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La littérature congolaise est-elle en crise ? L’or noir et l’encre noire.

Tchicaya U Tamsi

Longtemps nous nous sommes réjouis de nos Lettres congolaises, proclamant à l’Afrique entière que le Congo-Brazzaville couvait une mine d’écrivains. A coté de l’or noir, nous pouvions donc compter sur « l’encre

Sony Labou Tansi

noire ». Nous n’avions pas tort puisque la liste des auteurs demeure prestigieuse : Sony Labou Tansi, Henri Lopes, Emmanuel Dongala, Sylvain Bemba, Guy Menga, Tchicaya U Tamsi, Taty Loutard, Tchitchellé Tchivela etc.

Henri Lopes

Notre réputation était telle qu’un jour Madame Christiane Diop, la directrice des Editions Présence Africaine ( Paris ), me lança lorsque je lui remis le manuscrit de mon premier roman « Bleu-Blanc-Rouge » paru en 1998 :

 Encore un Congolais ! Mais pourquoi donc vous autres Congolais écrivez beaucoup ?
Comme je ne répondais pas, elle lâcha, ironique :
 Je vois, c’est sans doute à cause du fleuve et de la mer !

Derrière cette boutade, je vis plusieurs interrogations. S’il ne suffisait que du fleuve et de la mer ! Beaucoup de contrées ont en effet à la fois ces deux éléments naturels, cela n’a jamais fait d’elles automatiquement de grandes nations de littérature. Et d’ailleurs, plusieurs pays enclavés dans le désert nous donnent des écrivains de grande envergure.

Emmanuel Dongala

Nous avions eu la chance d’avoir des fers de lance, des précurseurs qui ont fait de la littérature leur raison de vivre. De sorte que la jeunesse a toujours intégré la question de l’écriture dans ses préoccupations. C’est ce qui explique sans doute la prolifération des écrivains en herbe - j’ai reçu plus de cent manuscrits lors de mon séjour au Congo en 2002 -. Il y a aussi ces associations d’écrivains et artistes - associations dont les présidents sont le plus souvent moins talentueux que leurs adhérents ! A-t-on besoin d’enfermer les écrivains dans une sorte de cathédrale où les questions de pouvoir, de leadership l’emporteraient sur celles de la création ? L’écriture, là aussi, relève de la rébellion, de l’effraction. On ne fait pas de la littérature en masse, comme des moutons de Panurge ou par coup de décrets ou de dépôt des statuts à la préfecture la plus proche du domicile du président d’une association.

On me parlera des différents affrontements connus par notre pays. Voyons ! Les guerres civiles qui ont embrasé le Congo ne sauraient expliquer le tarissement actuel de la création littéraire congolaise. Ce ne sont pas les essais politiques creux et injurieux que certains écrivaillons du dimanche commettent qui me feraient croire que notre pays excelle encore en littérature. Il est facile d’aligner des insultes, mais difficile d’inventer un univers. Lorsque ces écrivaillons auront la hauteur du Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire ou de La prochaine fois le feu de James Baldwin, nous pourrons alors les applaudir même des pieds !

Les dictatures, les affrontement ethniques, les champs de guerre ont paradoxalement accouché d’œuvres sublimes ailleurs. Regardons l’Amérique du Sud, les écrivains comme Asturias, Vargas Llosa ou Garcia Marquez. Les plus beaux poèmes d’Aragon ont été écrits pendant la guerre, de même ceux de Prévert... Maxime Ndebeka n’aura jamais été aussi magistral que dans ses écrits commis pendant son incarcération. Qui ne se souvient pas de son célèbre poème 980.000 nous sommes ?...

Le Togo compte désormais des écrivains talentueux comme Sami Tchak, Kossi Efoui, Kangni Alem. On ne pourrait pas dire que ces jeunes aient reçu en récompense des bonbons glacés du ministère de la culture à l’époque d’Eyadema ! Ils ont ressenti la nécessité d’inscrire à l’encre indélébile les contours de leur création, et de faire ainsi des œuvres singulières qui propulsent tout d’un coup leur Nation parmi celles qui comptent en littérature dans notre continent.

Le Congo ? Il serait illusoire de compter sur une gloire passée, de dormir sur nos lauriers en nous astiquant le nombril avant d’éructer au petit matin avec le chant du coq. En littérature il n’y a pas de grade pour les anciens tirailleurs ou les vétérans du Vietnam. Les médailles n’apportent rien en la matière. C’est en empruntant les chemins de l’idéologie et de la démagogie que nous autres auteurs avons contribué à anesthésier nos Lettres et à ne plus offrir aux héritiers un projet littéraire digne de ce nom. La crise de la littérature congolaise doit être imputée à l’écrivain congolais lui-même. Il tourne en rond, parade, caquète, se vautre dans une paresse de gastéropode et ne voit pas le cours des choses arpenter d’autres directions.

Comment donc y remédier ? En écrivant autrement. En questionnant sans cesse le texte, l’univers. En disséquant nos anciens, crayon à la main. En regardant surtout ce qui se fait ailleurs, pas forcément dans nos 342.000 kilomètres carrés coupés en deux par l’Equateur.

Le critique Mongo-Mboussa

Comme le penserait Boniface Mongo-Mboussa ( en photo ci-dessus ), la littérature de demain sera celle de l’ouverture, de la confrontation avec d’autres univers. Il s’agit désormais d’apporter la touche congolaise au grand plat que nous offre l’éclatement du monde. Or le monde change, mais l’écrivain congolais est immobile, il se cabre, hésite à enjamber le fleuve, à traverser la mer, à prendre le premier navire. Et c’est ainsi qu’il perpétue la crise...

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