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Omar Basile DIATEZWA : plaidoyer pour les Etats Généraux des Populations Congolaises

Omar Basile DIATEZWA nous offre cette réflexion qui n’engage que lui.

La décadence des communautés politiques précoloniales en Afrique Centrale, suite à l’esclavagisme et à la pénétration européenne, a entraîné la dispersion des populations et des perturbations démographiques. Après la Conférence de Berlin de 1885 sur le partage de l’Afrique, les populations africaines ont été sédentarisées dans des territoires tracés en fonctions des intérêts des puissances coloniales sans le consentement des autochtones. Dans le cas du Congo Belge, l’indigène n’avait pas des droits politiques et de citoyenneté ; son statut était celui de travailler, de prier et de payer l’impôt ; il était instruit pour qu’il assiste le colonisateur dans l’exploitation de la colonie. Pris en tutelle par la Belgique, l’indigène avait seulement droit à l’action éclairée et bienfaisante de la tutrice ; il avait le devoir de reconnaissance, de gratitude, de respect, de docilité et de loyauté suite aux services rendus par la Métropole (sécurité, bien-être, éducation ...). Ce paternalisme léopoldien a marqué l’univers mental du colonisé infantilisé.
Objectivement, l’indépendance devait avoir pour ambition de libérer et d’émanciper les Congolais de cette situation indigne entretenue par le pouvoir colonial qui, par la suite, avait torpillé le processus de décolonisation pour démontrer que les Congolais étaient incapables de s’assumer. Les évolués immatriculés de la colonisation, qui constituaient l’élite politique, n’étaient pas formés pour gérer les systèmes initiés par le colonisateur ; sans projet de société, ils avaient des préoccupations d’ordre matériel et social et n’ont pas été capables de poser les bases d’un Etat postcolonial viable pouvant attiser et consolider un sentiment national fragile issu de l’unité des Congolais dans l’opposition contre le colonisateur belge. La lutte pour l’indépendance a eu pour effet de rapprocher les différentes communautés autour d’un nationalisme sans nation ; l’antagonisme à l’égard du colonisateur tendait à refouler à l’arrière-plan les divergences entre les différents groupes culturels.

1. L’identification du vrai problème politique au Congo

Le nouvel ordre politique issu des élections démontre ses limites pour sortir le pays de sa crise ; il avait pour seul objectif de légitimer, à travers des élections tronquées, la pérennisation de la prédation du Congo. Les bonnes volontés étrangères n’ont pas manqué pour accompagner les Congolais vers une paix durable et la reconstruction de l’Etat ; mais celles-ci ne sont faisables que si ces bonnes volontés s’appliquent d’abord à voir les faits tels qu’ils sont avant des les voir tels qu’on voudrait qu’ils soient. Le problème fondamental du Congo se situe au niveau des institutions capables de vivifier un Etat, de dynamiser les initiatives des populations et de consolider le sentiment d’appartenance à une communauté de destin. La faillite de l’Etat postcolonial est incontestable ; l’élite politique congolaise a vicié certains concepts (Etat, souveraineté, nationalisme, démocratie….), incapable de favoriser l’émergence d’un Etat responsable qui répond aux attentes des populations. Or l’organisation politique est une nécessité sociale ; elle est une réponse aux besoins fondamentaux de l’être humain (sécurité, liberté, identité et bien-être) requérant une codification et une réglementation des actions dans la communauté : les institutions actuelles ne répondent pas aux aspirations des populations congolaises.
Une communauté politique exige une autorité qui doit être définie et dotée des pouvoirs et des moyens qui lui permettront de faire exécuter ses ordres. Un Etat doit remplir des fonctions dont l’exercice commande la survie des collectivités humaines ; par exemple une fonction d’intégration qui procure à la communauté la cohésion spirituelle grâce à laquelle elle résiste à l’effet destructif des rivalités d’intérêts. Une mauvaise gouvernance publique provoquera à la longue une désorganisation culturelle, des épidémies, la famine, l’appauvrissement généralisé, la mort et l’exode : c’est le phénomène qui caractérise le Congo-Kinshasa. Une communauté dépourvue d’une bonne organisation politique ne peut survivre aux péripéties de l’histoire…
Plus de 48 ans après son indépendance, le Congo-Kinshasa, dans ses errements institutionnels, ne constitue aujourd’hui qu’une masse humaine où chaque individu lutte pour sa survie personnelle. La coexistence multiethnique n’implique pas de facto l’existence d’une communauté consciente car celle-ci, quand elle est véritablement constituée, est fondée sur un premier degré de sympathie instinctive et réciproque. Or les drames que nous vivons aujourd’hui à l’Est du pays démontrent que nous sommes encore au stade primaire d’une communauté politique, c’est à dire l’acceptation de l’autre pour un destin commun ; l’ostracisme, la haine et la permanence des violences communautaires démontrent bien notre inconscience communautaire car que l’identité congolaise est le simple fait d’avoir été des sujets léopoldiens et belges.
Quand le développement d’une composante communautaire se fait sans obstacle, son respect de soi demeure intact et elle n’a pas de raison pour considérer les autres en ennemies ; mais quand, pour une raison quelconque, des obstacles arrêtent son développement, elle va se cabrer et développer l’antipathie vis à vis des autres composantes communautaires. La violence, la terreur et la culture de la mort vont détruire systématiquement le sentiment d’appartenance à une même communauté de destin, à une même nation ; cela résulte de l’absence d’une bonne organisation politique et d’une défaillance dans l’éducation des populations.
Les Congolais doivent s’affranchir de cette phase d’instabilité communautaire pour s’affirmer comme organisme conscient à la fois de leur unité et de la communauté de destin, donnant ainsi un caractère convivial et définitif à leur société. Une communauté politique consciente et conviviale ne sera possible que si les Congolais se fixent des fins et tendent vers leur réalisation.
La gouvernance de la collectivité doit se faire à travers des institutions et des lois acceptées librement par tous les Congolais et non à travers des manipulations de l’irrationnel d’un ordre politique extraverti pour des objectifs incompatibles aux aspirations des populations. Il est incontestable que le Congo traverse une crise réelle de son intelligence collective ; si les Congolais veulent bien réussir leur communauté politique, ils doivent être sincères entre eux, se respecter mutuellement et se libérer de certains préjugés qui bloquent tout processus d’intégration communautaire. L’ordre politique actuel démontre ses limites pour résoudre la crise profonde qui accable notre communauté ; rien de sérieux ne bourgeonne sur la scène politique et le pays tourne en rond dans une léthargie intellectuelle suicidaire ; il est plus que temps de rationaliser l’action politique communautaire.

