Il y a des fortes probabilités que le nouveau Président de la France lundi prochain, soit le même : Jacques Chirac. L’ancien maire de Paris, le Gaulliste plus ou moins discuté, est devenu le moindre mal. L’implosion du paysage électoral français a « tué » Lionel Jospin et laisser le choix entre un Chirac et un Le Pen. Pour de nombreux militants de gauche, le vote sur Chirac est avant tout, le vote contre Le Pen.
Il y a fort à parier aussi que le score de Jacques Chirac sera fort, presque sassouesque. Tous ceux qui ne voulaient pas de son programme, de ses indélicatesses dans la gestion de la chose publique, de ses maladresses politiques feront le deuil de leurs récriminations pour assurer à l’actuel futur président un verdict en sa faveur, qui cloue le bec à Le Pen. Devant le manque d’enjeu d’une élection que l’on donnait jouée d’avance au premier tour, les Français se sont offerts un os à ronger : Le Pen !
Car, aussi paradoxal que cela soit, lundi prochain le Président sera Chirac, mais le vainqueur sera Le Pen. Tous ceux qui tablent sur un taux fort confortent cette vision : il faut barrer la route de la présidence à Le Pen. Mais l’intéressé sait décrypter cet amour/haine : il ne pense pas pouvoir gagner, mais prédit un « score honorable ». C’est donc que pour lui l’enjeu est ailleurs. Car il est effectivement ailleurs.
L’avancée brutale de Le Pen au devant de la scène politique en France, dans le pays qui s’était bâti une réputation de donneur de leçon, a apporté comme une caution de visibilité à tous ceux qui professaient tout bas des idées nazies, xénophobes ou racistes. Le Pen est devenu leur caution morale. Tous les extrémistes européens de droite ne s’y trompent pas : Le Pen a montré, 57 ans après la défaite de l’Allemagne hitlérienne, qu’ils peuvent encore y croire. Qu’ils peuvent rentrer dans l’Histoire par la grande porte, cesser d’être des marginaux infréquentables.
Pour nous, Congolais, l’élection de l’un ou de l’autre ne changera pourtant rien. Car ce n’est pas tant l’arrivée hypothétique d’un Le Pen à l’Elysée qui bouleversera la donne, et nous transformera subitement en cibles mouvantes d’une déferlante brune qui nous pourchasserait jusqu’aux passerelles des avions-charters. Cette réalité-là peut au moins être contenue par les règles internationales et les lois. Même avec Le Pen, la France ne cessera pas d’être un Etat de droit.
Ce qui ne changera pas par contre, c’est l’esprit : le lépénisme. Or, celui-là, il a précédé son maître ! Les idées de Le Pen, véritables horreurs il y a une décennie, sont devenues des banalités aujourd’hui. Préférer ses compatriotes de même race ; parquer les étrangers dans des camps de concentration ; vider l’Europe de ses immigrés, ne sont plus des choses impossibles. En maints endroits, à Sangatte comme à Ceuta ou à Brindisi, elles ont même reçu un début de concrétisation.
Ce n’est pas Le Pen, mais bien Charles Pasqua qui a inventé les charters de refoulement. Pas Le Pen, mais bien Michel Rocard qui a parlé de ne pas faire de la France « la poubelle de toutes les misères du monde ». Un peu ici, un peu là : à gauche comme à droite, Le Pen a essaimé et chaque pan de France a choisi qui la sécurité, qui les allocations familiales (à refuser aux familles d’un délinquant), qui la préférence nationale. C’est tout ça la France !
Le Congolais a été confronté à Le Pen bien avant le 21 avril. Voyez les humiliations subies à l’ambassade de France à Brazzaville ; les contorsions de Elf Aquitaine dans le pétrole qui est pourtant souverainement le nôtre ; le mépris dont on fait l’objet aux aéroports de France (et même du Congo où les fouilles sont opérées par des Français !) : c’est un peu de légalité, un peu de zèle, un peu de racisme, un peu de colonisation révéillée, de paternalisme : c’est à dire Le Pen qui gagne toute une société.
Benda Bika
