email

Olivier Bidounga : notes de recherches sur quatre institutions sociales : kimuntu, Buzonzi, Bunganga, Kinguizila

Au moment où sort une édition revue et corrigée de l’ouvrage de la FDC ( "Sassou ou l’irrésistible ascension d’un pion de la Françafrique") (1) nous tenons à signaler au lecteur que l’un des rédacteurs, Olivier Bidounga, muséologue, a compilé dans un mémoire ses recherches sur les notions de Kimuntu, Bunzonzi, Bunganga et Kinzuinguita : des rites d’institution kongo de la région du Pool. L’auteur a d’autant plus de mérite qu’il a réussi également à consigner sous forme écrite des observations qui datent de son enfance, à Bacongo. Ces articles sont d’abord parus dans la revue L’Autre, Cliniques, Cultures et Sociétés.

A noter que le matériau symbolique qui a servi d’objet d’études a partie liée avec le mouvement dit Croix Koma du Prophète Victor Malanda (village de Kankata) . Devenu musée, Kankata est le point nodal aussi bien de l’anthropologie du Pool que de l’impensé du discours kongo, tout comme il est devenu le lieu de dépôt légal de la palette des kinsi (statuettes) qui compose le matériel magico-religieux local.

Police épistémologique

Comme il est facile de verser dans l’anecdotique, Olivier Bidounga a fait preuve d’une " police épistémologique", en se faisant relire ses manuscrits par Etienne Féau du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France à Paris. Il s’est fait également conseiller par les anthropologues Georges et Marie-Claude Dupré. Il n’est pas toujours, en effet, aisé d’étudier un terrain où l’on est soi-même sujet d’étude. Kongo, Olivier Bidounga est sujet de son propre sujet d’étude. Pour éviter l’écueil de la subjectivité, il a fait preuve d’une remarquable vigilance théorique en s’appuyant sur des travaux universitairement validés.

Institutions imaginaires de la société kongo

Le kimuntu, peut se résumer à la part de rationalité qui, chez l’homme, le sépare de l’animal en général. Il s’agit d’une éthique morale quasiment sacralisée chez le sujet Kongo. L’auteur déplore que les caractéristiques de cette notion n’aient plus cours dans les villes comme Brazzaville et Kinshasa où les dirigeants ont fait sauter les garde-fous qui empêchent l’être de basculer dans le néant. Malheureusement le gouffre du néant a aspiré nombre de leaders politiques, qui, par effet d’entraînement ont précipité des populations entières dans l’abyme de la dépersonnalisation. L’auteur évoque les affres des guerres civiles dont le feu de la violence a consumé, dans le cas du Congo, les espoirs issus de la Conférence Nationale. Faute de ressentir les contraintes morales du nsoni – la honte- (cf. le patronyme de notre écrivain Nsoni Labou Tan’Si) les garants existentiels ont sauté, laissant entrer non seulement un malaise dans la civilisation mais l’inédit et l’indicible. Ce fut le cas dans les meurtres du Beach en 1999 à Brazzaville. Nsoni za bouta nsi (littéralement le tabou de la honte) est la structuration du sentiment de gêne comme parade contre l’anarchie ou la transition vers la sauvagerie (disons la pensée sauvage).

Selon une hypothèse "structurante", la honte est un sentiment positif qui épargne bien de maux aux populations. Ainsi, la parade de la "honteuse nudité" pour exorciser le mal. Partie prenante de l’institution imaginaire rural, l’exhibition de la chorégraphie nudiste ressurgit en milieu urbain dans le but d’humilier le pouvoir du sorcier. La danse nudiste (NDLR) sévit particulièrement dans le quartier de Tâ Nguimbi (Brazzaville sud). Voici ce que rapporte O. Bidounga à ce sujet :

« Dans un contexte traditionnel, la danse du Nloko était un rituel particulier où l’on dansait nu, parce que les sorciers, qui agissent eux-mêmes nus dans la clandestinité, en ressentent la honte publiquement ! Autrefois lors d’un décès, le Nganga-Ngombo désignait l’auteur de ce malheur, le "Ndoki" présumé : les membres de la famille du défunt, adultes comme enfants, allaient danser nus devant la maison de la personne soupçonnée, pour lui faire honte et le contraindre à avouer son crime et à ne pas récidiver. Aujourd’hui au Congo, dans le contexte politique difficile qu’on connaît, la danse du Nloko a pris curieusement un nouvel essor : lors des veillées mortuaires, en pleine ville, on voit des individus, souvent jeunes, rejoindre la cérémonie sans y être invités et se dénuder spontanément, comme pour exorciser les anciens crimes de guerre et exprimer leur mal de vivre. »

Pour réparer les fractures sociales (comme celles du Beach ou celles de la kleptomanie de la nomenklatura), le Kongo dispose d’agents sociaux dotés de puissance magique et dépositaires de connaissance auxquels le groupe élargi confie son sort, triste ou joyeux, souvent triste quand il se met en scène. C’est le cas des nganga passés experts dans la maîtrise des différents buganga (ou manganga) ou nkisi et les nzonzi passés maîtres dans l’art de s’orienter dans le labyrinthe des conflits juridiques ou passés experts dans l’art de manier l’aiguille qui tisse les alliances matrimoniales ou encore spécialistes dans la rhétorique kongo que l’éloquence des orateurs a hissée au rang d’art dramatique . Garant de l’ordre clanique, le nganga vise à maintenir intacte la structure du kimuntu. Au besoin il est secondé par le nzonzi, lui aussi porteur de la casquette de nganga. La rhétorique est une donnée du kimuntu. Le nzonzi est le personnage qui jette son dévolu sur cette forme du discours kongo.

