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Antoine Moundanda, ventriloque social

Assurément cet homme qui vient de nous quitter dans la nuit du 1er au 2 avril 2012, était un sociologue dans son genre. Pudeur ou choix méthodologique, Antoine Moundanda, dans ses sujets musicaux, n’a jamais chanté la femme au sens libidinal, voire misogyne, avec lequel nombre d’artistes ont considéré cette autre moitié de l’humanité.

Prenons ses titres les plus célèbres, Nzéla ya Ndolo, Mabélé ya Paulo, Nsangou za ya Kopa, Ambassi ngola, Lambretta… ; il n’y a fondé aucune problématique de la composition musicale sur le thème archi éculé de la femme magnifiée. Et pourtant, ce sont des chefs-d’oeuvre inoxydables qui contribuent (plus que le pétrole et le bois) à notre richesse nationale.

Pendant que Wendo et Bowane rivalisaient en substantifs élogieux pour magnifier Marie-Louise, Antoine Moundanda, sanza en mains, décrivait le système répressif de l’autorité coloniale. Nzéla ya Ndolo (tristement célèbre prison de Léopoldville sous l’administration belge) est un douloureux témoignage de ce qu’enduraient les colonisés. Moundanda s’emploie à y décrire le système carcéral franco-belge, violent à en mourir. La chanson fait un tabac. Le titre fait exploser le hit parade dans toute l’Afrique, jusqu’en Afrique australe, pays de l’apartheid. Comme quoi on peut toucher le coeur des mélomanes sans faire le culte de la femme.

Maloukou, pays Téké

On ne sait pas si la terrible scène narrée par Moundada dans le purgatoire de Ndolo est un témoignage personnel ou un cas d’ordre général. De toute façon, on comprend que l’arbitraire et l’abus de pouvoir symbolisaient le mode de fonctionnement de la justice occidentale au temps des colonies. Moundanda profite dans Nzela ya Ndolo, de décrire les rapports économiques qui se nouent autour de la pêche fluviale entre Mbamou et Maloukou. Au passage, il indique la composition ethnique de la contrée. Pour quiconque l’aurait ignoré : nous sommes en pays Batéké (Maloukou ézali mboka moko batéké). C’est ce que font les chercheurs en sciences sociales : ils décrivent les espaces et campent les peuples qui les occupent avant d’en analyser les rapports sociaux et matériels. Pour la petite histoire, l’île Mbamou dont la localité de Maloukou-Tréchot est une dépendance insulaire fut un effervescent lieu de passage et de brassage des Congolais des deux rives. De nos jours seuls des pêcheurs et des contrebandiers continuent de pratiquerMaloukou via l’ïle Mbamou. Quel historien n’envierait pas l’approche de Moundanda dans son écriture du chant ?

Esquisse d’une sociologie urbaine

Nzela ya Ndolo est une sociologie urbaine des deux villes les « plus rapprochées » de la planète : Brazzaville et Kinshasa. Poto-Poto, grande cité indigène est à mi-chemin entre ville et monde rural. Les Français avaient un système colonial qui négligeait l’urbanisation des quartiers dits indigènes. Cette discrimination n’échappa pas à Georges Balandier (Les Brazzavilles noires) ainsi qu’à Moundanda qui, dans une mythique comparaison, traita Kinshasa (très urbanisée) d’Anvers Noire (Poto Moyindo). C’est vrai que les Belges y mirent le paquet. En ce temps-là, les quartiers européens de Léopoldville n’avaient rien à envier à Bruxelles, métropole à laquelle Léopol II, Roi des Belges, dans sa vision impérialiste, donna une soeur jumelle sous les Tropiques. Bien entendu ce mode de re-production de la ville occidentale en Afrique ne doit pas apporter l’eau au moulin de ceux qui vantent les « aspects positifs de la colonisation » Si en amont, Moundanda fait l’éloge de l’architecture occidentale de Léopoldville, il met, en aval, un bémol, en jetant la lumière et sur la férocité des miliciens dans les rues de la métropole noire et sur le système carcéral colonial.

Requiem de Paul Kamba

« Mabélé ya Polo », requiem écrit à l’attention d’un ami musicien, accentue le clivage entre, d’une part, la thématique de l’amour dans laquelle se cantonnent des virtuoses comme Jimmy Guitare Hawaïenne, Guy Léon Fila, Kalé, l’inénarrable Franco et, d’autre part, la thématique existentielle développée par Moundanda depuis le début de sa carrière. Paul Kamba vient de décéder en 1951. Voilà qui sert de prétexte à son pote, Antoine Moundanda, de rappeler ce verset biblique : on est poussière, poussière on deviendra.

Comment se faire de l’argent ?

L’homme naît bon, la société le rend mauvais : Moundanda illustre cette assertion dans « Nsangou za ya Kopa ». Kopa est un escroc qui drible ses associés et se barre à Kinshasa avec les fonds récoltés dans une tontine (système d’épargne traditionnel). En amont de la problématique discutée dans la chanson, Moundanda se livre à un cours d’économie domestique sur le meilleur moyen de se faire de l’argent. « Pratique une tontine si tu veux te faire du blé » conseille un père à son fils. En aval, Moundanda montre que les conseils d’un père, aussi précieux soient-ils, peuvent s’avérer catastrophiques. En l’occurrence, Kopa, le chef de la « ristourne » feinte tout le monde. Autre message véhiculé dans Nsangou, c’est qu’il faut se méfier du système d’épargne traditionnel dit « kitémo ». Il peut comporter des fausses notes. Cela dit, on trouve également des banquiers escroc dans le système d’épargne occidental. Ce n’est pas Bernard Madoff, incroyable délinquant, qui dira le contraire.

La dichotomie père/fils revient dans «  Qu’est-ce que c’est ? Ca c’est quoi ça ? » Un fils, rentré d’Europe, devient amnésique quand on lui présente des plats de chez nous. Non sans ironie, le père rappelle à cet acculturé les vertus des aliments (bio) du terroir. « Imbécile, que serais-tu devenu sans cette nourriture qui, enfant, t’a rempli la panse ? »

Lambretta, la mort pressée

Moundanda a passé sa carrière musicale à prodiguer des conseils de bon sens (Femme, ne décape pas ta peau avec Asepso). Lambretta, une moto (ancêtre de la Vespa), est qualifiée de « mort pressée  ». Avant la lettre Moundanda parle de prévention routière. Les accidents de la circulation passent aujourd’hui pour l’une des causes majeures de mortalité dans le monde.

Itinéraire d’un octogénaire

Moundanda, octogénaire, a été témoin des mutations sociales dans des villes aussi cruelles que Kinshasa et Brazzaville depuis l’époque coloniale à nos jours. Il a été un secrétaire consciencieux de la société. ; ses chansons sont un véritable diagnostic de la vie urbaine. Que serait un artiste s’il n’était pas le ventriloque de la société. Avec Moundanda, on est à plusieurs octaves de ce que les artistes contemporains , avec leurs "mabanga" symbolisent comme flatterie.

Explosion

Après Nino Malapet, le clavier artistique congolais vient de jouer un dièse en Do mineur avec le couac du maître de la sanza. Même si on s’ y attendait (on le disait affaibli), le dernier soupir de Moundada a retenti, ce 2 avril 2012, comme l’explosion d’un obus dans le monde musical congolais.

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