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Musique congolaise

Nicolas KASANDA, Docteur NICO

Nicolas KASANDA
Docteur NICO

François Boyimbi Gobi, Tshilumba wa Balozi Tino Baroza, Charles Mwamba Déchaud, Henri Bowané, Albert Luampasi, Ebengo Dewayon, sont les guitaristes émérites qui accompagnent chanteurs, chanteuses et groupes dans les studios d’enregistrement à Léopoldville, où règne en maître absolu Élenga Zacharie Jhimmy L’hawaïenne, en fin des années 40 début 50.

Naissance d’une chanson intemporelle, Para Fifi

En cette année 1953, encore pré-adolescent, Nicolas Kasanda né en 1939 n’a que 14 ans lorsque Joseph Kabasellé lui confie les clefs de la guitare solo au sein du premier orchestre congolais de variétés moderne qu’il vient de créer, l’orchestre African-Jazz. Et parmi les chansons enregistrées cette année-là figure « Para Fifi » , œuvre de son illustre créateur, qui a conquis avec les années le statut de standard et de plus belle chanson d’amour de la musique congolaise.

Les innovations de guitare du jeune Nico Kasanda

Dans Para Fifi Nico Kasanda signe une guitare pleine d’audace et d’innovations, deux mamelles qui nourriront sa carrière de soliste.
Notez au prélude l’entrée de tambours Batétéla exécutés par Édo Ganga, aussitôt suivi de l’annonce du thème de la chanson par la guitare. S’ensuit un chapelet de mordants ornements instrumentaux entre les chants, notamment le jeu en gamme pentatonique. Cet intervalle de cinq notes (la penta) est très prisé dans le jazz, le rock et le blues. Nico est le premier à comprendre les tensions qu’apporte la penta dans la dynamique d’une chanson. Nico Kasanda en fera usage mélodique le long de sa carrière. A la pentatonique, le jeune prodige associe les triades (tonique, tierce, quinte) dont il agrémente la rythmique de Déchaud en ciblant les différents accords de la cadence. C’est un régal. Le duo Nico/Déchaud a été mythique dans la musique congolaise.

Dans Para Fifi, chanson sans ballade de couplet, Kallé Jeff nous nous fait sauter à pieds joints dans le refrain où le solo de guitare en trois phases démarre sur des chapeaux de roue. Nico enclenche le riff sur un trémolo pour dérouler son sujet, et un agitato autant osé qu’inattendu pour attaquer la deuxième phase, véritable pierre d’achoppement pour les guitaristes qui le reprennent. Nombre de guitaristes d’ailleurs le contournent en raison de la complexité du morceau. La dernière phase est marquée par une note en contretemps ponctuant la chute du solo en point d’orgue.

Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car Para Fifi nous offre une fin encore originale pour une résolution. Sa coda (passage final d’un morceau de musique ou d’un mouvement ) est une partition en solitaire que Nico Kasanda nous livre à la fin du chant. Une première.

Le tout servi dans un écrin de son cristallin aussi pur que le diamant de son Kasaï natal, à la guitare sèche s’il vous plaît ! La guitare de Nico Kasanda est pure merveille, une pépite.

Nico Kasanda inaugure son époque, en avance sur son temps

Ainsi donc les enregistrements de l’African-Jazz porte le cachet de l’innovation dans la musique congolaise.
Nico Kasanda, ce pré-adolescent, ce gamin de 14 ans, vient de révolutionner la guitare congolaise en lui apportant la modernité pour tourner la page de la protohistoire de la musique congolaise. Une ère nouvelle s’ouvre désormais, qu’à leur surprise générale, les guitaristes congolais peinent à embrasser. Sied-il de rappeler qu’ils attendront plus d’une année avant de se résoudre enfin d’accepter le changement innovant ? Occasion ici de battre en brèche l’affirmation récurrente selon laquelle Bill Alexandre avait influencé le jeu de guitare de Nico Kasanda. Au regard de la chronologie des événements, les enregistrements de l’African-Jazz en 1953 sont antérieurs à celui de « Mama é » de Guy-Léon Fylla, en 1954, chanté par Marcelle Ébibi et dans lequel Bill Alexandre joue la guitare électrique. On peut faire l’hypothèse que Bill Alexandre est le premier disciple de la guitare de Nico Kasanda. (Bill Alexandre, rappelons-le, est issu de l’école du légendaire Django Reinhard)

Et Jhimmy L’hawaïenne abdiqua

Jhimmy L’hawaïenne comprit le premier que son jeu avait fait son temps, face à l’avènement de Nico Kasanda. En 1954 il décide de renoncer à la musique, quitte Léopoldville et regagne Brazzaville pour se consacrer à son métier de secrétaire-dactylographe auprès du cabinet de Maître Pourcel, avocat à la Cour, avant de rentrer définitivement à Bangui en 1957.

Dès 1955 tous les guitaristes abandonnent le style Jhimmy L’hawaïenne qui avait fait école depuis 1948 pour emprunter le jeu de guitare initié par Nico Kasanda. Tous, sans exception.

« Le prodige Nicolas Kasanda, le petit Nico, deviendra Nico Mobali (l’as, le crack, le cador), l’aiguillon, le dieu de la guitare, le plus grand solo-guitariste africain de tous les temps. » Manu Dibango - in « 50 ans de musique africaine » - Radio Africa N°1.

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