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La limitation des mandats présidentiels est-elle contraire à la démocratie ? Par Karel Fall

La démocratie est fondée sur la nécessité d’une alternance au pouvoir. Cette alternance a pour but d’éviter que le pouvoir d’Etat soit confisqué, exercé ad vitam aeternam par un Président de la République, avec toutes les conséquences néfastes pour le pays et la population. C’est pour cette raison que plusieurs Constitutions des Etats réellement démocratiques, prennent le soin de prévoir expressément l’alternance au pouvoir, par le biais de la limitation du nombre de mandats du Président de la République. C’est le vrai rempart contre la tentation de s’éterniser au pouvoir. Parmi les Constitutions limitant le nombre de mandats du Président, on peut citer celle des Etats-Unis d’Amérique et la nôtre.

En effet, l’article 185 alinéa 3 de la Constitution du 20 janvier 2002 dispose : « la forme républicaine, le caractère laïc de l’Etat, le nombre de mandats du Président de la République ainsi que les droits énoncés aux titres I et II ne peuvent faire l’objet de révision ».

Cette disposition interdit clairement toute révision constitutionnelle dont le but est de supprimer la limitation de mandats du Président de la République, afin de le rendre rééligible indéfiniment ou à briguer autant de mandats qu’il le souhaite.

Mais, on croirait rêver, car c’est encore le Président Dénis Sassou Nguesso qui, contre toute attente et à la surprise générale, va contester le bien fondé d’une telle disposition. En effet, dans le journal Jeune Afrique n° 2463 du 23 au 29 mars 2008, page 27, il est exactement écrit ce qui suit : « le véritable exercice démocratique exclut la limitation des mandats présidentiels, pourvu que les élections soient libres et transparentes. Le peuple est en droit de conserver un dirigeant aussi longtemps qu’il le juge bon et utile pour le pays ».

De tels propos ne peuvent être que de nature à préparer l’opinion à une prochaine remise en cause de la Constitution par celui qui ne rêve pas d’autre chose que de mourir au pouvoir pour lequel il sacrifie tout un pays.

Ces propos du Président de la République sont la preuve, qu’il est tombé dans son propre piège, après avoir fait rédiger par des juristes corrompus que nous connaissons, une Constitution sur mesure.

Au départ, il s’est très certainement dit, qu’après une transition très flexible de cinq ans,en réalité un vrai mandat, il peut quitter le pouvoir, après avoir accompli ses deux septennats, soit quatorze ans. C’est pour cette raison qu’il s’est accommodé de cette disposition de notre Constitution lorsqu’elle a été rédigée et adoptée.

Mais il se trouve que, depuis un certain temps, dans nombre de pays africains : le Tchad, le Gabon et le Cameroun pour ne citer qu’eux, la limitation du nombre de mandats du Président de la République a déjà été supprimée, ouvrant la voie à une présidence à vie.

C’est à partir de ce moment qu’il s’est mis à caresser secrètement l’idée de mourir au pouvoir. Pour preuve, comme le Camerounais Paul Biya, il refuse obstinément de signer la Charte africaine, interdisant les révisions constitutionnelles à des fins électorales. Il sait bien qu’en signant ce texte, il s’interdit de procéder aux tripatouillages de la Constitution, afin de demeurer au pouvoir.

C’est dans ce sens qu’il faut comprendre ses propos tenus dans le journal Jeune Afrique. Mais ces propos peuvent laisser penser que cette Constitution nous a été imposée de l’étranger ou qu’elle nous serait tombée du ciel. A qui fait-il le reproche de la limitation du nombre de mandats du Président de la République, si ce n’est pas à lui-même ?
Tout cela est très risible de sa part. Il veut simplement éviter d’être blessé par son propre couteau.

Pour revenir à ses propos, il convient de préciser que :

