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Lu dans Mwinda

LES DISPARUS DU BEACH : UN POUVOIR, SON REGIME ET SES PARTISANS

Introduction : concepts et argument

Le crime des Disparus du Beach restera dans la mémoire congolaise plus longtemps que ne l’espèrent ses auteurs. L’idée qu’il s’évanouira de la mémoire collective après le passage dans l’histoire nationale de Sassou Nguesso n’est qu’une chimère entretenue par un groupe politique qui cherche désespérément à se débarrasser de la grave souillure qu’une telle infamie porte sur leur avenir politique. Mais établissons la définition des termes importants comme point de départ, et nous voyons, non seulement logiquement mais surtout moralement, que ce crime est commun. Trois termes sont à définir : pouvoir, régime et partisan. Le pouvoir se définit comme la capacité qu’a une autorité d’influencer le comportement d’autrui, et d’être obéi dans l’exécution de sa volonté. Un régime constitue un ensemble de principes gouvernant le fonctionnement d’une organisation ou d’un système et régissant ainsi le comportement des personnes morales et physiques qui en font partie. Les partisans sont des individus unis dans un système codifié par une famille d’idées partagées, animés par une solidarité de vues et de comportements tirant son dynamisme d’une affiliation politique ou sociale.

Ces définitions, mises en rapport avec le crime des Disparus du Beach, mettent en évidence la thèse que je soutiens dans cette pensée : le crime des Disparus du Beach est un acte perpétré par tout un système politique et social, suivant et impliquant une dynamique relationnelle d’exécution partisane et sélective agencée par le pouvoir et structurant un régime aux amples ramifications. Ainsi, sans l’existence ou la constitution d’un régime dans lequel sont insérés divers acteurs s’alliant aux intérêts des détenteurs du pouvoir, et en l’absence d’une exécution partisane des opérations, la volonté du pouvoir de commettre le crime des Disparus du Beach et bien d’autres aurait été anéantie ou diminuée. La responsabilité de ce crime comporte donc une identité multiforme.

Affirmation de la responsabilité partagée

D’emblée, je fais remarquer que je n’utilise pas les conditionnels dans l’observation de la responsabilité. Ce qui signifie que je n’imagine ou ne suppose pas que les différents groupes politiques ou sociaux qui s’attèlent à se dissocier du crime des Disparus du Beach se sentiraient souillés ou seraient impliqués. J’affirme, et cela sans ambages ni de manière hypothétique, que ces groupes politiques sont et resteront bel et bien souillés par l’opprobre et la gravité de ce crime abject et lâche qui a consisté à recueillir au port fluvial de Brazzaville des jeunes gens innocents et sans défense, et les assassiner en masse, parce qu’appartenant à une ethnie autre que celles des détenteurs du pouvoir et celles politiquement ou géographiquement proches du pouvoir.

Quels sont les acteurs de ces groupes ? Ces groupes ne sont pas seulement politiques stricto sensu. Au-delà du caractère politique des intérêts particuliers qui actionnent trop facilement les querelles congolaises devenues de notoriété internationale, il existe des rapprochements sociaux, ethniques, régionaux, économiques et parasitaires qui s’affirment comme le soubassement des violences politiquement suscitées et attisées. Ainsi, si le Parti congolais du travail (PCT) constitue l’identification politique de ceux et celles qui détiennent le pouvoir politique au Congo, il trouve un renfort considérable dans des alliances politiques. Celles-ci réunissant des partis au sein de ce qui s’appelle fallacieusement les Forces démocratiques unies et apparentés, union sans laquelle il aurait, en réalité, connu la décadence et le démantèlement qu’il mérite après la déchéance sociale, morale et économique dans laquelle il a entraîné et continue à entraîner le pays depuis 1968 et dont le processus de décomposition n’a rien de comparable au monde.

Pour associer leurs intérêts personnels et politiques à ceux du parti triomphant d’une guerre qui s’accompagnait des crimes contre l’humanité, les membres de cette alliance ont soutenu Sassou Nguesso et le PCT pendant les conflits que ces derniers ont suscités depuis 1997 et lors des élections diverses, sachant les responsabilités criminelles qui s’étaient établies. Consciemment et par opportunisme politique, et manquant de cohérence politique et de discernement moral, puisque cherchant toujours à s’associer avec n’importe qui pourvu qu’il soit triomphant, les alliés politiques, sociaux et économiques du pouvoir optaient de valider la thèse d’une complicité aux crimes de Sassou Nguesso et sa clique familiale, son cercle restreint d’amis, sa milice, ses supporters ethniques et régionaux et ses partisans internationaux. Ils élargissaient ainsi l’ensemble de ceux sur qui la responsabilité du crime repose.

