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Cohabitation

La démocratie à l’épreuve du Congo

Depuis 1959, le rite démocratique échoue dans notre pays. Nous autres Congolais aurions pu nous épargner des accidents politiques après le multipartisme de 1990 si on n’avait pas mimé et plaqué le système institutionnel de la Vème République française. C’est la thèse afrocentriste.

Quand dans nos sociétés ethniques on applique des schémas importés des vieilles cités grecques, on entre de plain-pied dans des explosions sociopolitiques. Systématiquement. La faute aux hommes, aux armes, aux âmes ? Vas-y savoir.

Depuis la transition démocratique de 1991, sous André Milongo, beaucoup d’eau a coulé sous le viaduc et sur l’aqueduc car le talon d’Achille de nos sociétés ambiguës (Georges Balandier) c’est l’épreuve de la démocratie. Quand les jeux sont faits, il y a échec et mat. Nous échouons à tous les coups.

Vous parlez d’Afrique ambiguë, d’aventure ambiguë.

Et nos sociétés sont précisément ambiguës parce que la tradition lignagère et la modernité prométhéenne ne font pas bon ménage ou alors sont intimement trop liées. (Côme Manckassa 1968)

ELYSEE-MOI A MATIGNON

« Ici ça va, mais là-bas... » moquait Zaïko famille Adéi.

Justement ici en France, dans deux mois, le tempo peut varier. L’hypothèse de Jean-Luc Mélenchon Premier Ministre issu de l’Opposition risque de se vérifier sous la Vème République. Si le scénario de La NUPES ( Nouvelle Union populaire écologique et sociale ) à Matignon se confirme ce n’est pas pour autant que Macron piquera une colère noire et, de Jupiter sous l’onction de qui il se place, se transformera en Néron. Loin de là. Même s’il y a branle bas de combat à l’Elysée et dans La République en Marche rebaptisée Renaissance, il n’y a pas péril en la demeure.

Battu aux Présidentielles de 2022, le leader de La France Insoumise vient d’inventer un calembour inédit de science politique à savoir : « Elysée-moi Premier Ministre ». Cela signifie que, primo, dans le marathon électoral parfois « qui perd gagne », deuxio, la démocratie n’est pas un luxe en France mais une tradition.
Somme toute : « La modernité est une tradition occidentale » (Jean-William Lapierre 1989)

« Bravo ! Nous avons perdu, mais vous ne perdez rien pour attendre » c’est ça la définition de la démocratie depuis que les Grecs l’ont inventée et l’ont transformée en habitus en Occident (habitus = intériorisation des normes extériorisées, vice versa) (Pierre Bourdieu).

En tout cas tout se passe bien pour la NUPES (Nouvelle Union Populaire, Ecologique et Sociale) puisque ses leaders et ses militants ne risquent pas de croupir en taule ou de finir au Père Lachaise au motif qu’ils auraient bénéficié de la Loi obligeant le Président de partager le pouvoir avec un adversaire politique majoritaire à l’Assemblée. En dehors de mouvements sociaux prévisibles (c’est la démocratie) jamais on ne sombrera dans la guerre civile même si l’Insoumis Mélenchon dit ne pas aimer la Vème République et son présidentialisme absolu.

La cohabitation est la meilleure preuve de la démocratie. Au Congo, c’est là où le bât blesse. En 1959, Youlou et Opangault éprouvèrent le rite de la cohabitation ; avec douleur. C’était après la guerre civile. A ce jour ce mythe fondateur a du mal à se reproduire. Lissouba et Sassou tentèrent de cohabiter. En vain.

PAS DE CA ICI

Au Congo depuis l’avènement démocratique en 1991, chaque fois qu’on soumet les Congolais à l’épreuve du multipartisme, le pays est mis à feu et à sang. Les populations se réfugient dans la forêt, les leaders sont embastillés.

Jean-Marie Michel Mokoko, Okombi Salissa, Paulin Makaya (un laps de temps) croupissent en prison ; Marcel Ntsourou, Guy Brice Parfait Kolélas gisent sous terre.

Comparaison est raison. Ce qui est banal en France semble extraordinaire au Congo, pays où, se gargarise Pascal Lissouba (premier bénéficiaire de la démocratie) : « on n’organise pas les élections pour les perdre. » Quitte à perdre son âme.

