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Nos morts

A force de mouliner des paroles creuses, nous en venons à oublier nos devoirs. Le premier est celui de faire mémoire. C’est à dire de nous rappeler qu’un certain jour de folie, contextes atténuant ou aggravant, l’un de nous a pris la décision d’ôter - ou de faire ôter - la vie à un Congolais, et de s’en aller, calme, par les rues proclamer : c’est fait, tant pis !

Nous sommes, 43 ans de vie en communauté congolaise après, à regarder vers un avenir qu’on nous promet sous tous les tons : radieux avec la Nouvelle espérance aujourd’hui ; rutilant avec la Petite Suisse hier. Mais toujours vain pour les Congolais de toujours, qui nous faisons rouler dans la farine. Je le disais sous un autre ton la semaine dernière : il est temps que nous nous reconnaissions le droit de vivre. Et le devoir de l’imposer à ceux pour qui il n’est rien, par notre protestation ferme devant toute menace et toute incurie.

Ainsi que par le rappel constant du mal qui nous a été infligé en République, tant que la justice ne sera pas passée.

Nous en sommes encore à nous demander ce que veut le gouvernement dans l’affaire des Disparus du Beach : ensabler le dossier ? Renvoyer la responsabilité au HCR ? La partager avec lui ? Rectifier l’Histoire et réécrire une énième version d’un négationnisme abject ?

Que ceux que cette affaire agace comprennent : il ne s’agit pas ici d’un remake d’une énième guerre du Sud contre le Nord. Il s’agit d’un principe à rappeler et pour lequel militer : tant qu’une cause n’est pas connue, expliquée, acceptée en Nation, elle ne doit pas produire des morts de Congolais. Or, cette année-là de 1999, plus de 353 des nôtres, Congolais revenus au pays dans l’euphorie de l’apaisement, sont tombés dans le guêpier le plus vil. Attirés par la paix, ils ont été conduits à la mort au nom d’une guerre que tous nous voulions oublier. Cela ne se fait pas.

Je ne vois pas ce que le gouvernement gagnerait à tergiverser dans cette affaire. Une attitude responsable aurait consisté à dire : recherchons les coupables, nous les punirons. Au lieu de cela, nous assistons chaque semaine à des déclarations infinies, érudites et ampoulées, comme si l’on avait voulu noyer une affaire parce qu’on en connaissait les relents, les auteurs et les commanditaires. Si c’est le cas, nous avons le devoir de connaître.

Pas d’agneaux déguisés, pas de fauves d’opérettes. Que ceux qui parlent le plus fort ne soient pas les seuls concernés. Je vous le disais pour Boni, je vous le dis pour ces morts du Beach : si nous laissons ce genre de combats-là aux seuls Sudistes parce que nous sommes Nordistes ; si nous laissons ces combats-là aux seuls Nordistes parce que nous sommes Sudistes, nous aurons contribué à creuser un peu plus la tombe anonyme de nos morts innocents. Au Nord comme au Sud. Et nous aurons conforté, croyez-moi, la machine de la répétition sanguinaire.

Benda Bika

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