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Le dire ou pas

Il me semble que nous nous sommes enfermés pour longtemps dans les mots qui nous désignent comme des incapables à vivre ensemble. Chaque fois que nous en avons l’occasion, nous éclatons des mille feux, nous illustrant dans la violence infligée, attribuée, entretenue, consolidée : un viatique sur la voie où nous devons écraser tous les autres qui ne sont pas nous.

La question que je me pose toujours est : y a-t-il catharsis à nous envoyer les préjugés les uns les autres ? C’est à dire, dit autrement, y a-t-il un intérêt quelconque à dire le non-dit, à porter sur la place publique les scories dont nous parons les autres, à entretenir notre tribalisme de mille manières et à justifier par les autres les maux que nous infligeons avec aplomb, sans nous remettre en cause d’une quelconque manière ?

Disons-le tout net, sans passer pour le prêchi-prêcha que je ne veux pas être : y a-t-il un intérêt quelconque au tribalisme ? Je veux dire : arrivera-t-il un jour que nous puissions, tel le judo qui prend appui sur la force de l’autre, nous servir de ce mal en chacun de nous pour aboutir au bien de nous tous ? Chacun est libre de répondre.

Je constate que les préjugés que nous entretenons les uns sur les autres ont la vie dure. J’étais de ceux qui, naïf, croyaient que le Congo avait atteint le fond. Nous avons piétiné les cadavres, pilé les bébés, soupesé ce que valaient notre voisin de quartier en terme de violence subie ou infligée. Nous avons monté des milices, les avons usées contre les autres. Nous nous sommes déversés les pires insanités, et pas seulement à la Conférence nationale. Nous avons organisé des élections ; avons triché quand nous avons pu ; avons formé et déformé les gouvernements de transition ou de large union.

Je croyais que nous avions enfin atteint l’état où, ayant tout essayé dans la perversité, il ne nous restait plus qu’à promener nos yeux grands ouverts sur tout marchand d’illusions. Et à nous tenir, qu’on soit à Talangaï ou à Bacongo ; à Moutabala ou à Mpila, tous droits comme un « I » face à tous ceux qui nous useraient encore, pour leur dit : « passez votre chemin, nous avons donné ».

Rien de tel ne se profile. Au contraire !

Alors que nos pères pouvaient avoir l’inconvénient du peu d’alphabétisation et du manque de mobilité qui caractérisait leur époque, aujourd’hui nous sommes des tribalistes plus acharnés qu’eux. Nous avons voyagé, conquis des diplômes, acquis des positions : nous en sommes toujours à mouliner des :

 Les Mbochis ne sont que vol, cupidité et dépravation

 Les Laris (puisque nous les tenons pour leur vis-à-vis obligés), que des arrogants imbus d’eux-mêmes qu’il faut écarter

 Les Bembés, de violents manieurs de machettes dont il faut se méfier toujours

 Les Vilis, des débonnaires suffisants qui passent pour raffinés

 Les Tékés, des sous-hommes qui n’ont droit à rien

 Les Katangais (habitants de la Likouala) les spécialistes des sales œuvres de la République

Complétez, la liste est ouverte. Elle fait mal et ne mène nulle part. Sinon à renforcer la méfiance envers les autres. Et à les prendre comme globalement fautifs, ou globalement victimes. C’est à dire à les placer dans la catégorie qui justifie les génocides et les contre-génocides.

Benda Bika

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