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La religion, une anomalie en France

ou comment dire sa foi dans un Etat laïque

La question peut paraître incongrue, mais elle est bien commode dans la bouche de Dominique Kounkou : la France serait-elle sectaire ? La patrie des droits de l’homme pratiquerait-elle le double langage, historique et sociologique : glorifiant un passé de libertés qu’elle n’a pas hésité à exporter et à imposer ailleurs parfois ; mais se chaussant d’œillères dès lors qu’il s’agit de convoquer dans les contours du quotidien un pluralisme qui ne serait pas complet s’il n’était pas - aussi - religieux ?

C’est en tout cas autour de ces questions que tourne le deuxième ouvrage de Dominique Kounkou. Dans une livraison récente, Gustave Bimbou (1) a rendu compte du premier jet de cet essayiste qui s’annonce prolixe. Car Dominique Kounkou n’est personne d’autre que ce Pasteur (protestant) et sociologue qui a déjà signé, à l’Harmattan et dans la même collection ’Théologie et vie politique de la terre’ : « Possible foi au cœur de la laïcité ». (1)

A vrai dire, il n’y a pas une rupture de trait entre cet ouvrage-là et le deuxième essai qu’il vient de faire paraître : « La Religion, une anomalie républicaine ? »(2). Le thème est toujours celui d’une quête de foi dans la différence, à l’abri des lambris protecteurs de la République française. Mais ici il pousse plus loin, mine de rien, cette exploration au cœur d’une société qui se sécularise, pour y déceler les manières d’y dire Dieu, et les manières d’y protéger les manières d’y dire Dieu. Et il est dans son élément !

En tant que responsable des communautés protestantes d’origine africaine de France, Dominique Kounkou sait mieux que personne pourquoi quand on parle « secte », il faut s’arrêter et poser la question deux fois. Et pourquoi, pour formuler et, surtout, pour comprendre la réponse il faut être doté des moyens intellectualo-spirituels pouvant faciliter le décryptage.

Le Pasteur Kounkou s’étend en effet à démontrer que la loi française récente de juin 2001 sur les sectes, est sinon une incongruité dans un Etat laïque qui proclame urbi et orbi et depuis 1905 sa séparation d’avec la religion, du moins une manière de délit d’incompétence. Car qui, dans un Etat sécularisé, où le fait de prier suscite d’emblée la suspicion, et où les médias se jettent comme des piranhas sur le moindre écart des religieux (de l’indélicatesse en matière d’impôts jusqu’aux crimes supposés ou réels de pédophilie) qui, donc, peut juger du fait religieux ? Sur quels critères et quelle sera l’étendue de la décision prise ?

Un médecin, membre d’une commission d’enquête pourra parfaitement déceler au nom de son savoir reconnu l’exercice illégal de la médecine. Mais que dira ce médecin en face d’un « miracle » de guérison, lorsque celui qui l’obtient n’est ni docteur soignant, ni membre d’une Eglise établie, et ne le fait ni à Lourdes ni à Lisieux ? Que dira le commissaire de police accouru pour « tapage », en face de disciplines proclamant avec exhubérance leur bonheur d’avoir été guéris par le « Tata ou la Mama Pasteur » en transes ?

Vous avez dit « secte » : che cosa è ? Si l’on ne doit pas forcément toujours recourir au mot de Luneau à propos de l’Eglise catholique qui ne serait, selon lui, qu’ « une secte qui a réussi », quel fondement systématique permettra le décernement infaillible du label et du contre-label ? A quel bureau faudra-t-il déposer le brevet de religiosité : à la poste, au commissariat, au sein d’une commission dont les membres ne savent pas même ce qu’est le catéchisme, au ministère de l’Intérieur ?

Dominique Kounkou a choisi une approche curieuse et originale, qui allie parfaitement sa fonction de Pasteur et sa qualité de sociologue, puisqu’il n’a rien fait d’autre que de laisser parler les gens. Le journaliste que je suis est resté sensible à la méthode de ce que nous appelons l’interview, et a lu l’ouvrage avec délectation, même si la démonstration peut soulever d’autres interrogations ici et là, comme nous le verrons à la fin. Ainsi, de cette Jeune mère Zaïroise en quête du Père de son enfant et qui se retrouve Pasteur(e ?), mais finit par avoir des démêlées avec la justice en France (et qui ne trouvera de répit ... qu’en Grande-Bretagne).