Chez les anciens Grecs on les organise sans forcément les gagner. Le ciel ne tombait pas.

PREMIER PRESIDENT ELU

Lissouba « Président démocratiquement élu » en 1992 fut intransigeant comme un dictateur romain à l’idée de cohabiter avec un Premier Ministre issu de l’Opposition. Parce qu’il était hors de question de partager un pouvoir qu’il avait attendu « quarante ans » le pays entra en guerre.

La cohabitation ne fut pas un tabou absolu puisque Sassou la pratiqua avec André Milongo, Premier Ministre de la Transition entre 1991 et 1992. Ce fut une expérience sans coup férir, sauf une petite tentative de putsch des militaires de Jean-Marie Michel Mokoko avec la complicité d’Elf.

Ironie du sort, en voulant être démocrate en 2015, le général Mokoko a fini au violon.

DEMOCRATIE GUILLOTINEE

Cependant après un violent coup d’Etat en 1997, Sassou s’autoproclama Président.

Le Président autoproclamé sait (mais il s’en fiche royalement) qu’il avait reconquis le trône grâce à une victoire à la Pyrrhus, non sans avoir utilisé, en passant, la technique athénienne du Cheval de Troie par Martin Mbéri, le général Mabika et Arlette Nonault interposés. Il les envoya coucher chez l’ennemi.

LA COHABITATION, POMME DE DISCORDE

En 1992, devenu Président, Lissouba obtient la majorité à l’Assemblée suite à des accords avec le PCT de Sassou. Lissouba opère un mauvais partage du butin. Le camouflet fâche Sassou. Il claque la porte. Sassou ne se sent pas pour battu. Lui et Kolélas deviennent des amis, d’ennemis qu’ils étaient. Les nouveaux alliés exigent le poste de Premier Ministre. Ce que Lissouba, bien entendu, refuse.

Le concept de la cohabitation n’est pas du goût du professeur Lissouba qui a une idée en tête : faire du Congo une petite Suisse ; ( un grand Afghanistan ? )

Pour ce faire, Lissouba durcit le jeu. Match matambi. il invente un concept : la « démocratie de l’intimidation. » Yhombi, un faucon, remplace au poste de Premier Ministre Stéphane Bongo-Nouarra, une colombe. Yhombi traverse le Rubicon en 1992. Il ordonne le bombardement de Bacongo-Makélékélé, fief de Kolélas. Le tristement célèbre milicien Cocoye qui cible les obus ( Mboungou Diat-Pédale) ...ne fait pas de quartier.

MONSTRUEUX JANUS

Après les bombardements des quartiers sud, on observe une trêve. Lissouba désigne un successeur à Yhombi : Antoine Da Costa (l’ami de trente ans).

Sassou et Bernard Kolélas ne se croisent pas les bras. Ils créent un gouvernement-bis. Ils trouvent une doublure à Da Costa : Thystère Tchikaya.

La morphologie politique du Congo ressemble à Janus, dieu romain doté de deux faces.

Il n’aura pas échappé aux spécialistes de la sociologie politique, que depuis La Grèce Antique, depuis Corinthe et Sparte, on n’avait jamais vu une démocratie bicéphale ; sauf sous l’Occupation quand De Gaulle créa un gouvernement en exil pour contrer celui de Pétain installé à Vichy. Ce genre de situation inédite est propice à la pagaille.

Comme de bien entendu, l’insécurité règne dans la capitale. Lissouba ne veut pas entendre parler du gouvernement formé par l’Opposition.

GOUVERNEMENT 60/40

Omar Bongo désamorce la bombe en suggérant une entente des frères ennemis. C’est le gouvernement dit 60/40. Personne n’est dupe de cette unité de façade. On s’entend en attendant de régler les comptes. David Charles Ganao est le Premier Ministre. La façade craque. Arrive l’explosion du 5 juin 1997 que tout le monde redoutait. Bernard Kolélas sera le dernier Premier Ministre de cet épisode congolais de la démocratie à l’africaine. Jusqu’à l’exil à Abidjan.

POURQUOI LA MAYONNAISE NE PREND JAMAIS ?

Dans l’épreuve de la démocratie en Afrique, les ethnies sont une allumette dans une poudrière, une torche en flammes dans un champ sec de blé ?

