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Tragédie du 4 mars 2012, à Brazzaville : témoignage vivant

Le témoin de ce récit digne d’ Armageddon se trouve aux premières loges quand tout commence à Mpila, zone située à trois kilomètres (à dos d’âne) du lieu où il habite ; à un jet de flèche du ruisseau Madoukoutsékélé. Ci-après, la genèse d’une apocalypse annoncée. Ambiance de fin du monde.

Incident de caserne

Il y a eu une première explosion, puissante, puis, dix minutes plus tard, une seconde, apocalyptique. « J’étais aux toilettes quand ç’a pété  » se souvient ce témoin avant que chacun, ce 4 mars 2012 ne… pète un câble. La deuxième explosion, la plus terrible jamais entendue ( de mémoire de Congolais) fit penser à un volcan en éruption. Et pourtant depuis les années 1968, les Brazzavillois en savent un rayon sur les tristes sonorités en Ut mineur que jouent les orgues de Staline. Mais là, ça dépasse l’indicible.

Il est 7h59 du matin ce dimanche, jour du seigneur et de farniente, quand la première explosion assourdit les tympans des paisibles citoyens de Brazzaville : coup de tonnerre dans un ciel serein. La petite saison sèche de février est terminée, mais il ne pleut pas beaucoup ces temps-ci à Brazzaville. Il ne s’agit donc pas d’un orage. « C’est sûrement un incident à la caserne militaire de Mpila » tente d’expliquer (pour se rassurer) Basile, prof de maths, très rôdé à la musique des explosifs depuis la guerre de 1997quand une pluie d’obus s’abattit sur la ville de Brazzaville durant six mois. Si ce n’est pas une erreur de soldat, en tout cas cette effroyable détonation vient de la caserne de L’Intendance. Son explication semble confirmée par la colonne de fumée qui s’élève sur Mpila, au-dessus de la base militaire. On aurait dit un champignon atomique.

Chat échaudé craignant l’eau froide, le moindre coup de pétard rend paranoïaque tout Brazzavillois depuis les évènements de 1997. On peut comprendre l’émoi de la population ce dimanche 4 mars lorsque résonne la première explosion.

Le commencement des douleurs

A cet effet, dans le quartier, pour faire échos au terrible coup de canon, chacun rit. Ce n’est qu’un incident de caserne comme il en arrive de temps en temps dans ce foutu monde de blanchisseur. Mais les moins optimistes ont un pressentiment. Depuis deux ans, date de la reddition de Ntoumi, règne un calme politique à Brazzaville. Quelques vociférations d’opposants politiques de temps en temps : mais c’est de bonne guerre. Sans plus. A part ça, tout est tranquille. « Le calme avant la tempête ? » se sont souvent inquiétés les observateurs avisés de la vie politique congolaise. Ces obsédés du « coup d’état permanent  » ne sont pas dupes. La paix vantée par les vainqueurs de la guerre du 5 juin 1997 n’est qu’une paix de braves... en attendant d’en découdre avec l’adversaire. Aussi, ce 4 mars, pour paraphraser Sony Labou Tan’Si, nos pessimistes se sont dit : c’est le commencement des douleurs...

Situation économique catastrophique

L’explosion du cours du brut ( des milliards par jour), l’immense fracture sociale, la confection hasardeuse des listes des législatives sont autant de facteurs qui ont de quoi alimenter leur pessimisme quant à la situation sociopolitique du Congo dans les jours à venir. Un de ces quatre, des scuds seraient tirés contre le pouvoir de Mpila qu’on n’en serait pas surpris. A-t-on besoin de sortir de Saint-Cyr pour comprendre qu’il y a un malaise social au Congo-Brazzaville ? Passons.

Peur sur la ville

Moins d’un quart-d’heure après la première déflagration, l’hypothèse de l’ami vole en éclat lorsque tonne le second grondement. Rira bien qui rira le dernier. Il est vrai que plus personne ne rit quand retentit la deuxième bombe. Mais que se passe-t-il donc ? Non, ce ne peut pas être une simple erreur de manip due à quelque caporal démuni d’expérience. A partir de la seconde explosion (on aurait dit un tremblement de terre), tout bascule : peur sur la ville. Une forte odeur de souffre se fait sentir. On apprend plus tard que Kinshasa a subi le contrecoup de l’onde de choc.

Il faut un moral d’acier pour ne pas céder à la panique à la seconde bombe. « Ca y est. C’est reparti comme en 1997  » constate, amer, l’ami Basile.

