Claude-Ernest Ndalla - le patriarche, comme on l’appelle désormais - et Charles Madzou (paix à son âme !) se sont affrontés lors d’un procès mémorable. Retour sur un face-à-face gravé à jamais dans le disque dur de l’imaginaire congolais et des annales de la (primitive) télé congolaise.

Le 3 août 1986, à Brazzaville, devant la Cour révolutionnaire présidée par Charles Madzou, s’ouvre le procès des attentats aux explosifs au cinéma Star et à l’aéroport de Maya-Maya de 1982. Claude Ernest Ndalla-Graille, Jean-Pierre Thystère-Tchicaya, Jean-Gustave Bouissou, Blaise Nzalakanda, Daniel Biampandou, Gaspard Kivouna et Claude Kembissila sont accusés « d’adhésion à une secte ou groupement interdit, complot, complicité d’attentats, de tentatives d’attentats, d’assassinats, de destruction d’édifices et fabrication, acquisition, port, transport, cession et détention des matériels, armes et munitions de guerre ».

Un procès dostoïevskien

Dans Crime et châtiment, Dostoïevski a placé la barre très haut. En matière d’acuité d’analyse psychologique, on ne peut faire mieux. Ce qui fait vibrer le lecteur, ce sont surtout les trois entretiens entre le procureur et l’accusé, trois scènes d’anthologie de la littérature mondiale. L’un fait tout pour obtenir des aveux ; l’autre fait tout pour lui faire renoncer à son entreprise...

Imaginez donc Charles Madzou dans le rôle Porphyre et Ndalla Graille dans celui de Raskolnikov. Un face-à-face musclé. Extraits : « Monsieur Ndalla, pourquoi étiez-vous inquiété au moment des explosions ? » demande Charles Madzou d’un ton martial. "« Je n’étais pas inquiété, j’étais inquiet », répond Ndalla Graille du tac-au-tac. Le magistrat écarquille ses yeux, avant de poursuivre : « Monsieur Ndalla, vous dîtes vous étiez là au moment où le PCT a été fondé. Pourquoi en avez-vous été exclu ? » « Le mouton a vu naître Jésus Christ. A -t-il accès à l’église ?  », répond Ndalla Graille, imperturbable. « Monsieur Ndalla, vous vous plaignez de vos conditions en prison, une souffrance morale. Or vous êtes bien traités... » Réplique instantanée de l’accusé : « Quand je ne mange pas à heure fixe, c’est une souffrance morale pour moi » , etc.

Un village qui jamais ne meurt

Le procès avançant, Okotaka Ebalé ( paix à son âme) évoque un poème écrit par Ndalla Graille en prison, à Impfondo en 1978-1979, pour prouver ses activités terroristes. Ce poème, il s’agit d’ « Un village qui jamais ne meurt ». Et c’est Alexis Gabou qui le lit. Ndalla Graille, alors, d’un sourire narquois, rétorque que ce poème constitue une métaphore : ce village qui jamais ne meurt est en fait sa propre représentation. Tout au Congo se meurt, la culture, la politique, etc, mais lui, Ndalla Graille, demeure présent, même dos au mur. Et le patriarche d’ajouter que le titre du poème est une traduction d’un poème vietnamien paru en anglais, The village that would not dies ou A village which never dies. Et Dieu sait combien Ndalla Graille avait raison...

Trêve de plaisanterie ! Les attentats au cinéma Star et à Maya Maya étaient-ils l’œuvre des prévenus ? Nul ne le sait. L’un des protagonistes encore vivant de ce procès reste évasif sur le sujet. Et, quand on pose la question à Ndalla Graille, il parle plus de la forme que du fond. Après tout, sous tout le règne de Sassou, la simulation et la dissimulation sont légion.

Ce procès fut sans doute une grande mascarade, une insipide parodie ! Il n’en reste pas moins qu’il aurait dû inspirer les artistes congolais, un film, une pièce de théâtre ou un livre. Rien de tel. Le Congo, au contraire de Ndalla Graille, est un village qui meurt. Pas la moindre salle de cinéma à Brazzaville ni de bons livres. Gémissons ! Gémissons ! Gémissons !

Bedel Baouna