’omniprésence de l’épidémie, soulignent les auteurs. Il semble plutôt que le responsable soit une combinaison de facteurs qui souvent se renforcent " : pauvreté et instabilité sociale, avec en corollaire l’éclatement des familles, conflits armés (réfugiés), statut inférieur de la femme, mobilité de la population (importance des systèmes de travail migratoire). Enfin et surtout, le problème des médicaments rendus inaccessibles par leurs prix : en Afrique, où le sida est à l’origine d’un décès sur cinq, l’immense majorité de la population n’a jamais eu droit à l’AZT, l’antiviral le plus ancien (qui permet notamment de réduire dans des proportions considérables la transmission du virus de la mère à l’enfant). D’autres maux finissent de faire caisse de résonance : insuffisance de contrôle de la qualité des médicaments, malnutrition, persistance du virus de la poliomyélite, problèmes d’hygiène et d’accès à l’eau potable. Maux qui expliquent que la flambée du sida s’accompagne de l’émergence de nouvelles infections (Ebola, Lassa) et, plus encore, de la résurgence de maladies traditionnelles, au premier rang desquelles le paludisme (un million de morts par an, dont 90 % d’Africains) et la tuberculose.

Cette dernière forme avec le sida, ce que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a appelé un véritable " duo infernal ". Entre 2000 et 2010, le nombre de cas de cette maladie contagieuse devrait doubler dans le continent, a prévenu l’OMS. Motif de cette prévision : la propagation du VIH et le financement insuffisant des stratégies de traitements courts de la tuberculose, surnommés DOTS. En 1999, sur les quelque deux millions de nouveaux cas de tuberculose, deux tiers ont touché des gens infectés par le VIH, soulignait l’agence de l’ONU, prévoyant un doublement du nombre de nouveaux cas (quatre millions annuels) avant 2010.

" L’épidémie de sida continue à distancer la riposte mondiale ", souligne le Dr Peter Piot, directeur exécutif de l’ONUSIDA. Un constat qu’il semble condamné à répéter d’une année sur l’autre. Voici deux ans, le même avait déjà pu dire : " L’année 2001 a marqué les vingt ans du sida dans le monde. Cette date a été l’occasion de déplorer le fait que l’épidémie s’est révélée bien plus grave qu’on ne l’avait prédit en disant : si seulement nous avions su alors ce que nous savons maintenant. Mais maintenant nous savons. Nous savons qu’il est possible de la combattre efficacement, mais seulement si la riposte est soutenue par une volonté politique et si celle-ci est de grande envergure. " Un appel qui, semble-t-il, n’est toujours pas entendu.

Jean Chatain

www.humanite.presse.fr

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