Les derniers jours de Pompéi

A partir de 8h30, personne ne sera en mesure de décrire le comportement de la foule dans ce quartier situé à deux kilomètres de Mpila, à vol d’oiseau. On aurait dit les habitants de Pompeï face à leur triste destin quand le volcan qui les effaça de la surface de la terre entra en éruption. Ce 4 mars 2012. les fuyards pensent vivre les derniers jours de Brazzaville. Comme dans la ville romaine de Pompeï, on lit la même panique de la foule, les mêmes cris de frayeurs des enfants et des femmes ; le même torrent de larmes coule sur les joues. Les habitants quittent les parcelles, poussins pris de panique dans la basse-cour. Ca serait folie de rester dans les maisons. Tout tremble sous l’effet des bombes qui tombent Dieu seul sait où ! Un obus vous a vite pulvérisé la maison. "To kima, biloko yango ébandi ko léka na likolo" hurle-t-on sous l’effet de la panique. (Fuyons, ces engins de la mort survolent nos têtes)

8h45 : les artères du quartier sont noires de monde qui court dans tous les sens comme des forcenés. Bien que les guerres civiles soient monnaie courante à Brazzaville, personne n’est jamais assez préparé pour supporter le bruit des bombes.

Pipi sur soi

La musique infernale des obus continue de déchirer les tympans. Radio-trottoir se met en marche.

Mpila dévasté

Peu avant 9 heures, on parle déjà d’églises et de maisons d’habitation qui se seraient effondrées dans le périmètre de la base militaire de Mpila. N’écoutant que son courage, l’ami Basile songe à aller sauver Mass, son beau-fils, dont la maison est située dans la zone présumée du sinistre, à Mpila. Entreprise héroïque que personne n’encourage. Trop dangereux. Chacun pour soi, Dieu pour tous ? Non, ce dimanche rouge, c’est plutôt l’inverse. Comment ne pas admirer l’élan de compassion mutuelle au moment où l’égocentrisme enfoui en chacun de nous aurait dû commander à appliquer le vieux principe du « sauve qui peut  » ? Au contraire, quiconque peut sauver l’autre s’applique à le faire. La solidarité est intacte.

Personne ne saura à quel moment retentit la troisième explosion tant le vent de panique qui souffle sur le quartier a fait prendre à tout le monde la poudre d’escampette et fait perdre tout sens de la réalité. D’ailleurs, bien malin celui qui peut dire (pour les avoir comptés) le nombre d’explosions entendues ce matin-là entre 8h et 10h. Ceux qui s’enfuient oublient de fermer à clef les portes des maisons. On s’en fout des pillards, une espèce humaine qui n’a jamais peur de rien. Dans la rue, ce ne sont que pleurs d’enfants et d’adultes. « J’ai fait pipi sur moi  » avoue une dame, toute honte bue.

Quand il n’y a pas d’explications à un phénomène donné, les solutions les plus irrationnelles gagnent du terrain. « Allons se réfugier à la Basilique Ste-Anne  » proposent certains comme si les obus, sous prétexte que c’est la maison de Dieu, épargnent les églises. Sainte-Marie de Ouénzé est bien tombée, non ?

« Dirigeons-nous vers le bâtiment à étage de la rue Loui..  » suggère, pour sa part, le jeune Ro... Le fiston n’avait pourtant que 3 ans en 1997, lors de la guerre qui opposa partisans de Lissouba à ceux de Sassou. En dépit de son jeune âge, Ro.. a une bonne expérience de la guérilla urbaine. Marcher dans la rue, semble-t-il, augmente les risques de mourir pulvérisé par un obus. Chacun admire la présence d’esprit de Ro... On suit le conseil du gamin, véritable Gavroche brazzavillois, alors qu’on ne sait toujours pas ce qui se passe ce matin...

Direction : la maison à trois niveaux de Gach... Le béton des plafonds constitue, dit-on, une solide barrière anti-obus. La proposition de Ro... n’est pas tombée dans des oreilles de sourds. Du coup, une foule immense, stressée à fond, trouve refuge dans le présumé bunker de Gach... On est entassé comme des sardines au rez-de-chaussée de ce qui, aux yeux, des fuyards tient lieu de blockhaus. Et dire que l’abri en question peut aussi s’effondrer sur ses habitants !

Putsch

9h : Explosion des premières rumeurs.

« Il s’agit d’un coup d’état  » dit une femme quand tout le monde se met à l’abri au rez de chaussée de la maison à trois niveaux en construction. En ce moment (ceci est une parenthèse) il y a un boum immobilier à Brazzaville Nord. Les bâtisses à étage poussent comme des champignons. Passons.

Un putsch ? « Qui donc a osé s’attaquer à Sassou, le vainqueur de Lissouba ? » En effet tout le monde dit L’homme des masses invincible, indéboulonnable, ininguissable ! Qui est donc ce fêlé, capable de bousculer l’ordre établi par les armes depuis 1997 ?

