email

Portraits d’écrivains (10) : L’arroseur arrosé ou quand votre serviteur passe à table devant François Durpaire...

L’arroseur a bien été arrosé par François Durpaire, professeur agrégé en Histoire, docteur en Histoire, spécialiste de l’Amérique du Nord. Il anime un site intéressant (www.idnf.org), site de l’Institut des Diasporas Noires Francophones qu’il préside. Cet Institut publie par ailleurs une revue intitulée Revue des Diasporas Noires (en sigle : RDN). Une vraie mine d’informations sur les questions dites "noires", avec des portraits, des études scientifiques qui feront le bonheur aussi bien des étudiants, des chercheurs que du grand public soucieux de comprendre le nouveau visage d’une France que François Durpaire a su dessiner dans son livre "France blanche, colère noire" paru chez Odile Jacob et recommandé par notre Blog depuis quelques semaines. J’ai répondu à ses questions, et l’interview qui suit est actuellement en ligne sur son site...


Revue des Diasporas Noires : Certains écrivains sont des amateurs de sport. On connaît par exemple l’amour de Paul Fournel pour le Tour de France. Nous sommes quelques jours après la finale de la coupe du monde. Cela suscite-t-il en vous une réaction ?

A. Mabanckou : Je crois - et malgré la fin tragique de ce Mundial avec le coup de tête de Zidane - que le football demeure un moment de réconciliation des peuples. Un match de foot c’est comme un roman, on installe vingt-deux personnages sur le terrain (la page), et chacun de ces personnages joue son rôle jusqu’au dénouement de l’intrigue : la victoire d’un camp contre l’autre. Mais, il se trouve qu’il y a parfois des matchs qui se terminent avec une égalité...

RDN : Vous venez d’être nommé à l’université de Californie, à Los Angeles ? Les brillants intellectuels africains et antillais n’ont-ils pas leur place dans le monde universitaire français ?

Cela dépend de la France. Il y a encore une hiérarchie en France, et l’expérience, l’enthousiasme ne sont pas encore des éléments crédibles dans un système où il est mieux d’être médiocre et diplômé que brillant et pragmatique. Il faut conjuguer la théorie à la pratique. J’ai comme l’impression que le système français privilégie la pure spéculation et la conservation des acquis par des partisans de la corporation.

RDN : Connaisseur des deux, sur le plan théorique et pratique, quelle différence voyez-vous entre la société française et nord-américaine ? Avez-vous un avis sur ce que l’on commence à nommer en France la "question noire" ?

La « question noire » est vieille aux Etats-Unis, et la France la découvre curieusement alors que le Noir est sur son sol depuis longtemps. Il fut même un temps où les Noirs d’Amérique ont trouvé asile en France : James Baldwin, Joséphine Baker, William Du Bois etc. Mais ceux-là ne posaient pas semble-t-il d’épines à la France. On les considérait ici comme des Américains tandis qu’en Amérique ils étaient des « niggers ». Maintenant les « autres noirs » grondent, parce qu’ils sont venus ici à cause et pour la France. Celle-ci avait besoin d’eux. Comment comprendre qu’on les efface tout d’un coup ? D’où cette question noire qui se pose avec acuité. Les Américains sont passés par la lutte pour les droits civiques. Les Noirs de France réclament presque la même chose : être considérés comme des hommes ordinaires et non comme des taches... noires !

RDN : Votre dernier ouvrage "Verre Cassé" est réédité en poche. Comment expliquer son succès ?

En réalité, son succès m’a étonné à une période où il est rapporté qu’écrire sur la littérature c’est aller droit dans le mur.
Or Verre Cassé est un livre qui parle des livres, et je constate que le lectorat a su prouver que le livre était une de nos acquisitions intellectuelles les plus belles.

RDN : Vous écrivez un blog au quotidien. Pensez-vous que les technologies de l’information sont à même de renouveler l’approche que l’on a du livre et de la lecture, ainsi que le travail de l’écrivain ?

Les blogs deviennent des relais, et l’on peut apprendre la parution d’un livre dans le monde entier. Cet élan va aller croissant, et beaucoup d’éditeurs songent même à faire de la publicité par ce moyen. Un blog comme celui du journaliste et écrivain Pierre Assouline est aussi important qu’un espace d’un journal où l’on parle des livres. Et c’est tant mieux...

RDN : Que pensez-vous de l’avenir de la francophonie au XXIième siècle ? Vous êtes écrivain, mais aussi grand lecteur ? Quelle est votre famille littéraire ?

La Francophonie devra encore changer de visage, ne plus être considérée comme la continuation de la politique étrangère de la France par d’autres moyens. Et puis, sur le plan de la création, c’est à la France d’intégrer la francophonie et non le contraire. La France demeure une nation, l’espace francophone est une globalité, un pont entre continents. Ma famille littéraire va des écrivains latino-américains en passant par les écrivains européens et négro-africains : Gabriel Garcia Marquez, Céline ou encore Yambo Ouologuem ou Dany Laferrière. Je conseille toujours à mes amis de lire Ernesto Sabato, auteur de Le Tunnel, ou encore Dino Buzzati, Le Désert des Tartares, ou Gabriel Garcia Marquez L’Automne du patriarche ou enfin, Mort à crédit de Céline, Pays sans chapeau de Laferrière et L’Ivrogne dans la brousse d’Amos Tutuola.

Propos recueillis par François Durpaire pour la
Revue des Diasporas Noires

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.