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Pour une redéfinition de l’oralité dans les littératures africaines

D. Monofila - qui signe l’article ci-dessous - est un intervenant régulier de ce Blog. Il vient de poster ce sujet que je me permets de mettre ici à la une dans la mesure où cet espace est d’abord et avant tout le vôtre. Réflexion sur l’oralité, notre Villageois observe de très près l’évolution des lettres africaines. Nous ignorons son identité, mais la parole authentique, celle qui se partage n’a pas de visage. Elle concourt à l’enrichissement du débat.. Bonne lecture !

« Concilier la parole des griots à l’esprit des plus pertinentes exigences littéraires. » Par D. Monofila

Qu’est-ce qu’on entend par Oralité ? Quelle définition adéquate nous en donne le corpus littéraire africain ? Comment est-elle conçue ce jour par la nouvelle génération d’auteurs venus du continent ? Autant de questions à se poser et auxquelles les réponses ne seront pas si faciles à donner.

Hampaté Ba

Du reste à suivre le sens commun, l’Oralité serait définie comme le caractère de ce qui est « oral », par opposition à ce qui est écrit. Au sens où nous l’abordons, une oeuvre ou un écrit dans lequel le rythme ou le style seraient ainsi proches - si vous me permettez l’expression - de la « parole parlée ». Il est à remarquer que n’étant pas de traditions écrites mais orales, les peuples d’Afrique au sud du Sahara ont longtemps survécu avec pour héritages culturels des contes, légenges, fables transmis d’une génération à une autre. Oeuvres impersonnelles et imtemporelles, ces « comprimés de sagesse », selon l’expression d’Hamadou Hampâte Ba, constitituent jusqu’à l’heure actuelle le grand héritage des civilisations nègres. Cependant, l’influence de l’oralité sur les littératures d’Afrique noire pose aujourd’hui la question de sa redéfinition.

A l’heure actuelle, le corpus littéraire africain-romans, nouvelles, poésie, contes, fables, légendes, essais... questionne et interroge la place de l’oralité dans toute oeuvre. Jusqu’à une époque donnée, parler de l’oralité dans une oeuvre revenait à y trouver des bribes de sagesse africaine qui n’ en était quelque fois pas une ; des extraits de proverbes cités, de chants non traduits, des glossaires, des noms des héros de l’Histoire de l’Afrique ou gardiens de la mémoire noire. La liste serait longue.

Kourouma

Il a été reproché à ces auteurs par la nouvelle génération de forcer les écrivains « à jouer nègre » au nom et sous prétexte d’ une quelconque sagesse africaine, et cela même au mépris des règles étangibles de l’écriture. La réussite des auteurs comme Kourouma et Sony Labou Tansi serait ainsi à l’origine de la perte de la qualité des ouuvres, du mépris des règles de l’écriture, remarquera plus tard Jacques Chevrier dans un article paru dans un numéro de Notre Librairie. « Rares sont ceux qui ont pu atteindre le talent des aînés », dit-il, comme pour reprocher à la génération succédant les Senghor et Césaire la légèreté et l’insignifiance de leur écrits. Prenant acte de ces remarques, la nouvelle génération à qui les nostalgiques et des thuriféraires de la négritude reprochent le manque d’africanité, pose la question de la redéfinition de l’Oralité.

En ce qui me concerne, l’Oralité ne s’entend guère plus de longues citations de proverbes où la tradition de naguère triompherait de la modernité ; l’Oralité n’est plus désignée par la déstructuration des genres littéraires, encore moins par l’emploi prononcé des paroles en langue. Elle n’est plus à rechercher dans les écrits d’auteurs africains comme une aiguille dans un sac de foin et n’a plus pour baromètre le nombre de proverbes cités ou le « parler nègre banania » !

Désormais, on s’accorde à admettre que l’oralité soit à déceler à partir de la structuration narrative et de l’ articulation du récit ; à partir de l’usage des mots et du soin pris dans la composition d’une oeuvre. Bref dans la « manière de dire » ou le discours de l’auteur.

Ce n’est donc plus le fond qui justifie l’Oralité mais la forme prise par le discours. C’est ainsi qu’on peut écrire une oeuvre emprunte de l’Oralité en parlant de l’Académie française ou simplement de l’écriture littéraire de facture classique. Les auteurs de la nouvelle génération insisteraient de leur côté sur le respect des règles imposées par l’écriture.

G-P Effa

« Il n’y a aucune dérogation à l’exigence de qualité », affirmait déjà Dominique Mondoloni à la tête de la rédaction de Notre Librairie. Et les auteurs comme Gaston-Paul Effa, Alain Mabanckou, A. Waberi ou Calixthe Beyala de le confirmer par des chefs d’oeuvre de style d’une pureté et d’un académisme jugé outrancier par les nostalgiques du « parler nègre banania ».

Pour ma part, toute « oralité » tout être respectueuse des exigences littéraires, et ce n’est pas en alignant des mots et noms africains ou des traditions ou bribes de sagesse africaine dans une langue tortueuse et ampoulée, qu’un auteur se dirait plus africain que cet autre respectueux et soucieux de la cohérence et la clarté dans son récit. Au fond, toute la question est de savoir comment pénétrer au mieux l’âme de l’Afrique et la communiquer aux autres. Et j’estime qu’il n’y a pas un moyen aussi efficace qu’une « écriture totale », par laquelle on parvient à concilier l’esprit de nos contes et légendes aux plus pertinentes exigences littéraires. Ce qui suppose avant tout une parfaite maîtrise des règles de l’écriture mais aussi des traditions africaines, sans lesquelles nous n’accoucherions que des oeuvres mortes et vides de tout contenu.

Kwahulé

Koffi Kwahulé disait : « Quoi que j’écrive, l’africanité reste présente dans mon oeuvre. Et je n’ai donc pas besoin de la revendiquer ». Quoi de plus pertinente que cette remarque par laquelle je termine cette note.

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