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Affaire Mokoko : Eric Dupond Moretti a-t-il fait tomber la « maison justice Congo » du côté de la porte ?

C’est dans un véritable état de choc que Me Eric Dupont Moretti, avocat au barreau de Paris, a mis la Cour d’appel de Brazzaville voire la « Maison justice du Congo », sens dessus-dessous, à quelques jours de l’ouverture de sa session criminelle qui se tient du 29 mars au 20 avril 2018.

On pourrait même dire que ce choc aurait complément désaxé les membres de cette cour qui ont été obligés de modifier leur calendrier judiciaire, et renvoyé toutes les affaires d’atteinte à la sureté intérieure de l’Etat, après le 20 avril.

Ils ont remis tout ça aux calendes grecques alors que ces affaires concernent les détenus comme Jean-Marie Michel Mokoko, André Okombi Salissan, Paulin Makaya, Jacques Banagandzala, Jean Ngouabi, Ghys Fortuné Dombé-Bemba, Norbert Dabira, Jean Didier Elongo, Bernard Ovoulaka, etc. dont les Congolais attendent, depuis, leur libération.

D’ailleurs, certains observateurs pensent que la libération de ces prisonniers politiques ou d’opinion pourrait calmer la tension qui ne cesse de monter dans le pays, et aider à amorcer un dialogue entre le pouvoir et l’opposition.
Malheureusement, ce dernier ne l’entend pas de cette oreille. Néanmoins, les Congolais ont été surpris d’apprendre que seules les affaires de droit commun, 45 au total, sont retenues dans le premier rôle.

Le corbeau était déjà sur l’arbre

« Lelo, lelo, lelo ekomi lobi ! Lobi, lobi, lobi ekomi lobi kuna ! Match eza te, Ya pas match ! » chantent les Congolais qui se moquent de ce renvoi et qui croient déjà à leur victoire devant la justice de Sassou Nguesso.

Car, ils savent que ce n’est pas en gagnant le temps et en gardant longtemps les prisonniers politiques et d’opinion à la Maison d’arrêt ou à la Dgst que leurs dossiers vont devenir consistants, pour que Me Dupont Moretti revienne à Brazzaville.
Parce que c’est lui, Me Eric Dupont Moretti, qui devrait être la vedette et le maître du jeu pendant cette session.

Et, le « corbeau » parce que les avocats portent des robes noires et blanches, était déjà sur l’arbre c’est- à-dire à Brazzaville pour consulter les dossiers. Afin de préparer sa plaidoirie. En revanche ses confrères français qui devaient aller défendre leur client, le général Jean Marie Mokoko, par exemple, n’auraient pas obtenu leurs visas d’entrer au Congo.

Mais ni Jean Marc Mapingou le porte-parole de Jean Marie Michel Mokoko ni l’Association actions pour le Congo-Brazzaville avec Jean Marie Michel Mokoko (Acb-J3M), la cellule de France, ou la Fédération de l’Opposition congolaise Frocad-Idc et J3M. n’ont dénoncé dans les medias cette politique de deux poids deux mesures menée par les services des visas de l’ambassade du Congo, en France. Aussi, n’ont-ils pas informé l’opinion sur le report ou renvoi de l’Affaire Mokoko.

Les dossiers sont vides…

Le très célèbre avocat pénaliste français était contacté par l’Etat congolais pour faire partie du collectif de ses avocats.

Selon certains medias, Me Dupont Moretti qui se serait déjà rendu à Brazzaville pour préparer ses plaidoiries, se serait rétracté après avoir parcouru tous les dossiers. Il se serait tout simplement rendu compte que les dossiers Mokoko et consorts étaient complément vides, mal montés et que les réquisitions du procureur de la république, Oko Ngakala, seraient décousues. Ils ne pourraient pas permettre aux avocats de l’Etat de bâtir leur plaidoirie.
Me Moretti serait donc reparti à Paris sur un démarrage en trombe.

En effet, sollicité pour défendre l’état congolais dans l’Affaire Mokoko, le très célèbre pénaliste français s’était déjà fait remarquer dans le procès du colonel Marcel Ntsourou dans lequel il avait fait partie du collège de ses avocats.

Pourtant, Me Moretti était bien averti. Les Congolais de la diaspora, notamment Patrice Aimé Césaire Miakassissa et la Coordination du Collectif Sassoufit, l’avaient déjà prévenu dans leurs lettres ouvertes qu’ils lui avaient adressées.
Cependant, si le premier se scandalise sur sa défense de l’Etat congolais dans ce simulacre de procès : « C’est avec respect et interrogation que j’apprends votre présence au Congo-Brazzaville pour porter l’estocade à la crucifixion du Général Jean-Marie Michel Mokoko. Respect pour la profession d’avocat qui consiste à défendre toutes les causes. Et c’est là votre mérite. Mon interrogation, c’est mon incompréhension de votre présence dans un simulacre de procès dont on sait que l’État est juge et partie. Est-ce là une façon de vous singulariser vous qui jadis défendiez des personnes sans le sou, la veuve et l’orphelin ?  » Et voulait lui signifier qu’il va participer à travers ce procès « à la perpétuation d’une des plus grandes dictatures terrestres du XXIème siècle. Cette dictature qui affame ses enfants, viole ses femmes, tue ses hommes et bâillonne les libertés individuelles en assassinant le processus démocratique amorcé dans notre pays depuis 1991. ».