2. L’idée des Etats Généraux des Populations Congolaises

Dans l’histoire de la France, les Etats Généraux sont nés d’une évolution du droit et de la nécessité pour le roi de s’assurer du soutien de ses sujets convoqués selon son bon désir ; ils furent ensuite un lieu de négociation entre le roi et les différents délégués de la société pour reformer le royaume ou supprimer les abus en contrepartie de leur appui. Progressivement, ils sont devenus un lieu de contestation du pouvoir royal ou de sa légitimation ; aussi pendant une période de crise grave, la tenue de ces états dépendait de la volonté du roi. Les Etats Généraux connurent leur apogée en 1789 en amorçant de profonds bouleversements sur les institutions françaises.
Dans les communautés précoloniales africaines, les membres s’assemblaient pour discuter des problèmes sociaux, régler les conflits d’intérêts, pourvoir à leurs besoins…Dans toutes les communautés humaines contemporaines, quand des problèmes de société se posent, les membres constituent des forums de réflexion pour rationaliser les solutions ; ainsi par exemple les Conférences Nationales en Afrique rassemblaient toutes les forces vives des pays concernés et avaient pour but de proposer des solutions aux problèmes sociopolitiques suscités par des crises institutionnelles. Dans la situation actuelle du Congo où de sérieux problèmes de cohabitation communautaire se posent, il est impératif que toutes les composantes nationales, à travers leurs délégués, se mettent autour d’une table pour poser les bases morales et institutionnelles d’une communauté conviviale. La Conférence de Goma vient de démontrer la nécessité d’un tel forum au niveau national.
Depuis quelques années, après avoir analysé les causes du naufrage communautaire du Congo, je suis arrivé à croire qu’il faut reconstruire sa communauté politique sur des bases objectives, c’est à dire que les Congolais doivent se donner un sens à leur communauté en se fixant des objectifs collectifs acceptés par toutes les composantes nationales. Ainsi est née l’idée des Etats Généraux des Populations Congolaises pour affirmer cette volonté commune (fondement moral) et proposer dans l’autonomie des institutions pour une communauté de destin sur des bases objectives (fondement intellectuel). J’épingle quelques faits politiques causés par la mauvaise gouvernance et ayant contribué au naufrage communautaire du Congo :
 les affrontements inter-ethniques en 1960 (Bakongo-Bangala / Bakongo-Bayaka / Baluba-Balulua….) ;
 les sécessions du Katanga et de l’Etat Minier du Kasaï ;
 dans les années 90, les massacres des Luba du Kasaï au Katanga et les expulsions des non originaires du Katanga ;
 depuis les années 60, les révoltes de la minorité Banyarwanda méprisée (Hutu, Tutsi),
 les conflits entre différents groupes culturels au Nord-Est du pays (Lendu, Hema…),
 la marginalisation des Pygmées.

