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Mgr Ernest Kombo : un évêque incompris

Aux lecteurs de Congopage, je voudrais proposer un extrait de mon livre paru le 8 janvier 2009 sous le titre : « Le germe et le terreau. Quête identitaire d’un prêtre ». C’est le 2e volet d’une trilogie portant sur la communication comme message (voir « L’éditorial dans la presse chrétienne », l’Harmattan, 2007, 289 p.), l’émetteur (mon essai autobiographique, l’Harmattan, 2009, 300 p.) et récepteur (à paraître).

Pour coller à l’actualité du décès de mon ancien évêque Mgr Ernest Kombo, je sélectionne les pages à travers lesquelles je rends, à ma façon, un hommage appuyé à un évêque aussi déroutant qu’incompris, mort comme il a vécu : dans la polémique. Plus que jamais je crois à la réconciliation.
Avec Mgr Ernest Kombo, un malentendu a perduré le temps de ma mission d’études et de pastorale en Occident, au sujet de la bourse d’études qu’il n’avait pu me trouver. Cela m’avait poussé à lui adresser en 1994, sous l’effet de la colère, une lettre assez impertinente. En 2002, nous avons aplani nos différends et réalisé que ce n’était qu’un simple problème de communication. Nous n’avions pas forcément la même vision de choses, ce qui a fait dire aux mauvaises langues que j’étais contre l’évêque. Je sais distinguer la personne de ses idées. La réconciliation scellée, nous avons arrêté en avril 2008, l’évêque et moi-même, le principe d’un « livre entretien » sur sa vie. « Ce sera uniquement sur mes vingt-cinq ans d’épiscopat que j’accomplirai l’an prochain », a-t-il insisté. Entre-temps en août 2008, lors du lancement de la version canadienne de mon essai autobiographique à Montréal, je lui ai suggéré de me communiquer le message qu’il jugeait important à transmettre aux compatriotes congolais. « À la suite du Christ, invite-les à s’aimer les uns les autres », a-t-il déclaré, avant d’enchaîner : « L’Africain a tellement souffert de l’humiliation et du mépris dus à la traite, à l’esclavage et à la colonisation qu’il a fini par intérioriser ce sentiment-là. La conséquence est qu’il se méprise lui-même et méprise son homologue. Ce qu’il faut, c’est s’estimer soi-même et estimer les autres ».

Affaibli par la maladie, Mgr Kombo n’a pu effectuer le pèlerinage du Canada où il pensait aller prier avec le Renouveau charismatique. Et j’avais pris des dispositions pour l’accueillir.
Le lendemain de mon arrivée à Paris, le 27 septembre, je lui ai rendu visite à l’hôpital militaire de Val de Grâce. Quel choc ! J’ai regretté de n’être pas arrivé plus tôt. Lui avait bon espoir qu’il guérirait. En présence du père Gaétan Kiyindou Mayama, mon fils spirituel, après que je lui ai imposé les mains et prié avec lui et pour lui, le prélat a dit que le lieu n’était pas propice pour un entretien fructueux : « Lorsque je sortirai de l’hôpital, nous serons mieux au 42, rue de la Grenelle, chez les Jésuites ».
Hélas, le 22 octobre 2008, Dieu a décidé d’accueillir dans sa demeure son serviteur.

Ce que je retiens de lui, c’est qu’il a réalisé au soir de sa vie l’importance de la critique. Pour preuve ce conseil qu’il m’a prodigué après la lecture de mes ouvrages, comme s’il voulait se faire pardonner ce trait de caractère qui lui a fait énormément défaut : « Maintenant que tes livres sont sur le marché, sois ouvert à la critique, à la contradiction ». Il savait de quoi il parlait, lui qui a été, à tort ou à raison, l’objet de nombreuses critiques et a suscité bien des controverses.

