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Complicités littéraires (3) : le romancier camerounais Eugène Ebodé a lu le dernier roman de la Suisso-gabonaise BESSORA

Bessora (photo), née d’un père gabonais et d’une mère suisse, a vécu à Bruxelles, à Genève et à Paris. Cosmopolite et éclectique, elle vient, ainsi qu’elle le dit elle-même, filant la métaphore matrimoniale, de donner naissance à son cinquième enfant, un roman offensif : Cueillez-moi jolis Messieurs. Amatrice de calembours parfois déconcertants, Bessora met en action un duo de femmes au bord de la crise de nerfs : Claire et Juliette.
La première, abandonnée par son mari volage, constate qu’il lui a laissé en guise de présent, un explosif à retardement sous la forme du virus du Sida. Elle ne veut pourtant pas se résigner à cette réalité, et multiplie inutilement les tests de détection du VIH. Elle refuse, davantage par dépit que par « bravitude », le protocole médical prescrit par son médecin. Quant à Juliette qu’elle héberge, une belle écrivaine un rien hypocondriaque et aux narines frémissantes, elle l’agace ! Juliette, revenue de Genève, séparée elle aussi du père de ses deux enfants, anime des ateliers d’écriture. Voulant s’établir à Paris, elle se heurte aux assistantes sociales et ne supporte plus ni la cohabitation avec Claire ni la fuite permanente des hommes qu’elle rencontre. Si on peine parfois à suivre les évolutions des deux personnages et les tensions qui les divisent, il y a, entre ces femmes de caractère, un refus de se soumettre.

A demi-mots, le lecteur comprend ce qui met leurs nerfs à rude épreuve : l’impasse sentimentale dans laquelle une société disloquée et hyper individualisée enferme les gens. Les hommes qui défilent autour des deux jeunes femmes, Luc, Jean-Guy, Léon, Moussa et Benoît sont transparents, paraissent incapables de susciter la moindre volupté ou d’exprimer la moindre volonté.
Cette tendance à l’indécision est frappante chez Olivier. Alors que la fleur Juliette attend impatiemment qu’il l’accueille et la cueille, le piètre laboureur se rétracte et implore un délai de réflexion.
Le champ urbain, désespérément stérile nous dit Bessora, est marqué par l’assèchement des désirs et par la tension permanente des rapports tant sociaux qu’individuels. « Courage, fuyons ? » Non ! L’auteure se tourne poétiquement vers l’avenir, et ne renonce pas à dessiner, dans les blancs et les mollesses de l’histoire contemporaine, une perspective plus acceptable. A l’un de ses personnages, elle conseille, laconique et ronsardienne : « Rose, cueillez votre jeunesse ! »

(Cueillez-moi jolis Messieurs, Bessora – Gallimard, Collection Continents Noirs – 2007 – 300 pages)

Copyright Eugène Ebodé, avec son aimable autorisation - Texte parallèlement paru ce jour au Courrier de Genève.

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