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Complicités littéraires (1) : le Camerounais Eugène Ebodé a lu le premier roman du Congolais Wilfried N’sondé

Cette nouvelle rubrique reprendra la lecture faite par un écrivain d’un livre de sa consoeur ou de son confrère qui vient d’arriver dans l’espace littéraire. Qui mieux que notre ami Eugène Ebodé (photo) pouvait jouer alors les initiateurs, lui qui est amateur de la "transmission" ? Le Camerounais n’est plus à présenter, les intervenants du Blog le connaissent depuis : romancier revendiquant urbi et orbi la fameuse "légèreté" créatrice, dramaturge, conteur, ancien chroniqueur à France Inter dans l’émission Cosmopolitaines de Paula Jacques, il est aujourd’hui journaliste au Courrier de Genève et compte parmi les romanciers de premier plan que le continent a donnés ces dernières années. Ses trois derniers livres ( La Transmission, La Divine Colère et Silikani) ont été publiés chez Gallimard. Pour la petite histoire, je vous conseille de ne jamais demander à Ebodé sa position sur tel ou tel sujet de société. Il vous aura et vous repondra tout net : "-Quelle est ma position ? En tout cas pas celle du missionnaire !"...

Curieux, ouvert et généreux pour les nouvelles voix littéraires, il a lu et chroniqué le livre du jeune auteur congolais Wilfried N’sondé paru ce mois chez Actes sud sous la direction de Bernard Magnier - directeur de la serie Afriques (qui accueille entre autres Africains de renom l’Ivoirienne Véronique Tadjo, le Prix Nobel Wole Soyinka ou le grand auteur sud-africain André Brink). Laissons la parole à notre invité Ebodé :


Originaire du Congo, Wilfried N’sondé [photo plus bas], chanteur et compositeur de la scène berlinoise, aussi à l’aise dans l’exécution des rythmiques syncopées du rock-trash que dans les emballements sensuels de l’afro-punk, fait une remarquable entrée en littérature. Le cœur des enfants léopards est un premier roman dans lequel on retrouve les ambiances de la Francilie (région parisienne) où l’auteur a vécu. Sans crispation autobiographique, il décrit la descente aux enfers d’un jeune amoureux, inconscient, hagard et inconsolable, qui tue un policier.

Interrogé par Le capitaine, l’inculpé campe le portrait de Mireille, la femme-égérie qui l’a laissé choir. Juive, d’origine pied-noir, Mireille a été sa protectrice dès leur première rencontre à l’école primaire alors que le jeune garçon venait à peine de débarquer en France. Amoureuse experte, elle sera aussi un fétiche autrement plus bienveillant que ceux restés au pays natal et constamment vénérés par l’Ancêtre, le père du meurtrier. L’Ancêtre, héros de la guerre d’indépendance, revenu des utopies du Marxisme-léninisme, a choisi l’exil tout en continuant à croire aux pouvoirs invisibles roulant leurs écumes vengeresses dans le tumultueux et lointain du fleuve Congo.
Pourquoi avoir soudain rompu avec son jeune éphèbe qu’elle prétendait aimer ? Entre larmes et douleurs, Mireille s’écrie : « Retour en Israël, là-bas il y a une guerre à gagner, des peuples à sauver. »
Si cet aveu aurait mérité un développement, le narrateur peint un jeune homme dont le regard sur la banlieue, en tant que lieu du ban, est sobre et convaincant. Les destins semblent y être voués à l’impasse. Il en est ainsi des amis de l’accusé : Kamel, ancien petit caïd, finira dans les camps d’entraînement terroristes ; Ludovic et Drissa, compères d’infortune et de beuveries, promènent des silhouettes fragiles sur fond de désespoir annoncé.

W. N’Sondé

Dans une langue suave, féerique même, Nsondé sonde les reins et le cœur de ces banlieusards aux existences vacillant en permanence sur le bord du précipice. Mélodie en sous-sol et en poésie majeure, ce roman dit en filigrane que les racailles, désignées à la vindicte publique, n’ont ni besoin de karcher ni de compassion ridicule. Quel cri poussent-ils en allant trébuchant sur les écueils innombrables qu’ils rencontrent et cultivent ? L’auteur suggère qu’ils ont sur les lèvres cette phrase simple et terrible : « aimez-nous ou on fait un malheur. »

(Le cœur des enfants léopards, éd Actes Sud 2007- 136 pages)

Copyright Eugène Ebodé, avec son aimable autorisation.

Texte également paru dans Le Courrier de Genève ce jour.

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