L’ordre politique actuel est issu d’un processus caractérisé par des compromissions sur fond du principe de partage du pouvoir où le positionnement et l’enrichissement personnels étaient les postulats fondamentaux. Dans un tel microcosme politique où personne n’avait des comptes à rendre au peuple, il était naïf d’espérer une solution viable à la crise congolaise. Ainsi, il est plus que temps de faire appel au souverain primaire, c’est à dire le peuple congolais, pour qu’il tranche sur son destin ; à travers les Etats Généraux, les délégués du peuple vont s’atteler à :
 poser la base morale d’une communauté de destin à travers l’expression d’une volonté commune ;
 amender la constitution actuelle dans le sens du bien commun.

Si l’on considère les grands ensembles culturels au Congo, on peut atteindre 365 sous-ensembles ; en demandant à chaque sous-ensemble de se choisir par exemple 1 délégué pour les Etats Généraux, on peut avoir +/- 400 délégués, nombre inférieur à celui de la Conférence Nationale Souveraine (CNS) et de la Conférence de Goma ; une commission d’experts sera désignée pour assister les délégués qui ne seront pas là pour se partager des postes et des per-diem mais pour proposer au pays un nouveau contrat social. A l’issu de ces Etats Généraux, chaque délégué y apposerait sa signature devant la Communauté Internationale et l’histoire ; le peuple pourra être appelé à choisir, à travers des élections libres et transparence, ses mandataires publics, suivant un calendrier électoral négocié. La réussite des Etats Généraux sera la vraie émancipation des populations congolaises, car la nation congolaise ne sera plus un acquis léopoldien, mais bien la volonté commune de constituer souverainement une communauté de destin réfléchi. Le peuple congolais s’affranchirait définitivement de son infantilisme politique en transcendant l’actuelle communauté historique pour une communauté rationnelle.

3. Ne pas refaire une autre Conférence Nationale Souveraine

La CNS a été organisée dans un contexte de crise institutionnelle pour une transition vers la démocratie. A son origine, l’idée n’est acceptée ni par le pouvoir régnant, ni par l’opposition radicale ; il a fallu les pressions de certaines chancelleries occidentales qui, par ailleurs, ont assuré le financement de sa tenue. Pour satisfaire l’opinion internationale et la pression populaire, l’autorité établie accepta, malgré elle, le principe d’une conférence nationale, mais en prenant soin d’en fixer, par un décret présidentiel, les contours juridiques favorables à ses objectifs politiques. Immature, l’opposition s’engagea dans des débats anodins et stériles cachant mal ses ambitions. Et pourtant, nul n’ignorait dans quelles conditions les conférenciers ont été choisis, en s’attribuant abusivement le mandat de dignes représentants du peuple.
Rassurés par le soutien populaire en « vendant la peau du léopard avant de le tuer », plusieurs acteurs politiques de l’opposition, confondant la « rupture totale » à la « transition démocratique », allaient à cette CNS pour prendre le pouvoir ; l’autorité établie, consciente du « coup d’Etat civil » en gestation, tenait à garder son « pouvoir corrompu » par tous les moyens : les intrigues et la confrontation étaient inévitables. La CNS aurait dû incarner une volonté de consensus politique ; si chaque mouvance était animée par l’idéal de servir d’abord l’intérêt général et de favoriser un climat serein lors des travaux, la face du pays aurait changé. Malheureusement, la Deuxième République n’a pas favorisé une culture politique du respect mutuel qui fonde le sentiment de solidarité pour une communauté de destin ; aussi, le manque de lucidité de certains acteurs face aux problèmes du pays ne pouvait que nous conduire vers la catastrophe.
Il n’est pas nécessaire de rappeler les épisodes de la CNS, mais ce feuilleton a démontré l’inconscience civique et politique, l’irresponsabilité et le ridicule d’une classe politique au dessus de tout soupçon, conséquence d’une prostitution de la fonction politique depuis l’indépendance du pays. Sur le plan moral, plusieurs exploits ont dévalorisé cet organe de consensus : l’exclusion arbitraire des Banyarwanda, les magouilles dans les préparatifs des travaux, les attributions des sièges auprès des partis politiques alimentaires, les cooptations dosées, le déséquilibre régional, l’esprit de lucre, l’inculture politique inquiétante de plusieurs participants... Si la CNS était souhaitable pour une transition politique pacifique, elle était devenue l’œuvre qui couronnait la stupidité de notre classe politique où corruptions, mensonges, médisances, injures et fourberies s’érigeaient en stratégies politiques. Les antagonismes entre les participants rendaient impossibles la réussite de cette assemblée qui s’est transformée en séance politico-psychanalytique. Alors que le peuple mettait son espoir à ce forum national, il s’y est retrouvé plutôt comme étant le dindon de la farce. Nous devons tirer des leçons sur ce feuilleton de la CNS pour réussir les Etats Généraux des Populations Congolaises. Qui va organiser ces Etats Généraux ? En mémoire des millions des Congolais disparus et des populations victimes de la violence, nous lançons un appel à la conscience morale de la Communauté Internationale, à travers l’ONU, pour organiser, sous la tutelle de l’Union Africaine, les Etats Généraux des Populations Congolaises.