Au sentiment de peur se mêle la soif de s’informer. Malheureusement les liaisons téléphoniques sont impossibles avec la plupart des opérateurs, sauf Warid. Soit le réseau est saturé, soit les relais sont touchés par les obus. Au bout du compte, grâce à un téléphone portable, quelqu’un parvient à se connecter sur RFI. La presse internationale parle d’un court-circuit qui serait à l’origine du drame. Il ne s’agit donc pas de coup d’état. L’incident électrique est confirmé au téléphone par un ami parisien. Cet ami tient l’information d’une source politico-militaire sûre ! comme si les politiques peuvent faire preuve de transparence dans un contexte d’incertitudes où la propagande est généralement de mise.

Les premiers blessés sont reçus dans les rares hôpitaux de la ville où les témoins ont dû s’exclamer : "Mon Dieu tout ce sang ! ". C’est qu’il ne reste rien de Mpila, quartier à forte concentration urbaine depuis les années 1980.

Ipso facto les brazzavillois apprennent que le camp militaire situé à Mpila s’appelle "Régiment blindé", que d’importants stocks d’armes y sont entreposés ; qu’en fait la zone abritait une grande poudrière !

Mon dieu toutes ces armes ? Mais pour attaquer qui ? Science sans conscience est ruine de l’âme. Dans les quartiers sud on a ironisé sur toutes ces âmes disparues à cause des choix inconscients des hommes politiques. Destinées à protéger le Pouvoir, ces armes se sont retournées contre les propres partisans du gouvernement. Mpila est, en effet, le fief de Sassou (Jeune Afrique, Le Nouvel Observateur)

Les quartiers sud

Rez-de chaussée du bunker de la rue Loui... : la peur au ventre, les « réfugiés » attendent que « ça passe  ». Il est à peu près midi. Trois heures d’explosions d’engins de guerre, c’est insoutenable. Les nerfs sont à bout.

13 heures : profitant d’une accalmie, les plus téméraires décident de diriger les pas le plus loin possible du quartier : au Plateau des 15 ans, une zone d’habitation située vers l’aéroport Maya-Maya. « A plusieurs distances de sécurité des tirs d’obus  » pense-t-on savoir.

Une heure plus tard, une partie de ce beau monde se retrouve dans les quartiers sud, à Kinsoundi-Barrage, une zone où, paradoxalement, les populations vaquent tranquillement à leurs occupations alors que dans les quartiers nord des corps sont ensevelis sous les décombres des maisons détruites par le souffle des bombes.

Ce monde est vraiment étrange : «  certains pleurent, d’autres sont aux anges  » dit, philosophe, un rescapé des quartiers nord.

Curieusement, alors que personne n’a rien mis sous la dent, le ventre ne crie pas famine. On a plutôt envie d’explications sur tout ce qui s’est passé dans la journée au régiment blindé. L’estomac peut attendre. Aucun média national ne livre des infos sur la tragédie de la caserne. L’appétit d’être informé sur l’Apocalypse de Mpila reste insatisfait. Puisque la chaîne nationale est avares en infos, aussi, se contente-on de rumeurs, souvent très folles. « Brazzaville serait rasée quand va exploser le second dépôt de bombes situé à côté de celui qui a pris feu » entend-on dans la ville. On retient à peine le souffle. C’est qu’on ne sait toujours pas ce qui se passe à la caserne alors qu’on vient de voir les effets engendrés par le premier dépôt. Comment d’ailleurs sait-on qu’il y a au moins deux dépôts à Mpila ? L’info, dit-on, vient des militaires qui se sont mêlés aux civils en fuite. Car ce dimanche 4 mars, le clivage entre le monde militaire et la population disparaît. C’est dire combien la peur est un véritable sentiment humain partagé aussi bien par les civils que par les militaires.

20h. Les premières images des dégâts collatéraux sont visibles au journal de 20h. On voit le ministre des armées, Charles Zacharie Bowao, sourire aux lèvres, sillonner le champ de ruines qu’est devenu Mpila. Contre toute évidence, ce ministre affirme qu’il n’y a pas de morts, juste quelques blessés. Ce type qui possède un diplôme en philo semble maîtriser avec dextérité la langue de bois.

Sassou livre ses impressions à la presse

Sassou aussi a entendu les tirs d’obus comme tout le monde. C’est ce qu’il dit dans sa première interview à la télé. Comme le commun des mortels, on apprend qu’il a été aussi secoué par l’impact des déflagrations.

C’est un court-circuit occasionnant un début d’incendie qui a mis le feu aux poudres. L’explication est de Sassou.
Comment le sait-il illico presto alors qu’aucune enquête n’a encore démarré ?

Comme pour la mort de Marien Ngouabi survenue également au mois de mars (1977) on ne saura jamais quelle franc-maçonnerie est à l’origine de ce terrible drame de 2012.

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