En me recueillant devant sa dépouille mortelle, je me remémorais un entretien téléphonique au cours duquel il disait être « empoisonné » par tous les problèmes qu’il a connus dans les diocèses successifs de Nkayi, Pointe-Noire et Owando dont il était en charge. Alors qu’il a vécu dans une famille où l’amour était très présent, Mgr Ernest Kombo ne ressentait pas le même sentiment de la part de quelques-uns de ses prêtres, voire de ses confrères évêques. Il en a souffert. Quand bien même, le bruit a couru que des gens priaient pour qu’il meurt, - je ne sais quel Dieu - il est resté serein. Je lui ai conseillé de s’appuyer sur Dieu et sur les personnes qui l’aimaient et dont je faisais partie. Bien que des voix s’élevaient pour qu’il présente sa démission au Pape, il a administré courageusement son diocèse jusqu’au bout, et ce malgré la douleur physique (cancer de l’estomac) et morale (lutte contre la mort loin de ses terres dans la quasi-solitude) qui le rongeait.
Il est allé jusqu’à me demander de l’aider à placer deux de ses prêtres, l’un au Canada et l’autre aux États-Unis d’Amérique, pour une expérience missionnaire dite Fidei Donum (don de la foi). Je ne pouvais évidemment ignorer la même chance qu’il m’a donnée de vivre avec enthousiasme dans le diocèse d’Owando, laissant une partie de son cœur avec moi dans la paroisse de Djambala … synonyme de l’affection de l’apôtre Paul pour Timothée, son exhortation à la fermeté dans la foi et à la constance dans le ministère pastoral. J’ai voulu lui rendre hommage. Dieu ait son âme ! Ce qu’il a accompli ne sera pleinement apprécié à sa juste valeur que bien plus tard.
Peut-être devrions-nous, entre-temps, commencer à cerner la pensée de ce bulldozer qui ouvrait plusieurs chantiers à la fois ! Est-ce cela qui lui faisait oublier de temps à autre la pastorale au sens classique du terme : le pasteur invité à paître les brebis du Seigneur ? Par exemple, lors des visites pastorales le livre de comptes l’intéressait davantage que le registre des sacrements ou le cahier journal, comme pour nous rappeler qu’il était expert en gestion. Que ce soit sur le plan du pays ou de l’Église, il se pose souvent le problème de gestion des ressources naturelles, humaines, matérielles et financières.

En définitive, j’estime qu’on devrait pardonner à Mgr Ernest Kombo l’erreur (de jugement) d’avoir refusé d’être inhumé, conformément à la législation de l’Église, dans sa cathédrale d’Owando. Le précédent de Mgr Georges Firmin Singha, alors évêque de Pointe-Noire, qu’on a enterré à Boundji ne saurait servir d’alibi. À mon sens, le choix du mausolée Marien Ngouabi - aux côtés des restes du président Alphonse Massambat-Débat -, mentionné dans son testament, relève plutôt de l’anecdote, au même titre que la proposition qu’il fit en 1994 à Jean-Paul II d’admettre les femmes, à défaut de la prêtrise, au cardinalat. Suggestion intempestive à laquelle le Pape préféra se montrer ironique : « Un évêque congolais nous a fait rire ». Parti pour la Maison du Père, Mgr Kombo continue à faire réfléchir…

Philippe Mabiala, prêtre-communicateur et théologien

Extrait de son essai autobiographique : « Le germe et le terreau : quête identitaire d’un prêtre, » l’Harmattan, 2009, p. 140-142.


Le germe et le terreau
Quête identitaire d’un prêtre

Philippe Mabiala

« Autobiographie intellectuelle », selon l’expression de l’auteur, Le Germe et le terreau , avec un généreux mélange de genres littéraires, se veut holistique et récapitulatif de la vie de l’homrne, du prêtre et de l’intellectuel soumis aux réalités de la vie de l’âme et du corps. Comment être prêtre en Afrique ? Comment être prêtre africain en Occident ? Le livre est une analyse convaincante et touchante sur la vocation de prêtre.
Le père Philippe Mabiala fait œuvre de conteur qui sait enchanter, d’analyste politique de trois continents, de critique des mœurs sociales, culturelles, politiques, religieuses de divers peuples, de théologien qui pose les questions pertinentes avec une franchise qui peut parfois choquer. Quelle richesse dans la diversité ! Quelle culture qui sait multiplier les citations et références à des sages, chercheurs ou poètes de tant de cultures diverses ! L’œuvre se lit comme un livre de confidences, en forme de dialogue, technique qui a le mérite de circonscrire avec clarté les différents sujets abordés : amitié, bénévolat, célibat, maladie mentale, mariage, racisme, sport, etc. Le Germe et le terreau examine « le cas particulier qui est une porte sur l’universel  ».
Cet ouvrage est le deuxième d’une trilogie portant sur la communication comme message (voir L’éditorial dans la presse chrétienne, 2007), émetteur (essai autobiographique) et récepteur (à paraître).

Philippe Mabiala
Le Germe et le Terreau
Quête identitaire d’un prêtre

éditeur, Paris 2009
Collection : Religions cultures et sociétés
ISBN : 978-2-296-07594-8
28€ - 300 pages


L’auteur

Philippe Mabiala. Ph. D, est prêtre-communicateur du Congo Brazzaville.
Après une dense expérience pastorale en Afrique comme curé, il a parachevé sa formation intellectuelle en Occident. Tout en exerçant son senlice pastoral au Québec (Canada), il s’est spécialisé en communications sociales de l’université Saint-Paul d’Ottawa et a soutenu une thèse de doctorat en théologie au Collège dominicain à Ottawa.
Il est membre de l’Union catholique internationale de la presse (UCIP).

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