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Martin MBERI et la crise congolaise : « il faut... ! »

Par Justin Lembou

Voici une interview réalisée par un de nos correspondants au pays. L’interviewé est bien connu de notre vie politique, puisque ce n’est personne d’autre que Martin Mberi, homme-lige de notre actualité depuis 1965. Il était ministre d’Etat sous Lissouba ; ministre aussi sous Sassou (1 et 2) ; il est passé d’un camp à l’autre, a été taxé de trahison. Il nous livre ici ce qui pourrait être sa part de vérité. Et il le fait dans le pur style congolais de dire la politique : langue de bois, incantations, oubli de ses propres fautes, noyer le poisson. Nous reproduisons cette prise de parole en laissant à chacun le soin de se faire son idée. BB

De plus en plus de voix s’élèvent tant dans l’opposition que dans le camps du pouvoir pour dénoncer la crise socio-économique qui sévit dans le pays. Quelle est votre appréciation de cette situation ?

Martin Mberi : Je voudrais faire remarquer que la situation catastrophique de l’économie du pays, nous la vivons depuis près de 20 ans. Beaucoup de gens en sont conscients. Le problème c’est que les nombreuses solutions proposées n’ont pas été bonnes. Cela fait qu’à chaque étape les choses se sont aggravées.
N’oubliez pas que lorsque la guerre de 1997 intervient, l’une des raisons évoquées c’est que l’économie du pays était par terre. Les gens disaient que Lissouba avait tout dilapidé...Aujourd’hui, si on s’arrête un peu et qu’on observe le pays, on dira aussi que Sassou a tout dilapidé. Cela devrait nous amener à réfléchir. Le constat selon lequel l’économie du pays ne marche pas n’est pas faux. C’est, je le répète, le continuum d’une action qui dure depuis 20 ans. Malheureusement, nous n’avons pas encore trouvé la cause du mal.

Et c’est qui ou quoi la cause du mal, à votre avis ?

Martin Mberi : A mon avis, la cause du mal c’est l’Homme. Dans un pays où la fraternité n’existe pas. Dans un pays où l’injustice et la discrimination entre les citoyens sont devenues presque une règle, comment voulez-vous que les hommes se mobilisent pour prendre à bras le corps les problèmes de leur pays ? Cela devient impossible !
Dans tous les pays du monde, même de vieux pays comme la France, les dirigeants parlent de l’unité nationale. A plus forte raison dans un pays jeune comme le nôtre, avec à peine 44 ans d’indépendance. Surtout que nous avons derrière nous plus de 12 guerres, plus farfelues les unes que les autres. Malheureusement dans notre pays toute la vision de la classe politique c’est la vision ethnique. Alors dans ces conditions, l’économie ne peut que s’écrouler.
Il y a des pays de même niveau que nous qui ont traversé les même problèmes et ont fini par s’en sortir. Quand vous observez ces pays, vous vous rendez compte qu’ils ont réussi parce que l’unité était beaucoup plus forte, parce que les gouvernements étaient mieux suivis et élus dans de bonnes conditions. Alors que chez nous, dans les 24 heures qui suivent les élections, le gouvernement n’est plus celui de tout le monde, mais celui de ceux là...le gouvernement du nord, du sud, etc.

Alors : comment faire pour que le pays s’en sorte ?

Martin Mberi : Le grand problème c’est qu’on n’arrive pas à mobiliser les populations de manière conséquente sur les problèmes du développement : voilà à mon avis le véritable problème. C’est à ce moment là qu’intervient la responsabilité de toute la classe politique. Ainsi on peut alors se poser des questions : avons-nous intérêt à organiser des élections truquées ? Avons-nous intérêt à tricher ? Déjà on sait que cela va démobiliser les populations par la suite. Avons-nous intérêt à faire des coups d’état, du moment qu’on sait qu’au bout du compte ça va démobiliser les populations ? Si le but à atteindre c’est d’arriver au développement, alors avec ces méthodes nous n’arriverons jamais au développement. Notre crise économique continuera à se perpétuer, parce que les gens, au lieu de s’engager dans le travail, seront distraits. Ils continueront à rêver.

Finalement, vous vous remettez en cause en tant que homme politique ?

Martin Mberi : En recherchant les causes et les solutions à cette crise nous les hommes politiques, la classe politique dans son ensemble, on ne s’est jamais remis en cause. Cette solution on ne l’aborde jamais, parce qu’ en l’abordant on se met en cause nous-même, ce qui pourrait nous disqualifier.
Mais le malheur du Congo, c’est que quand on regarde à côté c’est comme s’il n’y avait pas de gens qualifiés pour faire mieux. Tout simplement parce que pendant plus de 20 ans nous avons tué nos propres enfants. Il y a eu une espèce de barbarie politique. Des gens intelligents ne peuvent pas faire la politique dans ce pays, parce qu’ils ont peur pour leur vie, pour leur avenir. Donc sans le vouloir nous avons écarté de la chose publique les esprits les plus éclairés, les plus intelligents. Comme ils savent qu’ils peuvent gagner leur vie ailleurs, alors ils évitent de se mêler de ce qui ne peut leur apporter que des ennuis. Le système a donc tué toute possibilité de production et de reproduction qualitatives d’un bon système. Partant, il n’y a que les médiocres qui peuvent être dans un système comme celui qui prévaut-là.

Quelle solution pouvez-vous esquisser pour sortir de la crise économique ?

Martin Mberi : Moi je pense que la solution n’est pas seulement économique. Il faut plutôt que le peuple congolais se réconcilie avec lui-même. Il faut qu’on revienne aux règles simples de fraternité. Il faut qu’on civilise la vie politique. Il faut que, quel que soit celui qui gagne, il soit le chef de tous les Congolais. Il faut qu’on ait la patience de respecter les règles communes que nous mettons en place. A ce moment là, peu à peu, la convivialité, la confiance entre nous reprend corps, et le reste s’en suivra. Mais aller chercher la solution dans les calculs économiques, c’est se tromper. Voilà 20 ans que les mécanismes, les solutions économiques en soit ont tous échoué.
Quand vous-mêmes les chefs politiques vous n’avez pas le sens du bien public et que vous dilapidez tout, quand il y a l’impunité, c’est l’échec. Au centre de tout c’est d’abord l’homme, je ne cesse de le dire.
Par ailleurs, la première des choses c’est de laisser prospérer les Partis politiques. Développer la tolérance dans le pays. Respecter les mandats électoraux. Laisser les coups d’état qui ne font que retarder le pays. Ensuite, il faut revoir, mais alors revoir totalement la question ethnique. Telle qu’elle a été initiée à l’indépendance, c’est une mauvaise interprétation qui nous plonge dans des interminables divisions.
Une fois cette question de confiance et de conscience humaine réglée (ça prendra du temps), il y aura la conjonction de toutes les forces. Les solutions économiques associées à l’homme permettront au pays de se relever.

Justin Lembou

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