Ainsi de ce responsable de communauté qui apprend du jour au lendemain que son groupement figure sur la liste officielle des sectes. Ainsi de ce divorcé qui doit batailler fort pour démontrer qu’il est bon père et libre-penseur. Ainsi de ce psychiatre qui, ne sachant pas que les mots ont un sens (curieux pour un psy !) inscrit sur le fronton de son cabinet un titre qui par homonymie réveille d’autres réalités sectaires dans la bourgade…. Ainsi de ce musulman qui interpelle les catholiques - une fois n’est pas coutume ; en général ce sont les catholiques qui parlent de l’apathie des musulmans !- sur leur manque d’allant dans le combat - eh ! oui - contre le saturnisme en banlieue parisienne !

Des exemples à l’infini, qui sont autant d’expériences de foi essayée, vécue, proposée, reçue ou repoussée. Autant d’espaces de liberté occupés par des citoyens jouissant de tous leurs droits civiques, au nom justement de la liberté de conscience. Autant de mises en pratique des principes fondateurs d’une République française qui, je le répète, n’hésite pas à rappeler qu’elle fut la Patrie des Droits de l’homme.

Mais, précisément, parce que cet espace est républicain, que chacun a la prétention à y respirer l’air qui lui sied, la République s’est vue obligée de sévir et de réguler. Avec ses moyens pas toujours très délicats ; pas toujours très adaptés. Car trop de libertés tuent la Liberté, on le sait. Mais une liberté qui puise au livre le plus sacré, et uniquement, pour prétendre s’imposer par son seul sacré, court aussi le risque de se retourner contre ceux à qui on peut reconnaître le droit au refus de religion, à l’indifférence voire « à la mise en sommeil du transcendantal », pour reprendre l’autre.

« En tant qu’Eglise, nous ne sommes pas au-dessus de la loi. Nous sommes des citoyens, comme tout autre, nous respectons les lois qui sont votées, dès lors qu’elles ne vont pas à l’encontre de la loi suprême qui est la Bible », dit un Pasteur ivoirien interrogé dans les environs de Lyon.
C’est ici, me semble-t-il, que se situe la limite de la démonstration brillante de Kounkou.

Obéir aux lois de la République suppose abdiquer une partie de ses convictions de foi, sinon c’est le clash. La République est un espace commun de régulation et de protection ; c’est un dénominateur. Celui qui prie et celui ne le veut ou ne le peut pas devraient trouver en elle l’égale attente protectrice. L’adepte Témoin de Jéhovah qui refuse la transfusion sanguine à son fils malade se met en travers de la loi. Or, j’en connais y compris dans mon entourage familial, qui m’ont fait passer des nuits de veille pour me convaincre que c’est dans la Bible !

Un peu plus loin dans notre géographie et dans notre temps, c’est aussi dans la Bible que les Afrikaners d’Afrique du Sud ont puisé les arguments fondant et justifiant l’apartheid. Les sectes ne sont pas toutes sectaires, certes. Mais de celles qui sont un danger pour la société, la société doit se prémunir. L’Etat le fait imparfaitement pour le moment, mais on doit lui donner acte de la volonté de faire. Et, à défaut d’autre appellation, seront considérés sectes les groupements religieux qui nieront à l’individu sa capacité de raisonner sur lui-même et sur les autres ; de laisser sa liberté dire « oui » ou « non », d’abord à soi et ensuite aux autres.

Le Pasteur Kounkou a feint de croire que toutes les communautés de réveil se valent et ne sont animées que des intentions d’un altruisme divin. Gaie naïveté ou proclamation d’un principe ?

Benda Bika


(1)- Voir, Gustave Bimbou : Le Pasteur Dominique Kounkou a publié un livre, in Congopage (17 Janvier 2003)

(2)- Kounkou (Dominique), La Religion, une anomalie républicaine ? - Préface du Pr. Emile Poulat - Paris, l’Harmattan, 2003, 267 pages, € 22

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