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Omerta

Nous sommes entrés dans le mois des douleurs. Il y a 26 ans, dans une de ces folies homicides qui allait avoir bien d’autres épisodes sanglants, nous décidâmes d’immoler trois des plus hauts dirigeants de notre pays. Marien Ngouabi tombait sous les balles ( ?) ; on effaçait jusqu’à l’existence d’une tombe pour Massamba-Débat et le Cardinal Emile Biayenda complétait la trilogie de sang. C’était entre le 18 et le 22 mars, en 1977.

Nous sommes 26 ans après, toujours riches de nos martyrs certes, mais toujours orphelins aussi de la leçon qui seule fonde les « jamais plus ». Toujours en manque de la transformation de cette douleur trine en un ciment et en une cohésion de peuple et de Nation uniques. Nous sommes, bien au contraire, toujours trois douleurs superposées qui jamais ne se rejoignent.

 Ceux qui pleurent Ngouabi seul s’échinent à le porter aux nues et à le parer de vertus parfois surfaites. Comme pour dire : « notre » héros peut bien justifier le sacrifice de « leurs » chefs. Surtout si la ligne d’analyse puise dans le terreau inutilement dangereux de la fracture Nord-Sud.

 Ceux qui avaient foi en Massambat-Débat seul en font le parangon de la vertu économique. Et de citer à l’envi telle ou telle autre infrastructure qui serait dûe, disent-ils, à son seul génie et à son amour exemplaires d’une Nation pourtant toujours invisible à bien des égards.

 Quant aux fidèles catholiques , occupés aujourd’hui à tout faire pour proclamer le Cardinal Biayenda saint, très peu d’entre eux relisent les messages d’unité, de paix et de concorde que lançait le prélat. « Ils nous l’ont tué ! ». Un « ils » d’exclusion qui n’est pas près d’être un « Nous » de participation à une faute qui, par son énormité même, devient forcément de tous.

Il y a pourtant des lieux communs qui exigent qu’on les rappelle toujours. Il y a 26 ans, trois Congolais, dans la diversité de leurs origines et de leurs fonctions, subissaient le suprême châtiment de la mort pour des fautes jamais explicitées. Ce trait commun eût pu jeter le ciment d’une conduite apaisée et d’une coexistence pacifiée, « au nom de nos morts ». Il n’en est rien . Je crois que cela tient au fait que nous nous cachons le seul onguent qui soigne et guérit : la Vérité !

Qui fut le commanditaire véritable de l’assassinat du Commandant Marien Ngouabi : ses proches collaborateurs, dont le Président Sassou ? Massamba-Débat et ses « commandos » ? Fut-il assassiné au palais, attrapé dans des filets de pêche sur la route du Nord, massacré à coups de marteau ou saigné dans une baignoire de l’hôtel « Mistral » ?

Le corps de Massamba-Débat fut-il écartelé par des chars d’assaut, amputé morceau par morceau ou bien l’ancien président fut-il enterré vivant dans un champ de tir ? Rien de tout cela a répondu, indigné, le général Damase Ngolo à la conférence nationale (« Nous ne sommes pas des bêtes quand même ! »).

Qui, in fine, demanda la mort directe du Cardinal Biayenda dans un macabre souci d’équilibre des douleurs et dans un esprit d’une vengeance atavique ? ’Casseur’ fut-il le cerveau de la chose ou le bras exécuteur… ou un innocent dont le nom est jeté en pâtures ?

Ces questions sont une voie de passage obligée vers la paix des cœurs et la tranquillité des esprits que proclame le slogan. L’omerta, la conspiration du silence, est une règle de mafia. En mars 1977, ce furent trois des nôtres, innocents ou moins, qui s’en allèrent. Leur accoler les qualificatifs de Nord ou de Sud est inutile si nous pouvons les reconnaître d’abord comme nôtres. Et victimes.

Benda Bika

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