Voici ce que dit le professeur Van Wing : « Il semble superflu de faire remarquer la beauté de la prose des chefs Bakongo. Si les discours sont un peu longs, les auditeurs, hommes ou esprits, ne s’en plaindront pas. Ils savourent avec délices cette langue sonore et cadencée, syllabes musicales et sans heurt où les pensées coulent limpides en un parallélisme sans recherche. Les formules, héritage ancestral, sont stéréotypées, mais leur agencement est l’œuvre de chacun, docile au souffle de l’inspiration. Ce souci esthétique du beau langage crée des artistes du verbe, là où la légende a inventé des sauvages ou des dégénérés. »
C’est la meilleure définition jamais donnée du nzonzi.

Kinzuinguita est une institution thérapeutique que le sceau du secret entoure de façon hermétique telle qu’on cherchera en vain des initiés qui pourront trahir la dynamique de son contenu. C’est sûrement la fermeté de son ésotérisme qui en justifie l’efficacité. Fièvres sournoises, stérilité, dépression nerveuse, folie sont pris en charge avec efficace par ce rite bourré d’interdits.

Tout ce rappel ethnographique ne jette pas les bases d’un combat d’arrière-garde absolument tourné vers le passé avec, à la clef, un culte béat de la mystique ancestrale. Au contraire, sans faire table rase du passé, la société doit s’arrimer au train de l’avenir. Il est utile d’utiliser les structures lignagères pour régler les conflits indigènes. Mais cela « n’empêche pas de se munir, dans ce combat, des armes juridiques universelles. »

Au contraire buzonzi implique un combat d’avant-garde. Buzonzi prône la sagesse et le sacrifice de soi dans la culture kongo. Il ne consiste pas en une « vieille coutume obsolète, mais au contraire (…) une philosophie résolument tournée vers l’avenir. »

Le droit traditionnel articule le droit moderne.

« Ainsi la Convention de Rome, qui engage de poursuivre des tortionnaires et les génocidaires partout où il se trouvent dans le monde, a permis à la Fédération Internationale des droits de l’homme, à la la Ligue Internationale des droits de l’homme et à l’Office congolais des droits de l’homme de porter plainte au tribunal de Meaux contre les généraux de la milice congolaise responsables des massacres de populations civiles, comme celui du beach, à partir des témoignages de rescapés membre de notre fédération » (FCD –NDLR »)

Fédération Congolaise de la Diaspora

Olivier Bidounga est-co-fondateur de la FCD (Fédération Congolaise de la Diaspora) « qui s’est fait connaître par ses prises de position très fermes en regard de la situation politique actuelle au Congo et des relations entre la France et l’Afrique. »

La fédération congolaise de la diaspora (FCD) a rejoint le 2 février 2006 les ONG : Secours Catholique, Attac, Comité catholique contre la faim et pour le développement, Survie, Eau-Vive, Foi et Justice, Transparence Internationale-France, Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde, Global Witness, Tax Justice Network etc. « dans la mise en place d’une coalition pour lutter contre les paradis fiscaux et judiciaires »

Sujet à un handicap visuel, O. Bidounga a participé dans les années 90 à une exposition intitulée « Dans le Noir » montée à la vidéothèque de Paris. « Lui-même a développé un projet d’exposition itinérante sur l’art africain « Les yeux au bout des doigts ». Olivier Bidounga est à l’origine de l’association ADECA (Association pour le Développement Culturel et Artistique du Congo). Il envisage de créer sur Internet un « musée virtuel qui rassemblerait les chefs d’œuvres de son pays dispersés dans les différentes collection du monde ».

Voilà qui devrait donner matière à réflexion aux autorités congolaises plus soucieuses d’exposer à Brazzaville des statues issues du champ iconographique égyptien.

Enfin, last but not the least, Olivier Bidounga exerce en Île de France le métier de nzonzi. Comme indiqué à l’entrée de cet article, Olivier Bidounga est également co-auteur de l’ouvrage : "Sassou-Nguesso, l’irrésistible ascension d’unpion de la françafrique."

Le lecteur peut approfondir sa connaissance de la société kongo en se penchant sur la compilation d’Olivier Bidounga et en se rapportant à la bibliographie que mentionne l’auteur à la fin de son dossier.

(1) - Sassou ou l’irrésistible ascension d’un pion de la Françafrique - 2ème édition revue et corrigée. L’Harmattan, Paris 2010.

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.

Recevez nos alertes

Recevez chaque matin dans votre boite mail, un condensé de l’actualité pour ne rien manquer.