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Les Congolais et l’art de « se balancer sans balançoire »

Je voudrais m’attarder sur le constat de Lucien Pambou dans sa Réponse à BURKINA FASO : L’AFRICTIVISME EST AU POUVOIR ! (26/06/2018 Congoliberty) et qui nous signale à juste titre qu’« Il y a eu un débat émergent sur la forme de l’Etat futur à construire au Congo. Deux courants sont apparus, l’un pour un Etat unitaire mais décentralisé et l’autre pour un Etat fédéraliste.  ». Il m’est difficile de ne pas réagir face à cette question qu’on nous présente désormais comme incontournable dans le débat sur la reconstruction du Congo. Elle illustre de façon éclatante combien nous sommes passés maîtres dans l’art de « se balancer sans balançoire  ».

D’abord, les protagonistes de ce débat réduisent la question de l’Etat, essentielle dans le cas du Congo, à une question politique. Il suffirait à les entendre, pour sortir de notre calvaire, de trouver la bonne forme d’Etat, fédéraliste pour les uns et unitaire centralisé ou décentralisé pour les autres. Par où ils entérinent l’idée que le plus important, dans le cas du Congo, est l’introuvable «  bonne » Constitution qui donnerait à l’Etat congolais la forme qui lui convient.

Or, il est clair que ce n’est pas la forme d’Etat qui pose problème chez nous mais l’idée même d’Etat. En tant qu’entité juridique et non seulement politique, l’Etat requiert le primat du droit sur la morale, il exige la conversion du sujet moral en sujet de droit, de l’homme en citoyen qui accepte l’idée que le droit doit prévaloir sur toute sorte d’arrangement interpersonnel : népotisme, proximité ethnique, gérontocratie, droit d’aînesse, copinage, etc. Un Etat, cela signifie des «  institutions fortes », et de telles institutions supposent un citoyen bien éduqué qui a intégré et accepté l’universalité de la loi. Quand Barack Obama déclarait que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes » tout le monde a applaudi mais personne n’a mesuré ce que ça coûte. Le prix à payer c’est le renoncement à notre vivre ensemble qui privilégie la relation personnelle au profit du droit impersonnel. Or je doute que les Congolais soient prêts à cela, à commencer par nos « démocrates » qui, il faut le dire, ne détestent pas tant Sassou que le fait qu’ils en soient les victimes.

En effet, chacun peut reconnaître chez nous, sans que cela soit une critique, le règne dans la vie sociale et politique des solidarités primaires : ethniques, familiales, associatives, etc, parce que le droit est défaillant. Défaillance du droit voulue et savamment entretenue non seulement par une classe politique mais aussi et même surtout par toute cette masse de lettrés vivant du parasitisme étatique et qui a intérêt à maintenir le statu quo et à bloquer l’évolution de notre société pour continuer à marginaliser et exploiter l’ignorance de nos va-nu-pieds des villes et des campagnes. L’illettrisme chez nous relève d’une stratégie d’abrutissement et de domination des populations. D’où l’urgence d’une « force légale » qui, d’une part, doit rétablir l’école obligatoire afin que l’instruction ne soit plus un privilège réservé aux profiteurs de la République et, d’autre part, doit, selon la belle formule de Rousseau, « forcer le citoyen à être libre », c’est-à-dire le contraindre à respecter les lois qu’il a lui-même acceptées.

C’est dire que la misère politique congolaise ne vient pas d’une soi-disant forme d’Etat mal adaptée à notre société mais du fait que chez nous toute la société résiste à l’idée que le citoyen devienne avant tout un sujet de droit et dise adieu à tous les avantages sociaux que lui procurent ses connaissances personnelles lesquelles lui permettent d’échapper à la rigueur du droit. Vous voulez vous faire délivrer un passeport, eh ben, moi je connais quelqu’un qui travaille à la préfecture, retirer de l’argent à la banque, il faut voir mon cousin qui est directeur à la banque, là où tout le monde fait la queue, par exemple à l’aéroport, il y a toujours quelques « parisiens  » pour vous brûler la politesse parce qu’ils connaissent le colonel x, y ou z ……… Et tous nous participons et prenons plaisir à ce jeu qui sape et ruine définitivement le triomphe du droit. Il ne sert à rien de nous réfugier dans des idéologies fédéralistes ou centralistes pour fuir nos responsabilités. Il nous faudra nous faire violence et accepter de mettre notre ethnicité à sa juste place dans nos rapports avec la loi. Il y a donc un travail long et difficile qui se présente à nous pour transformer le Congolais en citoyen et lui faire accepter l’idée que tout le monde serait gagnant dans cette transformation. C’est certes plus difficile que de vouloir remédier à la déliquescence de notre société par un coup de baguette constitutionnel en fédéralisant le Congo. Mais justement : « ce n’est pas le chemin qui est difficile mais le difficile qui est le chemin ».

ZIKA WA ZIKA

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