Le second, lui, veut faire tomber le mythe conçu sur la personnalité de Me Dupond-Moretti par le pouvoir. Une façon de le décourager. « Dans l’affaire du colonel Marcel Ntsourou, il n’était pas parvenu, au côté de ses confrères congolais, à faire triompher le droit et sauver la vie du colonel Ntsourou. »

Effectivement, plus d’un observateur de l’actualité politique congolaise pense que toutes les affaires d’atteinte à la sureté intérieure de l’Etat que le procureur de la république, Oko Ngakala, a confectionnées et mises sur la table de la cour d’appel de Brazzaville, ne seraient dans l’ensemble que montées de toutes pièces. Elles ne sont que des règlements de compte. Voilà pourquoi les Congolais mettent au défi la justice congolaise et lui demande de leur apporter des preuves tangibles sur les atteintes à la sureté intérieure de leurs leaders politiques.

La justice congolaise mise à l’épreuve

Mais, ce qui semble jeter le pavé dans la marre, c’est cette lettre de Jean Marie Michel Mokoko adressée au doyen des juges et dans laquelle il refuse de « donner caution à une parodie de justice ». La Justice congolaise est donc mise à l’épreuve.
Même dans le camp du pouvoir, cette lettre a provoqué deux réactions distinctes. Si la première encourage le doyen des juges et le pousse à aller jusqu’au bout de la procédure en lui donnant beaucoup de temps pour peaufiner ses dossiers, et en mettant à sa disposition des juristes proches du pouvoir et des « sages » du clan Sassou, la deuxième qui, elle, est prudente, veut calmer la tension qui ne cesse de monter dans le pays.

Elle envisagerait tout simplement d’annuler toutes les procédures de poursuites judicaires qui sont lancées contre certains leaders politiques congolais pour atteinte à la sureté intérieure de l’Etat.

Mais, cette opinion est encore très timide au sein de la majorité présidentielle et du clan de Denis Sassou Nguesso où la croyance aux spectres (empoisonnement et fausses accusations) a complètement exclu la confiance. La méfiance s’est vraiment installée dans le camp du pouvoir.

Et, les Congolais, pleins d’humour et qui ne manquent pas d’imagination ont trouvé de quoi se moquer de leurs dirigeants politiques. Ils dramatisent tout.
Même les petites disputes en famille et entre époux ou les scènes de la rue sont prises pour des atteintes à la sureté de l’Etat. Cette expression « atteinte à la sûreté de l’Etat » est devenue une blague de potache.

Mais, les Congolais sont plus moqueurs lorsqu’ils comparent le sort du révérend pasteur Ntumi et sa milice Nsiloulou qui ont fait la guerre et tué des civiles et des éléments de la Force publique, mais dont les poursuites judiciaires ont été complètement arrêtées à l’issue d’un accord de cessez-le feu signé par une commission paritaire, et celui de leurs leaders politiques qui n’ont commis comme crime que leur participation à l’élection présidentielle anticipée du 20 mars 2016, à l’issue de laquelle Denis Sassou Nguesso n’avait obtenu que 8% des suffrages exprimés.

Bafoua, bafoua, bassala, bassala ?

Devant tout ce décor lugubre qui n’honore pas le pouvoir de Brazzaville et la crise multidimensionnelle que connaît le pays, ajoutées à cela les conditions imposées par le Fmi avant de conclure un accord avec le gouvernement congolais, des voix se sont élevées au sein des partis politiques de l’opposition et dans la société civile ainsi que dans la communauté internationale pour demander l’organisation d’un dialogue national sous l’égide de la communauté internationale.

Pourtant, jusque-là, Denis Sassou Nguesso ne veut pas céder à cette pression et comprendre que seul le dialogue, le mbongui ou l’arbre à palabre pourra apporter la solution définitive à cette crise.

La crise qui avait eu lieu dans le département du Pool, ne l’a-t-il pas résolue à l’issue d’un dialogue au sein d’une commission paritaire ?

D’ailleurs, après que Me Dupont-Moretti ait claqué la porte, fait tomber la maison du côté de la porte, les Congolais ont des arguments pour dire que Jean-Marie Michel Mokoko, André Okombi Salissan, Paulin Makaya, Jacques Banagandzala, Jean Ngouabi, Ghys Fortuné Dombé-Bemba, Norbert Dabira, Jean Didier Elongo, Bernard Ovoulaka, etc. sont des prisonniers politiques et d’opinion, des « prisonniers personnels de Sassou » pour reprendre Rigobert Ossébi. Ils ne devaient donc plus cajoler le pouvoir de Brazzaville ou encore s’attendre à un dialogue avec lui. Ils doivent passer à une étape supérieure. « Bafoua, bafoua, bassala, bassala ? » pour dire advienne que pourra.

Serge Armand Zanzala, journaliste et écrivain

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