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Roman

Ne brûlez pas les sorciers

Représentations magiques

Dans son premier roman, qui vient de paraître aux Editions L’Harmattan, Donatien Baka met l’accent sur le poids des croyances dans la vie sociale. Avec ce que cela suppose, parfois, de dérives dramatiques, comme celle qui consiste à vouloir punir à mort, y compris par le feu, toute personne accusée de sorcellerie.

Par Solange SAMBA-TOYO

Originaire du Congo-Brazzaville, l’auteur, titulaire d’un doctorat en Géologie appliquée (Option Métallogénie) de l’Université de Nancy (France), a fait carrière dans l’industrie minière et dans le pétrole comme Chef Géophysicien. Il vit aujourd’hui entre le Congo, le Togo et la Grande-Bretagne. Observateur attentif de la société en général et du quotidien des Africains en particulier, Donatien Baka nous explique, ici, ce qui a motivé ce roman palpitant. Interview.

Pourquoi avoir écrit “Ne brûlez pas les sorciers” ?

Si le cadre de ce livre est un pays imaginaire, le titre ne l’est pas. Dans beaucoup de pays d’Afrique est apparu un phénomène nouveau qui consiste à infliger la pire des sanctions à tous ceux qui sont soupçonnés d’avoir téléguidé la mort de quelqu’un. Cette sanction, c’est la mort par tous les moyens, notamment le feu. Il était temps d’attirer l’attention sur un tel phénomène.

Comment résumeriez-vous, en quelques phrases, votre roman ?

L’histoire se passe dans un pays imaginaire, l’aFric, nom donné par les premiers explorateurs qui avaient estimé qu’il était pauvre et dépourvu de fric, d’où le privatif “a” devant le mot Fric ; aFric, pays sans frics. Là-bas, le poids des croyances, religieuses ou ancestrales interfère dans la vie sociale de façon dramatique. À cause de ces croyances, les aFriqués – c’est ainsi qu’on appelle les habitants de ce pays – sont donc convaincus que la maladie naturelle n’existe pas, encore moins la mort naturelle. Ainsi, lorsque Lopo, personnage principal du roman tombe gravement malade, son entourage immédiat pense que c’est le fait des mauvais esprits, qu’il faut combattre soit par la prière, soit par le pouvoir des marabouts. Le malade est ainsi ballotté entre d’une part des chapelles de fortune qui dans ce pays poussent comme des champignons avec la réputation de faiseuses de miracles et d’autre part des “cabinets” de féticheurs, eux aussi en pleine expansion. Mais tout cela n’y fait généralement rien. Au contraire ! La maladie s’aggrave et lorsqu’on pense à aller à l’hôpital, il est souvent trop tard et l’inévitable arrive toujours : la mort. Et comme il n’y a pas de mort sans sorcier, gare au membre de la famille ayant un âge avancé ou un statut social au-dessus des autres : frère, oncle, père, mère et, surtout, grand-père et grand-mère. Tout le monde est soupçonné. Et une fois qu’une certaine opinion a choisi son coupable, la sentence est immédiate. Sans autre forme de procès, il est battu à mort ou brûlé vif, comme le père et la mère de Lopo.

Vos personnages sortent-ils complètement de votre imagination ou vous êtes-vous inspiré de la vie réelle ?

Beaucoup de scènes contenues dans ce livre sont des faits vécus, même si elles ont été plus ou moins romancées afin que certains acteurs ne s’y reconnaissent pas. D’autres sont purement et simplement le fruit de mon imagination.

Vous développez beaucoup, dans votre roman, d’autres thèmes, telles les veillées mortuaires. Pourquoi ?

A l’origine conçues pour assister et consoler la famille éplorée, les veillées ont pris l’allure de fêtes foraines qui attirent toutes sortes d’individus, dont bon nombre n’ont absolument rien, alors vraiment rien à voir avec le défunt ni avec ses parents, et dont les motifs de participation sont aussi étranges que variés. C’est ce que j’appelle une “veilléemania”.
J’insiste aussi sur le traitement des veuves par la famille du défunt. Toujours dans ce pays imaginaire, le sort réservé aux veuves est tout simplement inhumain. Depuis le jour du décès du mari jusqu’à l’enterrement, elle est victime de mauvais traitements, allant parfois jusqu’à la privation de repas. Et lorsque arrive le moment du partage de l’héritage, la veuve et même les orphelins n’ont souvent pas la meilleure part, quand ils ne sont pas purement et simplement chassés du domicile familial. Conséquence logique de cette attitude, les orphelins de Lopo deviennent des enfants de la rue, ce qui est un autre sujet largement évoqué dans le livre.
Le lecteur découvrira bien d’autres sujets abordés dans ce livre et Dieu seul sait combien il y en a. Vous savez, c’est mon premier roman, alors j’ai eu envie de tout déballer.

On vous sent quelque peu accablé par le fait que la société n’accorde pas beaucoup d’attention aux phénomènes que vous dénoncez…

Malheureusement, la société dans son ensemble approuve ces sanctions mortelles. C’est là qu’intervient le poids des croyances. Car beaucoup, dans la société, du responsable politique au simple citoyen, croient que la mort est toujours le fait d’un mauvais esprit. Cela n’est pas nouveau en aFric. Car depuis la nuit des temps, le “sorcier” a toujours fait partie du décor. Ce qui est nouveau et qui devrait interpeller les autorités et la société, c’est la sanction infligée aux prétendus sorciers.
Cette question soulève un autre aspect non moins important : la persistance à penser qu’aucune maladie, qu’aucune mort n’est naturelle aboutit au fait que beaucoup de gens dans la société pensent que même le sida est transmis par le sorcier. Imaginez les conséquences d’une telle attitude !

Votre roman ne dépeint-il pas l’Afrique sous un angle trop pessimiste ?

Je vous ai dit qu’il y a dans ce livre des scènes vécues. Il y a donc une certaine réalité, bonne ou mauvaise, qu’on ne peut nier. Du reste il n’y a pas que du mauvais. J’insiste, par exemple, sur la solidarité des aFriqués dans le malheur. C’est là une qualité non négligeable. J’ai écrit ce livre pour attirer l’attention sur un problème qui est réel mais qui semble méconnu de beaucoup de gens.

Ne brûlez pas les sorciers
 par Donatien Baka
 Ed. L’Harmattan, 2007, 208 pages

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