5. La responsabilité des médias pour une communauté conviviale au Congo

Le rôle des médias est déterminant pour contribuer à l’émancipation politique d’un peuple ; ils ont essentiellement pour mission de transmettre des messages à travers des informations recueillies. Ainsi il est nécessaire de sensibiliser les médias sur leur influence sur la formation des opinions dans une communauté politique préoccupée par sa stabilisation. Pour aider les membres de la communauté qui s’engagent dans la voie de l’émancipation politique (partis politiques, syndicats, ONG…), l’information doit présenter certaines caractéristiques susceptibles d’être appréciées à la lumière des critères suivants :
 son universalité qui reflète la totalité des faits présentés ;
 son exactitude qui traduit sa conformité aux faits ;
 son intelligibilité qui exprime sa capacité à être compris correctement par le destinataire ;
 son accessibilité qui révèle la possibilité pour un individu de le recevoir et d’identifier sa traçabilité depuis son point d’arrivée jusqu’à sa source ;
 sa pertinence qui indique son adéquation aux besoins et aux caractéristiques du destinataire.

Certes, au Congo où les médias sont encore au stade artisanal, il sera difficile de satisfaire à ces critères ; la bonne qualité des médias se heurte à plusieurs difficultés d’ordre financier, technique, social et culturel. Néanmoins, les responsables des médias dans la situation actuelle du pays doivent poursuivre une double vocation : informer et former le peuple congolais en fonction de ses critères pour contribuer à l’émergence d’une communauté conviviale. Sur ce, ils doivent se greffer sur les structures communautaires les plus proches des populations et s’intégrer de façon organique aux canaux de communication existants ; ainsi ils pourront contribuer à dénouer cette crise de l’intelligence collective qui caractérise notre communautés politique instable, au lieu de l’aggraver comme c’est le cas actuellement par la sublimation de la haine de l’autre.
Le problème se pose au niveau de l’analyse des faits politiques et de la transmission des messages. En ce qui concerne l’analyse des faits, le plus difficile n’est pas d’interpréter les évènements selon ce qu’on veut qu’ils soient mais plutôt d’en discerner le sens exact et la direction. Quant à la transmission des messages, la maîtrise de la langue utilisée par les médias est déterminante pour la culture politique d’une communauté ; les mots étant inséparables des idées, il sera difficile de transmettre un message constructif si les membres d’une communauté ne parlent pas le même langage ; on peut donner l’exemple d’une difficile perception rationnelle du concept de nationalité au Congo.
La diffusion imprimée, parlée ou visuelle des nouvelles est un pouvoir redoutable qui peut construire ou détruire une communauté politique. Le fait d’informer ou de ne pas informer le public sur des faits politiques, de l’informer à tel moment plutôt qu’à tel autre, la manière d’annoncer, de montrer, de commenter les faits, influence l’idée que le public s’en peut faire, le jugement qu’il va avoir dessus et l’attitude qu’il adoptera à son propos. Dans la crise congolaise, la manipulation de l’irrationnel à travers les médias est instrument foudroyant utilisé par chaque agent politique et social. Etant un instrument qui agit sur la conscience, le choix et les actes des citoyens, il est nécessaire de l’institutionnaliser et de le codifier ; ainsi il faut œuvrer pour l’efficacité de la Haute Autorité des Médias.

Bruxelles le 31 janvier 2008

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