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Chasse au pétrole du Congo

Lu pour vous in sudouest.com

Fort d’un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux condamnant Omar Bongo à lui restituer les sommes qu’il avait dû lui verser pour sortir de la prison de Libreville en 1996, René Cardona a réussi à faire pratiquer une saisie sur les comptes français du chef d’État gabonais. De quoi laisser rêveur Serge Berrebi.

Âgé de 59 ans et retiré sur la Côte d’Azur, cet ancien opérateur de l’industrie agroalimentaire remue ciel et terre depuis dix ans pour contraindre le Congo-Brazzaville à honorer la dette contractée à son égard. Il n’a jamais pu faire exécuter la décision de justice définitive dont il dispose [1].

Patrimoine inaccessible

En 2000, la cour d’appel d’Aix-enProvence a jugé que l’État africain devait lui payer 5 millions d’euros (intérêts compris) pour ne pas lui avoir adressé l’intégralité des règlements arrêtés dans le cadre d’un protocole d’accord signé en 1992. Présent au Congo depuis de nombreuses années, Serge Berrebi avait relancé une gigantesque ferme avicole. Il devait être associé au développement de ce complexe né quelques années plus tôt de l’imagination du « milliardaire rouge » Jean-Baptiste Doumeng. Au moment où l’exploitation se redressait, il avait été brutalement écarté, l’État congolais souhaitant reprendre la main.

18 propriétés, 110 comptes bancaires : l’importance du patrimoine que le président du Congo Denis Sassou-Nguesso et ses proches posséderaient en France n’offre pas la moindre opportunité à Serge Berrebi. Ces biens, répertoriés par la police judiciaire à l’issue de la plainte déposée par plusieurs associations pour détournement de fonds publics, appartiennent à des personnes privées. Uniquement titulaire d’une créance sur l’État congolais, Serge Berrebi ne peut donc pas les faire saisir.

Pactole du pétrole

Quatrième producteur d’hydrocarbures de l’Afrique subsaharienne, le Congo-Brazzaville dépend étroitement de l’or noir. Il couvre 75 % des recettes budgétaires et 90 % des exportations. La Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) commercialise directement une fraction des 250 000 barils extraits chaque jour, en grande partie par Total.

C’est la seule entité liée à l’État africain à apparaître épisodiquement dans l’Hexagone. En 2005, Serge Berrebi croyait toucher au but. Mais il n’avait réussi à saisir que quelques meubles et une malheureuse voiture au siège de l’antenne parisienne de la SNPC, dans le 8e arrondissement de la capitale. Les salariés travaillant sur place n’étaient semble-t-il pas déclarés à l’Urssaf. Sachant que l’argent du pétrole congolais transitait en partie par la France, il a surtout cherché à localiser les comptes de la SNPC.

À plusieurs reprises, des huissiers se sont présentés à la BNP, à la Natexis Banques Populaires et à la Générale. Chaque fois, la réponse fournie plus ou moins rapidement était la même. Plus d’argent sur le compte, compte débiteur, compte déjà saisi. Retors, le créancier n’en a pas cru un seul mot et a contesté systématiquement ces fins de non-recevoir devant les tribunaux. Bien lui en a pris.

La Société générale prise en faute

La cour d’appel de Paris a ainsi condamné la Natixis à lui verser 190 000 euros qu’elle avait dissimulés. Elle a surtout infligé 2 millions d’euros de dommages-intérêts à la Générale. Lors de la saisie, la banque avait tu l’existence d’un compte de la Société des pétroles congolais lesté de 8 millions de dollars. Reste que Serge Berrebi est loin d’avoir récupéré ce qui lui est dû.

Les revenus des hydrocarbures contribuent à irriguer certaines banques françaises toujours bien en cour à Brazzaville. Mais ils ne se hasardent plus trop dans l’Hexagone, où Denis Sassou-Nguesso était toujours reçu avec les honneurs lorsque Jacques Chirac était à l’Élysée. Le 18 novembre dernier, un huissier venu saisir la BNP Paribas, une banque restée très proche du régime congolais, a constaté que 24,30 $ seulement créditaient le compte de la SNPC.

Un négoce opaque

En 2004, l’ONG britannique Global Witness, qui traque la corruption internationale, avait mis en lumière de curieux montages juridiques articulés autour de sociétés dirigées par des amis ou des parents de Denis Sassou-Nguesso. Une partie de la manne pétrolière s’évaporait via des commissions prélevées par des sociétés écrans ou des structures propices à des ventes discrètes d’or noir. À plusieurs reprises, des cargaisons avaient été cédées en dessous du prix des marchés à des intermédiaires proches du pouvoir.

Ces révélations avaient suscité une violente offensive juridique des fonds « vautours », ces prédateurs qui rachètent sur les marchés financiers les crédits des États mal en point. En 2005, l’un d’entre eux, propriétaire de 100 millions de dollars de dette publique congolaise, avait même déposé plainte à New York contre la SNPC et la BNP en les accusant de participer à la dissimulation des revenus du pétrole.

Sous la menace, le Congo a finalement dû transiger. Mais les conseillers financiers du régime de Brazzaville ont apparemment réfléchi à de nouveaux montages rendant encore plus difficiles les saisies. Désormais, les opérateurs congolais n’apparaissent plus en première ligne.

« Le négoce du pétrole baigne dans l’opacité la plus totale. Il est quasiment impossible de tracer la circulation des fonds, déplore Serge Berrebi. J’ai découvert que l’une des sociétés qui vend l’or noir congolais est immatriculée dans le paradis fiscal des îles Vierges. Officiellement, elle dispose d’un bureau exécutif à Beyrouth au Liban, mais son véritable patron opère depuis Monaco, où le secret bancaire est total. »

Inaccessible pour Serge Berrebi, la galette pétrolière l’est tout autant pour l’immense majorité de la population de ce petit pays de 3 millions d’habitants. 70 % des Congolais survivent en dessous du seuil de pauvreté avec moins d’un euro par jour.

Auteur : dominique richard
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