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Les mains sales

L’Editorial de Benda Bika

Non, rassurez-vous : je ne vais pas réécrire Sartre. Mais la réflexion qui suit m’a été inspirée par des considérations agaçantes, de la part d’amis et de personnes « bien », qui croient définir une ligne de conduite idéologique en assénant quelques paroles en l’air. Je porte ces réactions à votre connaissance, en pensant que vous aussi, peut-être, avez tenu des propos du genre, ou bien que le fait qu’on les ait tenus devant vous a laissés quelque peu dans l’expectative.

« Je ne dirai jamais bonjour à quelqu’un qui a les mains sales », viennent de me dire deux amis.

Vous l’avez compris : il ne s’agit pas d’hygiène ici, mais de politique. Et les mains sales auxquelles on se réfère renvoient à tous nos politiciens, couverts du cambouis de la corruption - sport national - ou alors, pire, les mains dégoulinant du sang de nos parents, victimes innocentes. Sassou (parce qu’il est au pouvoir en continu), Lissouba, Kolélas etc... seraient donc des personnages infréquentables pour leurs culpabilités avérées.

La question est toutefois : dans quelle mesure ne les avons-nous pas aidés ? Dans quelle mesure ne sommes-nous pas complices avec eux de tous les crimes qu’ils ont commis ? Et, surtout, comment s’en tirera notre conscience à départager ceux qui sont les principaux commanditaires et la cohorte de tous les seconds couteaux ? Tel est virulent contre Sassou, Lissouba, Kolélas, qui pourtant trouve des circonstances atténuantes à celui qui a travaillé à leurs côtés. Peut-on avoir les mains sales et vivre dans l’entourage du cambouis ; le servir avec zèle ?

La semaine dernière, nous relevions que le Congolais souffre surtout d’un déficit d’indignation. Telle la grenouille de nos laboratoires, l’alternance du chaud et du froid finit par lui présenter l’horrible sous des traits accommodants. Kiganga ? Mais il voulait prendre le pouvoir ! Diawara ? Bien fait pour ce Che Guevarra des tropiques ! Anga ? Voilà un gueulard qui a mérité son compte ! Quand l’indignation devient sélective, elle équivaut à presque rien. Ou nous souffrons vraiment de la violatioon des droits de l’homme chez nous - de tous les hommes - ou nous faisons semblons.

Je n’irais pas jusqu’à suggérer que les peuples n’ont que les dirigeants qu’ils méritent. Ce serait faire injure à nos amis d’Ouganda qui ont souffert d’Idi Amin Dada. Ce serait faire injure à nos cousins de Centrafrique avec Bokassa. Mais quelque part, nous avons émoussé notre capacité à reconnaître le mal sans adjectifs. Ou à ne le voir que chez ceux qui ne nous plaisent pas. La conséquence est que nous créons les conditions d’un balbutiement des choses, d’une répétition de l’histoire.

Pour assainir la vision des choses, il faut des critères qui nous fassent reconnaître le mal partout où nous le verrions. Chez les opposants (qui ne sont pas devenus des saints du fait de leur seule opposition) comme chez les « mouvanciers ». Parce qu’ils sont les hommes et les femmes d’un système où l’alternance ne joue pas à fond. Et parce que, aussi, nous restons le même peuple qui a hué Untel et qui l’a applaudi ensuite.

BB

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