L’enchainement explosif des faits n’étonnera que les naïfs qui pensent qu’en Afrique on peut instaurer la démocratie sans se doter d’astuces pour marcher dessus. « On n’organise pas les élections pour les perdre » affirme sans sourciller Pascal Lissouba.

Jacques Chirac qui vécut une cohabitation douloureuse avec Mitterrand puis avec Lionel Jospin, ricanera que la démocratie était un luxe pour les Africains. Donc ils ne pouvaient pas se l’offrir. Pour l’anecdote, En vendant les armes aux belligérants de la guerre du Congo, Chirac valida l’hypothèse que la démocratie en Afrique était non un luxe mais un lucre. Que de fric pour l’industrie militaire française pour l’Afrique !

La vérité est que la démocratie en Afrique c’est du sucre (pain de sucre, de la dynamite).

Mais Chirac a bon dos. Ce serait facile de lui casser du sucre sur le dos.
Dans la série de boucs émissaires, il y a eu aussi François Hollande. Après avoir juré que son ennemi c’était la Finance, il parjura en donnant quitus à la pagaille de Sassou au Congo-Brazzaville.
Un « J’accuse » lui a été dédié par la diaspora congolaise. Il fit l’unanimité contre lui.
Mais là encore, ne jetons ni Chirac ni Hollande ni Macron ni Giscard ni Mitterrand en pâture à la vindicte publique.

Quelle est la responsabilité de Sassou, Lissouba, Kolélas ?

La philosophie bantoue, l’idéologie des superstructures seraient-elles responsables, coupables ? Les modes de production claniques, lignagers tels que les ont définis les analystes marxistes sont-ils coupables de l’échec démocratique ?
Les Africains sont-ils imperméables à l’expression du pouvoir par le peuple ?
Le combat de l’Etat contre le Lignage est inextricable. C’est ce que semble penser l’anthropologue Georges Balandier, grand observateur du Congo depuis l’avènement du Royaume Kongo.

LA CLASSE-TRIBU

Samir Amin, et Pascal Lissouba constatèrent dans les années 1970 l’échec du socialisme dans les « sociétés africaines sans classes ». Côme Manckassa constata celui du marxisme devant les sociétés lignagères (Thèse d’Etat 1986) . Quand Manckassa évite le concept de classe sociale pour analyser la société congolaise, autrement que sous la dichotomie aîné/cadet, l’intellectuel Pascal Lissouba parle de tribu-classe. Si la lutte des classes chez Marx est le moteur de l’histoire, chez Lissouba la tribu ne peut pas lutter contre la classe puisque les deux entités se confondent en Afrique. Donc il ne s’agit pas d’un moteur mais d’un frein de l’histoire.
Les langues d’aspic parlent de tribu-classe Mbochi. Les Nibolek sous Lissouba étaient sur le point de constituer une classe-tribu lorsque Sassou est venu embrayer avec son coup d’état du 5 juin 1997.

Les Grecs avaient aussi leurs tribus avec des tribuns à leur tête. La démocratie n’émergea pas moins dans leurs cités. Les Royaumes africains possédaient des cités. La démocratie eu du mal à éclore.

Aussi, le problème se situe où ? Si ce ne sont les âmes freinent l’histoire (le changement au Congo) , serait-ce la faute aux hommes ?

Et si l’Afrique refusait la démocratie ? (pour parodier Axelle Kabou)

Le Premier Ministre Milongo fut le vrai chef du Congo. La cohabitation de 1991 traumatisa le Président Sassou. Et pourtant Sassou assuma sa pagaille antérieure et son costume présidentiel bien que coquille vide, il le porta dignement. « Je suis un bouffon » se disait-il. « Plus jamais ça ! » promit-il après le carambolage de 1997.

Epilogue : ce sont les hommes et les âmes qui défont l’histoire démocratique en Afrique, en l’occurrence au Congo.

Thierry OKO

La première guerre civile vint après la crise institutionnelle de 1995. Beaucoup d’années plus tard, en 2022, la guerre a encore cours. La guerre permanente.

Lissouba après avoir refusé la cohabitation, se proposa la prolongation en 1997.
Le PCT, l’allié de la première heure de L’UPADS ne l’entendit pas de cette oreille. Il savait de toute façon que Lissouba n’allait pas perdre les élections. Sassou provoque l’incident. Le coup d’état se déclenche le 5 juin 1997. Le larron saisit maître aliboron.

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