email

A quoi servent les francs-maçons congolais ?

A quoi servent les francs-maçons congolais ?

« Sorciers  ». « Fétichistes  ». Mystiques  »… Au Congo-Brazzaville, les francs-maçons sont l’objet de toutes les épithètes les plus malsonnantes. Les fantasmes sur eux abondent. Mais, en vérité, à quoi servent-ils au moment où le Congo est à l’aube d’une nouvelle page de son histoire ?

La scène se passe à Brazzaville sur la terrasse du Café-bar Le renouveau. Cinq hommes, tirés à quatre épingles, dévissent à bâtons rompus. Soudain, un portable résonne. Son propriétaire se lève et s’écarte du groupe. Sa voix est gutturale, rugissante. Tout le monde ou presque, jusqu’au rond-point de la Coupole, l’entend. Il raconte à son correspondant « qu’il ne faut pas jouer avec (lui) car (il) est franc-maçon…  » (sic) Et l’homme de sortir de sa poche son sautoir, allant d’un coin à l’autre du bar.

Une scène symptomatique des maladies très graves dont souffre le franc-maçon congolais : une cordonite aigue doublée d’un encéphalogramme plat. Qu’est-ce donc un franc-maçon ? Il est, sinon impossible, du moins difficile de définir le mot « franc-maçon’. Quoi qu’il en soit, le franc-maçon est « calqué sur l’anglais « free mason », un être libre, de vocation universaliste, aux objectifs ‘ordre éthique et humaniste œuvrant pour le progrès de l’humanité avec un idéal de fraternité et de solidarité ». Etre franc-maçon, c’est effectuer le voyage de la pesanteur à l’apesanteur… Se catapulter à la crête de l’application et de la concentration, sollicitant incessamment ses muscles intellectuelles, ne comptant que sur l’hypothalamus pour inhiber la douleur du voyage. Un spéléologue qui descend dans la grotte de son inconscient et subconscient pour y découvrir les trésors enfouis en lui. Une tâche difficile mais noble.

Il existe une franc-maçonnerie typiquement congolaise. Elle comporte deux tendances, la dogmatique et l’adogmatique. Cette dernière est aussi appelée libérale, progressiste. Hélas ! Dans l’impensée discursive du Congo, les deux tendances se confondent. Pis, la maçonnerie dite adogmatique est devenue encore plus conservatrice que la franc-maçonnerie dogmatique elle-même. Et, au moment où le Grand Maître du Grand Orient de France, Daniel Keller, le garant en France de la franc-maçonnerie libérale, se prépare à se déplacer en Afrique centrale, la voix de la franc-maçonnerie progressiste au Congo est inaudible, ou plutôt inexistante. Pour quelles raisons ? Deux éléments d’analyse semblent présider à cette atonie : le manque de liberté du franc-maçon congolais (excusez l’oxymoron) parce qu’il a trop d’accointances et le refus de transcendance, c’est-à-dire de se faire violence. "N’avez-vous pas entendu parler de ce fou qui allumait une lanterne en plein jour et se mettait à courir sur la place publique en criant sans cesse : je recherche Dieu ? (...), je vais vous le dire, nous l’avons tué... vous et moi. C’est nous qui sommes ses assassins." (Nietzsche). Ce que veut montrer Nietzsche avec la mort de Dieu, ce n’est pas la fin d’un Dieu révélé, "mais la fin d’une référence à la transcendance".

Quelle Obédience progressiste, au Congo, a pris la parole sur le changement ou la modification de la Constitution ? Sur le pillage systématique des deniers publics ? Sur le règne de l’ethnocentrisme ? Sur la défaite de l’école publique ?

Une parole perdue, humiliée

Le frère Sassou a pris le Congo en otage. Le navire est en train de couler, et le franc-maçon progressiste, lui, singe le musicien du Titanic, continuant de jouer à sa musique. Le franc-maçon congolais, c’est Néron jouant de la lyre alors que Rome brûle. A quoi sert-il réellement ? Très souvent, quand il prend la parole, c’est pour aussitôt la perdre. Ou l’humilier. Très souvent, il verse dans ce que la philosophe Simone Weil appelle dans son livre, La pesanteur et la grâce, «  les égarements des contraires  ». Non pas des pensées, des idées qui se complètent par le débat, mais des idées qui se juxtaposent, se détestent. Et donc, s’égarent. Que pensent le Grand Orient du Congo-Brazzaville et le Grand Orient et Loges associées de la modification de la Constitution ? Nul ne le sait. Or le projet funeste de Sassou est l’occasion pour le franc-maçon progressiste de se faire entendre. Mais sa bouche est cousue, une attitude mortifère. A quoi bon se revendiquer de la maçonnerie adogmatique ? Est-ce pour exhiber juste ses sautoirs et cordons ? En France, le GO s’apprête à donner son avis sur le projet d’électrification de Jean-Louis Borloo. C’est dire à quel point à la première Obédience française s’intéresse de très près à ce qui concerne l’Afrique quand les Africains eux-mêmes se terrent dans un silence vibrant. Et, «  quand le silence fait alliance avec la nuit, on découvre que la pureté du silence se décompose paradoxalement en une multitude de craquements légers ; ces craquements ne rompent pas le silence, mais le rendent au contraire plus silencieux”, constate Vladimir Jankélévitch dans “Quelque part dans l’inachevé”

Bedel Baouna

Laissez un commentaire
Les commentaires sont ouverts à tous. Ils font l'objet d'une modération après publication. Ils seront publiés dans leur intégralité ou supprimés s'ils sont jugés non conformes à la charte.

Recevez nos alertes

Recevez chaque matin dans votre boite mail, un condensé de l’actualité pour ne rien manquer.