A la dixième journée des audiences, les prévenus continuent de nier leur participation dans les enlèvements et les disparitions perpétrés au port fluvial de Brazzaville en 1999. Non sans fierté, le général Adoua a relaté ses exploits de guerre lorsque lui et ses militaires allaient semer la désolation dans le Pool. Le vaillant général a été fortement ovationné par ses admirateurs, nombreux dans la salle.

Acte 10. Brazzaville. Tribunal correctionnel. Le 1er août 2005

L’affaire des Disparus du Beach ne tient plus qu’au plumitif, ce registre dans lequel le greffier en chef de la cour s’évertue à transcrire les coordonnées et références des principaux témoins à charges cités par les avocats des parties civiles. Tous les accusés continuent à prétendre leur dénégation dans ces trois cent cinquante disparitions. Les confrontations prévues entre les personnes qui détiennent des preuves et des témoignages et les prévenus seraient très déterminantes sur le tournant qui conduit tant bien que mal vers l’issue de ces audiences. Pour des raisons de sécurité, l’identité de certains témoins ne serait dévoilée qu’au moment opportun.

En ce jour, seules les personnes qui portaient des convocations de la cour ont été admises dans le prétoire. Ceci pour éviter des confrontations sur la base des clameurs qui accompagnent depuis le début de ce procès les déclarations des uns et des autres. Une façon pour le président de la cour d’interpréter cette déclaration à multiples facettes faites lors de la dernière audience par l’accusé Vital Bakana : « Il ne faut pas se promener avec des allumettes dans une forêt en saison sèche »

A 15 heures, reprise des audiences. La seconde série de l’interrogatoire des accusés se poursuit. Norbert Dabira passe à la barre. L’accusé persiste à refuser les faits qui lui sont reprochés. Au moment des faits, en tant qu’inspecteur des forces armées, son rôle se limitait à la surveillance de l’exécution des ordres du ministre de la défense par les troupes engagées dans les combats qui les opposaient aux miliciens Ninjas du pasteur Ntoumi dans le département du Pool entre 1998 et 1999. Il reconnaît le désordre et le dysfonctionnement qui prévalaient à l’époque au sein des forces de l’ordre. Il avoue avoir directement été contacté par le colonel Ntouanga, lequel lui avait envoyé une lettre l’appelant fraternellement à l’aider à retrouver son fils disparu à son arrivée de Kinshasa au Beach de Brazzaville et qui serait maintenu captif dans les geôles de la garde républicaine.

Maître Nkouka, l’un des avocats des parties civiles, après une succincte plaidoirie, promet de confondre le général Dabira, lequel, d’une part, nie farouchement l’existence des prisons à la garde républicaine (GR), à la direction générale des renseignements militaires (DGRM), aux structures de la zone autonome de Brazzaville (ZAB) et l’esplanade Marie Bouanga, lieu situé au bord du fleuve Congo, dans l’ancien palais présidentiel, où étaient exécutés les réfugiés enlevés au Beach ou au port ATC de Brazzaville.

Ce brillant avocat précise l’existence d’un tribunal militaire installé à l’époque de cette période trouble dans les locaux de la garde républicaine. Après leur détention, les réfugiés étaient interrogés par M. Samuel Mbouassa, l’un des accusés de ce procès, puis sommairement exécutés. Il en appelle à une confrontation.

La séance suspendue à 16h42min, a repris après une dizaine de minutes.

L’accusé Guy Edouard Taty, à la tête des services d’actions spéciales de la police nationale (SASPN) nie son implication dans la disparition de deux personnes au Beach de Brazzaville. Répondant au nom de code « Azur », au moment des faits, ce commandant de la police affirme être en stage à l’école des enfants de troupes.

Apprenant l’affaire des Disparus de Beach par voie de presse, le général Blaise Adoua, patron de la garde républicaine, rejette en bloc tous les faits qui ont contribués à le faire comparaître devant les juges de cet auguste tribunal. Tout en réfutant l’existence des geôles dans les structures de la garde républicaine, il confirme avoir reçu certaines familles qui étaient à la recherche de leurs membres disparus au Beach. Parmi ces familles, affirme-t-il, on compte le colonel Touanga, lequel resta sans réponse quand il lui reprocha d’avoir laissé embarquer son fils par des militaires sous ses yeux. Monsieur Blaise Adoua ajoute qu’à l’exception de cinq militaires qui relevaient de son autorité pour la garde du bateau présidentiel au port de l’ATC, son unité n’a jamais envoyé des éléments aux lieux où accostaient des unités fluviales transportant des réfugiés en provenance de la R.D. Congo.

Après les déclarations de Blaise Adoua pour les mérites et l’efficacité des forces armées aux champs de bataille entre 1998 et 1999, ce dernier a reçu des acclamations et des applaudissements émanant de l’auditoire de la part de ses supporters présents dans la salle d’audience. Ceci ne fut pas du goût du président de la cour, Charles Emile Apès, lequel intima l’ordre de faire sortir ce fan club du prétoire.

Le second interrogatoire de Emmanuel Avouka, chef d’état major de la garde républicaine au moment des faits, est allé dans le même sens que celui de son supérieur hiérarchique.

L’audience a été suspendue à 19h23. Elle reprendra le 2 août 2005.

Keila Samuel,
Brazzaville, ce 1er août 2005