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Violences

L’Editorial de Benda Bika

Une véritable culture de violence s’est installée au Congo. Elle se déchaîne sur tout et sur tous. Les démarcations politiques et ethniques ne sont rien. Seul est nécessaire le prétexte qui créera la confusion et fournira l’impunité. Les accusations, ensuite, seront classiques : "nous, violer ? Et vous-mêmes, savez-vous ce que vous nous avez fait" ?

Ainsi va le Congo de la violence banalisée, de la vie au bas coût. Une violence qui n’est l’exclusive d’aucun camp en particulier, d’aucun leader en particulier. De personne ayant la rectitude nécessaire pour poursuivre l’autre, mener une action de justice qui ne soit pas d’abord une stratégie politique pour couvrir ses propres exactions…

… Nous l’appellerons Romuald. Il est nerveux quand trois à quatre prêtres en soutane se présentent devant lui, conduisant une dizaine de séminaristes bloqués par les combats de Kinsoundi. Nous sommes en 1998. L’Abbé "U" qui a bravé mille et un dangers pour exfiltrer ce petit monde et le conduire à l’abri à Talangaï, parlemente, tempête, menace, implore. Le Cobra Romuald est inflexible : il lui faut "son" volontaire. Alors, le grand-séminariste "M." se dégage des rangs. Romuald vide sur lui le chargeur de sa kalachnikov. "Merci, dit-il ; je me sens mieux maintenant. Vous pouvez passer".

Le mois dernier, à Madibou, attaque de Ninjas. Ils fondent sur les buvettes alentours. Le Mauritanien du coin connaît la musique et tente de baisser les rideaux de son épicerie. Il sera abattu. Une maman des alentours reconnaît alors le meurtier ; c’est Melé, un enfant du quartier qu’elle tente de raisonner. Elle est abattue. La fille de la victime accourt : "Ya Melé, que fais-tu ?" Elle s’effondre, atteinte aux jambes. Les Ninjas, résistants-démocrates, se replient en laissant une demi douzaine de morts sur le terrain.

A quelques kilomètres de là, à Makana, les militaires qui tiennent une position apprennent les événements de Madibou. Deux camions, bourrés de civils, se présentent à leur contrôle. Ils en font descendre tous les passagers, bandent les yeux des hommes qu’ils battent copieusement, dégagent quatre femmes du lot et disent aux autres de ne pas regarder. Les hurlements de douleurs des filles et des mères. Viol banal en temps de paix. Motif de la condamnation : "vous êtes des parents de Ninjas".

Ces exemples ne sont ni les plus brutaux, ni les plus parlants dans ce que nous devenons peu à peu : des machines à donner la mort, sans états d’âme. La violence se déchaîne sous toutes ses formes, et vous cloue là où elle vous trouve. Et pas seulement maintenant. Les pillages qui l’accompagnent ne sont rien, on s’y habitue. En 1959, 1963 et 1968 déjà il en fut ainsi. En 1993 aussi, quand des enfants furent pilés, des femmes enceintes éventrées, des vieillards ligotés et laissés s’étrangler au soleil avec leurs propres intestins autour du cou.

Les armées : congolaises, étrangères ou supplétives, ont chaque jour davantage nourri cette violence inouïe dont nous n’avons pas fini de mesurer les effets sur des générations. Nous sommes une nation venue au pluralisme politique par la violence, que sera la démocratie qui en naîtra, si jamais elle naît ?

Les opposants réclament un énième dialogue national. C’est à dire une remise à zéro des différends, toujours les mêmes, qui opposent les mêmes aux mêmes, pour le partage de l’éternel gâteau. C’est à dire le temps de se répartir les moyens de nourrir les violences nouvelles. Pour un tourisme peinard de Romauld et Melé à Makana…

Benda Bika

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