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Roman : Evelyne Mankou Ntsimba, la passion d’une femme patiente

choc des cultures

Maurice Bedel fit déjà l’apologie du couple mixte en écrivant "Le mariage des couleurs" dans les années 50. Avec "La patience d’une femme", Evelyne Mankou-Ntsimba s’inscrit dans la même lignée, celle du roman sur le choc des civilisations. Sujet et objet de son livre, l’auteur, une Congolaise, narre sans retenue une histoire qui rappelle qu’il y a un véritable malaise dans la civilisation en marche vers la mondialisation. En dépit du happy end, il s’agit ici d’un roman noir. "La patience d’une femme", c’est à la fois, le roman du pays de Cocagne, et aussi le blue’s de la... Noire de Cagnes sur mer.

La patience d’une femme

Evelyne Mankou- Ntsimba a écrit un livre dont l’histoire illustre ce qu’il est convenu d’appeler "choc des cultures".

Il faut de la patience pour supporter la "patience" d’Evelyne Mankou, tant le récit possède cette particularité de vous mettre hors de vous. Dans un style simple, l’auteur a réalisé une œuvre complexe et, surtout douloureuse qui est loin d’être une simple fiction . Et pourtant, quand on voit la narratrice, son sourire qui ne la quitte jamais est celui d’une jeune femme de lettres dont le thème abordé dans ce (premier) roman ne prête pas à sourire. D’une plume alerte, Evelyne raconte comment l’incertitude de l’avenir dans son Congo natal a fini, au milieu des années 1990, d’avoir raison de sa patience en la décidant de quitter famille et pays pour la France, cet eldorado qui fait tant rêver en Afrique mais où rien n’est vraiment doré. Car malheureusement, comme souvent, le paradis occidental se transformera en enfer dantesque dont le théâtre sera, paradoxalement, le cadre de la vie conjugale, champ supposé d’amour entre deux êtres qui s’aiment. Seulement, étant donné ce que Evelyne endure dans son couple, on aurait dit (à quelques exceptions près ) l’héroïne de Sembène Ousmane dans « La Noire de... » (Votaïques) drame qui se déroula à quelques pas de là, à Antibes.

Evelyne à Cagnes sur mer

Voici, l’histoire. Dès sa venue en Europe, l’auteur dont le roman est une biographie réalisera un mariage avec un Français de plusieurs années son aîné : couple mixte. Son ménage que l’héroïne avait cru être un cadre propice à l’amour devient une véritable prison où elle est traitée sans ménagement, où le chantage passe pour le seul mode de communication qui enchante le partenaire français qu’elle persiste à appeler « mon homme » le long de la narration.

Tous les ingrédients de la tragédie vont composer sa relation de couple avec cet homme qui l’aime d’une drôle de façon. Il lui faut composer avec le mensonge, les non-dits et la violence verbale de ce compagnon de fortune.

Pire, le plaisir d’être enfin une mère s’évanouit vite à cause d’une interruption volontaire de la grossesse exigée par un conjoint qui la soupçonne d’utiliser la stratégie de la maternité pour "avoir des papiers". "on ne doit pas utiliser les enfants à des fins personnelles " justifie cyniquement (p.22) cet homme après l’avoir obligée à pratiquer l’IVG. Car au bout de plus de deux ans de vie commune, notre héroïne, fera toujours partie de la catégorie des "sans papiers". La cohabitation avec son compagnon français ne lui ouvre aucun droit juridique. Son homme fait preuve d’une rare fermeté pour lui fermer toutes les portes de la légalité existentielle sur un sol français soumis à la rude pression combinée des lois Chevènement et Sarkozy. Pire, tout en réduisant à néant ses espoirs d’avoir un titre de séjour (par le truchement du mariage), le compagnon européen s’arrange pour lui soutirer le seul titre en sa possession (son passeport congolais) afin (calcule-t-il) qu’elle ne le quitte pas. En la liant ansi pieds et poings, il veut, dit-il, lui montrer son attachement sentimental. Curieuse manière de démontrer son amour !

Sans papier, point de travail, sans travail, point de papier. Notre héroïne est prisonnière de ce cercle vicieux. Son ami qui l’y enferme pointe lui-même aux Assedic : chômeur en fin de droits. Au dénuement financier du couple succède l’isolement de la solitude car "son homme", comptable d’une vielle histoire trouble, est rattrapé par son passé : le voilà en prison. En attendant sa sortie de taule, la jeune héroïne redouble d’amour envers celui qu’elle n’a jamais cessé d’aimer malgré toutes les misères qu’il lui a fait subir.
Le tout avec une patience à faire pâlir une nonne, au grand dam de ses amies qui ne comprennent pas pourquoi elle ne quitte pas cet homme, son homme, gouverné par un égoïsme sans nom.

Le livre, une quarantaine de pages, se lit d’un trait. Le récit se déroule en trois temps : l’enfance au Congo, le départ pour la France, la vie de couple. L’écriture vous saisit et ne vous lâche plus jusqu’au dénouement du mini drame de l’insertion interculturelle en milieu migratoire.

Evelyne Mankou-Ntsimba : La patience d’une femme 38 p. Nice 2005. Collection Aetema.
Editions Bénévent. 7 euros.

Comme Juliette sur son balcon
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