En s’alliant au noyau politique que constitue le PCT, les Forces démocratiques unies et les parasitaires du système entraient dans un régime structuré et embrassaient donc le modus operandi et le modus vivendi tracés par le pouvoir en place, le clan familial qui fait preuve d’irrévérence vis-à-vis des vies humaines décimées, le parti au pouvoir et leur milice commune, les Cobras. Parmi ces modalités, on note l’extermination ethnique, par exemple, que prescrit l’Opération Mouebara dans lequel s’inscrit le crime des Disparus du Beach. Aujourd’hui, la seule logique politique et la cohérence morale ne commandent pas qu’on se dissocie du crime, mais elles exigent que les alliés assument les responsabilités criminelles et le triomphalisme mbochi et nordiste du régime dont ils ont embrassé les règles et que certains ont souhaité de leurs vœux. En l’absence d’un pardon public et de critiques publiques de la part des alliés et parasites du pouvoir, et à cause de leur indifférence dans la nécessité de résoudre les problèmes de déstructuration sociale créés par le régime, cette logique politique et la cohérence morale se font d’autant plus judicieuses. Il est donc trop tard de vouloir se dissocier maintenant que le régime a révélé son incapacité à gouverner et l’insouciance devant ses responsabilités criminelles. La souillure restera collée à la peau de ceux et celles qui ont soutenu de près ou de loin le pouvoir. Ils ont soutenu le régime, en font partie et ont suivi les ordres du pouvoir.

L’alliance politique n’est qu’une infime partie du régime ainsi constitué. Ces responsabilités s’étendent aux affinités ethniques entre ceux et celles des mbochis qui indéniablement avaient renforcé le triomphalisme ayant caractérisé le pouvoir. Je parle des mbochis qui ne se sont jamais dissociés publiquement ou n’ont pas condamné publiquement, lorsqu’il le faillait, les crimes de Sassou Nguesso, ceux et celles qui ont répondu par le silence complice à l’appel tribaliste et régionaliste de ce dernier. Par ailleurs, il existe aussi des connections régionales que le régime en place relève dans la distinction géographique élargie entre le nord et le sud. Ainsi une déclaration de Sassou Nguesso non critiquée par les ressortissants du nord du pays s’efforçait-elle de conditionner et instiguer un comportement de vigilance en structurant la permanence de l’action violente pour préserver un pouvoir nordiste. Par un cri qui veut assurer la pérennisation du pouvoir nordiste, cette déclaration, qui aspire à maintenir une dynamique conflictuelle entre le nord et le sud pour consolider le régime, englobait dans les crimes commis tous ceux et celles que Sassou Nguesso implore, d’autant plus que seuls ces crimes, et rien d’autre, ont constitué le fondement et le processus de conquête du pouvoir. Il déclare en effet : « La guerre que vous avez gagnée vous a seulement écartés du danger, mais ce danger continue à menacer. […] S’il m’arrivait de mourir à 11 heures, sachez qu’avant 15 heures, on ne parlera plus du Nord tout entier. […] Tous nos villages seront brûlés, tous les nordistes de Brazzaville comme ceux de Pointe-Noire mourront dans les trois heures qui suivront ma mort. » [1]

La distinction géographique politisée est inexorablement partisane et impute à ceux qui s’y associent la faute de la complicité active ou passive. La constitution d’un régime politique déterminant des comportements a permis d’élargir la culpabilité au-delà des ethnies et des régions du pays, impliquant ainsi ceux et celles qui obéissent aux injonctions du pouvoir et ceux et celles qui ont allié leurs intérêts politiques et économiques à ceux de la minorité gouvernante. L’élargissement du cercle des coupables n’élimine pas pour autant la base ethnique sur laquelle le crime des Disparus du Beach avait été commis. C’est un crime qui fait partie d’un plan de génocide, et le monde a eu des façons historiques d’y faire face.

Conclusion : regard sur le monde

Devant des déclarations multiples ou des rapprochements politiques qui s’opèrent, il faut garder présente à l’esprit l’intentionnalité qui sous-tend les faits. Aucun renouvellement politique ou mental de la part de ceux et celles qui ont été alliés au pouvoir de Sassou Nguesso depuis l’aube de son émergence en 1977 ne pourra éradiquer la souillure de génocide dont ils sont marqués. De même, aucune lettre d’un certain général n’effacera les douleurs et les rancœurs des mères, des pères et des épouses dont les enfants et époux ont été ignoblement assassinés après avoir été recueillis au port fluvial de Brazzaville. Même un quelconque mea culpa n’y pourra rien ! Toutes ces machinations n’enlèveront jamais l’ignominie à laquelle ont contribué ces acteurs qui font semblant de retrouver aujourd’hui le bon sens et le respect de la dignité humaine.

Pour établir les responsabilités, il existe des exemples dans le monde. Du point de vue moral et juridique, le crime des Disparus du Beach ressemble à celui commis par les Nazis en Allemagne dans les années 1930-1940, à celui du régime du parti Baas de Saddam Hussein contre les Kurdes, et à celui commis par la clique de Milosevic en Yougoslavie au cours de la dernière décennie. En matière de morale et dans une intention établie de génocide, le nombre de personnes tuées importe peu. Ainsi comme la responsabilité de l’holocauste juif reposait essentiellement sur le groupe Nazi tout entier, et non sur Hitler seul, bien que ce dernier fût l’instigateur principal, la responsabilité du crime des Disparus du Beach repose absolument sur tout un régime, ses partisans et ses parasites. En réalité, l’histoire montre qu’Hitler s’étant donné la mort avant la fin de la deuxième guerre mondiale, les procès qui ont jugé des faits ont mis sur les bancs des accusés le régime Nazi. Par ailleurs, Milosevic n’est pas le seul trouvé coupable par la Cour Internationale de la Haye, certains de ses propres collaborateurs sont actuellement recherchés. En Irak, ce sont les associés de Saddam Hussein, et non lui seul, qui ont fait l’objet d’arrestation ou d’élimination physique par la coalition internationale menée par les Etats-Unis.

Erutan Kimbembe, New Perspectives, USA.

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