  1. Il est faux de croire que le véritable exercice démocratique exclut la limitation des mandats présidentiels.
    C’est au contraire une pratique très démocratique, dans la mesure où elle garantie l’alternance au pouvoir. Cette affirmation du Président Sassou a pour corollaire, que les pays comme les Etats-Unis d’Amérique, le Bénin, le Mali et l’Afrique du Sud, par exemple, ne sont pas de vraies démocraties. Or, nous savons bien que ce sont des pays qui n’ont pas la moindre leçon de démocratie à recevoir du président congolais.
    Lorsqu’on pousse plus loin la réflexion, on s’aperçoit que ses propos traduisent le mépris du peuple souverain au nom duquel il parle curieusement. L’article 3 alinéa 1 de notre Constitution dispose : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce au moyen du suffrage universel par ses représentants élus ou par voie de référendum ». Nous savons tous que notre loi fondamentale avait été adoptée par le peuple, directement, le 20 janvier 2002, par voie référendaire. C’est l’un des procédés d’expression directe de la souveraineté nationale.
    Si le peuple a adopté cette Constitution, dont l’une des dispositions limite les mandats présidentiels à deux et interdit toute révision constitutionnelle qui tenterait de supprimer cette limitation, il n’appartient pas au Président de la République, qui doit se soumettre à la Constitution, de dire le contraire. C’est une manière peu élégante de vouloir substituer une ambition et une volonté individuelle à la volonté et au choix de tout un peuple.
  2. Les élections doivent être libres et transparentes.
    C’est la condition de la crédibilité d’une élection d’un Président de la République et de sa légitimité . Mais tous les Congolais qui suivent la vie politique depuis la Conférence nationale souveraine savent très bien que les seules élections locales, législatives, sénatoriales et présidentielles, libres , régulières, transparentes et crédibles organisées dans notre pays sont celles de 1992, organisées par le gouvernement de transition, dirigé par ce grand patriote et grand homme d’Etat que fut André MILONGO- paix à son âme- avec des moyens limités. En 2002, avec des milliers de milliards de francs CFA, on a vécu un cauchemar et une mascarade électorale sans précédent avec monsieur Sassou. Ce dernier organisera un second chaos électoral en 2007 avec les mêmes milliards. Ce n’est que de cette façon, qu’il peut se maintenir au pouvoir. N’attendons pas de lui, en dépit de sa langue de bois, qu’il puisse organiser une seule élection crédible tant qu’il est au pouvoir.
  3. Le peuple est en droit de conserver un dirigeant au pouvoir aussi longtemps qu’il le juge bon et utile pour le pays.
    C’est la deuxième phrase des propos de monsieur Sassou. Il faut être naïf pour ne pas voir dans cette phrase un véritable plaidoyer pro domo. Le dirigeant auquel il fait allusion dans cette phrase, c’est naturellement lui-même. Il est conscient qu’il va bientôt engager, si sa santé le lui permet encore, son second et dernier mandat conformément à l’article 57 de la Constitution. Or il voudrait avoir la possibilité de rester au pouvoir au-delà de ce dernier. D’où l’utilisation du verbe conserver et de l’intention qu’il prête au peuple alors que c’est la sienne.
    S’il avait voulu être rééligible indéfiniment, il aurait simplement demandé à ses juristes d’écrire que le Président de la République est rééligible. Personne ne lui avait obligé de réduire le nombre de mandats du Président de la République. Maintenant que c’est fait, il n’a pas d’autre choix que de respecter l’article 185 alinéa 3 de la constitution. Il s’est enfermé lui-même dans ce verrou.
    Il prétend que le peuple peut conserver ce dirigeant s’il le juge bon et utile pour le pays. S’il veut le savoir, il est plutôt mauvais et méchant envers son peuple, inutile et nuisible pour le pays.
    Le vrai service qu’il pourrait rendre au pays, c’est de quitter le pouvoir au plus vite. Il n’est pas aussi irremplaçable et exceptionnel qu’il le croit.
    Si on pouvait garder au pouvoir, un Président à cause de ses bons résultats, sur les plans économique et social, sans nul doute que l’ancien Président américain, Bill Clinton, aurait eu un troisième mandat. Si cela n’a pas été possible, c’est parce que la Constitution du pays de l’oncle Sam limite les mandats des Présidents à deux et elle n’admet pas d’exception à cela. Tous les Présidents américains s’y soumettent.
    En adoptant massivement notre Constitution par référendum, le peuple congolais avait déjà décidé d’interdire à un Président de la République , quel qu’il soit, quelles que soient ses qualités personnelles, bon ou mauvais, digne ou indigne, ou ses bons ou mauvais résultats économiques, d’avoir plus de deux mandats.
    C’est pour pérenniser cette interdiction que le peuple a refusé, par avance, toute révision de la Constitution, qui remettra en cause cette limitation de mandats. Voilà l’explication de l’alinéa 3 de l’article 185 de notre Constitution. Le Président Sassou n’ a qu’une chose à faire, c’est de s’y conformer.

Rappels au Président de la République.

L’obligation qui pèse sur le Président de la République concernant le respect de la Constitution est prévue dans certains de ses articles. Ce sont :

  Article 56 alinéa 1 :« il veille au respect de la Constitution et au fonctionnement régulier des institutions publiques ».
  Article 69 :« je jure solennellement de respecter et de défendre la Constitution et la forme républicaine de l’Etat ».

Monsieur le Président de la République, si malgré l’article 185 alinéa 3 de la Constitution, vous décidez quand même de modifier la Constitution pour demeurer au pouvoir, sachez que vous serez coupable de parjure ou faux serment. Réviser la Constitution signifierait à ce moment que le serment que vous aviez prêté, devant la Cour suprême, n’était qu’un mensonge puant que vous avez servi au seul détenteur de la souveraineté qui est le peuple. Déjà on vous prête l’intention de vouloir repousser l’élection présidentielle de 2009 en 2011.

Dans un cas comme dans l’autre, vous aurez commis une haute trahison et vous serez justiciable de la Haute Cour de Justice.

Il appartient maintenant à la société civile, aux partis politiques et aux syndicats d’avoir une vigilance de tous les instants, afin d’éviter ce probable tripatouillage constitutionnel qui pointe à l’horizon. Il sera possible avec les syndicats du public et du privé d’engager des grèves générales illimitées, pour imposer le respect de la Constitution. Organiser des marches de protestation serait irresponsable, car en face d’un pouvoir qui n’a aucun respect pour la vie humaine, ce sera un bain de sang. On n’en a pas besoin.

Pour terminer, il faut dire, contrairement au Président Sassou, que le véritable exercice démocratique n’exclut pas la limitation des mandats présidentiels, qui est nécessaire pour garantir et assurer l’alternance au pouvoir, sans laquelle, la démocratie ne serait qu’un vain mot. Le président de la République devrait bien méditer la pensée d’un sage chinois, TCHOUANG TSEU qui disait : « qui s’accroche au pouvoir s’épuise ».

Karel FALL

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