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Commémoration

Congo-Brazzaville : L’héritage de Paul Kaya (par Jean-Luc Malékat)

En ce 25 novembre 2019, Monsieur le Président PK comme nous l’appelions affectueusement, a tiré sa révérence. Il s’en est allé dans le repos de son être, le passage d’un monde à un autre, sur une autre rive.

Né le 10 octobre 1933, à Biyoki au Congo, Monsieur Paul KAYA a débuté sa scolarité à Pointe Noire, puis l’a poursuivie à Brazzaville au lycée catholique Chaminade dirigé en ces moment-là par la congrégation des Marianistes.

Avec quelques jeunes brillants élèves africains triés sur le volet, il fût envoyé en France poursuivre les études secondaires et universitaires.

Il choisit la filière scientifique et obtint son baccalauréat option mathématiques élémentaires au lycée du Puy, fût admis ensuite par concours en mathématiques supérieures et en mathématiques spéciales à Paris. Il affectionnait particulièrement les sciences physiques et d’ailleurs, son maître à l’époque était Yves Rocard, physicien, le père de la physique nucléaire française et père biologique de Michel Rocard.

On lui suggéra ensuite de s’orienter vers l’économétrie, nouvelle discipline en essor, afin de mieux se préparer aux nouveaux enjeux de développement dans les pays africains et malgaches dont les indépendances pointaient à l’horizon. C’est ce qu’il fit et il en récoltât les palmes académiques.

En tant que chrétien catholique engagé, il fut responsable de la JEC (Jeunesse Etudiante Catholique) et était souvent reçu en Bavière par le chancelier Konrad Adenauer, qui fut avec Maurice Schuman et Alcide de Gasperi, les pères fondateurs de l’Union Européenne, tous les trois membres de la Démocratie Chrétienne.
Parallèlement à ses études, il milita dans le syndicat étudiant en France et fût entre autres président de l’Association des étudiants congolais (AEC) qui venait de se créer en tant que section territoriale de la FEANF (Fédération des Etudiant d’Afrique Noire en France).

C’est au cours d’un pèlerinage à Rome qu’il rencontre Madame Simone Kaya dont l’oncle le général Sangoulé Lamizana sera Président de la Haute Volta (actuellement Burkina Faso). De cette union naitront quatre enfants : Pierre Emmanuel, Marie Claude (Kady), Véronique (l’écrivaine) et Bénédicte.

Sa seconde épouse Célestine est chirurgien-dentiste en Côte d’Ivoire.

Rentré en Afrique après ses études, il travailla au Cameroun à la fois à l’Union Africaine et malgache créé en 1961, puis fut commissaire au Plan en République du Congo.

Après la chute du Président Fulbert Youlou le 15 août 1963, il fut nommé ministre de l’Economie, du Plan et des Travaux Publics à 29 ans.

Avant de vous parler des périodes actives de Monsieur Paul KAYA au Congo tout en évoquant les contextes de l’époque, je voudrais vous dire que j’ai fait sa connaissance au dernier trimestre de 1992, grâce à son frère le pharmacien Adrien SANA. Cet « ainé » était connu de nous, leurs cadets quand je me trouvais au lycée catholique Chaminade de 1963 à 1965. Il me recevait très convivialement à Pointe Noire, chaque fois que je m’y trouvais.

Quand Adrien me présenta son frère, je fus aussitôt très marqué par le charisme, la générosité, l’humanisme, la culture de ce grand homme. Ce fut mon grand frère, mon ami et mon mentor dans tous les sens du terme. Comme l’a dit Bossuet, «  Rien ne peut égaler le charme de l’amitié quand elle attache l’une à l’autre des âmes nouées des mêmes vertus de la vérité et fidèles aux mêmes espérances  ».

J’ai adhéré avec beaucoup d’autres compatriotes au parti qu’il venait de créer en 1992, le Mouvement pour la Démocratie et la Solidarité, qui devint membre à part entière de la Démocratie Chrétienne au Congrès de Madrid le 15 novembre 1998. J’en reparlerai quand nous évoquerons l’héritage qu’il nous lègue.

Le début des années 1960, après la chute du Président Youlou

Le 15 août 1963, à la chute du Président Fulbert Youlou, un gouvernement provisoire de sept membres fut constitué dont Alphonse Massamba Débat était le chef, gouvernement constitué principalement de « techniciens », donnant des garantis de probité et de compétence. Ce furent principalement, Paul KAYA, ministre de l’Economie, du Plan et des Travaux Publics, Bernard Galiba, ministre de la Santé et des Affaires sociales, Edouard Babackas, ministre des Finances et du Budget et Pascal Lissouba, ministre de l’Agriculture et de l’Elevage.

Le gouvernement provisoire se fixa comme premier travail l’assainissement économique et financier du pays et c’est dans ce domaine qu’excella Mr Paul Kaya.

Laïcité

Deux tendances intellectuelles de socialisme vont cohabiter de 1963 à 1964 (socialisme de tendance chrétienne et socialisme de tendance laïque) jusqu’à ce qu’à ce que les structures du nouveau régime soient progressivement établies notamment au travers d’une nouvelle constitution optant pour la version laïque du socialisme en décidant l’instauration du Socialisme Scientifique au Congo.

En 1965, lorsque l’idéologie marxiste s’impose au Congo, l’église du Congo est considérée comme « l’opium du peuple » et certaines hautes personnalités bien ciblées sont recherchées, torturées et martyrisées :
  Des prêtres sont arrêtés, jetés en prison et torturés : ce sera le cas des Abbés Emile Biayenda et Louis Badila ;
  Des écoles confessionnelles dont Chaminade et autres établissements sociaux nationalisées ;
  Des mouvements d’apostolats et d’actions catholiques interdits ;
  Sainte Anne du Congo est proposée comme musée ;
  Les belles œuvres du sculpteur Benoît Konongo profanées.

La J.M.N.R. (Jeunesse du Mouvement National de la Révolution) et la Défense Civile se comportent en véritables seigneurs et règnent en maîtres absolus. La revue « Dipanda  » veillait. « Dipanda voit tout  » comme on disait à l’époque.

Assassinats

Des hauts fonctionnaires qui tiennent un discours plus ou moins critiques contre le pouvoir et dont beaucoup redoutent leurs compétences sont pris à partie :

Monsieur Joseph Pouabou, président de la Cour Suprême est assassiné, et l’on prétend que son corps aurait été mis dans un sac avec des cailloux et noyé dans le fleuve.
Monsieur Lazare Matsocota, procureur de la République, âgé de 33 (trente-trois) ans est torturé et assassiné.
Monsieur Anselme Massouémé ancien prêtre et directeur de l’Agence congolaise d’Information également tué.
Dans cette liste, figurait également les noms de Messieurs Paul Kaya et Gilbert Pongault, ancien dirigeant du syndicat chrétien CATC.
Sentant le danger qui les guettait, ils s’enfuirent du pays dans des conditions rocambolesques.

D’autres hautes personnalités que j’ai connues subirent également plusieurs vexations et tortures et beaucoup sont décédées et j’ai une pensée particulière pour le professeur et ministre Bernard Galiba, les syndicalistes Fulgence Biyaoula, François Gandou, Louis Loubassou et tant d’autres que je n’ai pas cités.

Les personnalités présentées ci-dessus avaient une caractéristique commune : c’étaient des chrétiens catholiques.

Le Conseil de l’Entente

Ayant échappé à la mort, c’est le Président Félix Houphouët Boigny qui lui tendit ses bras et la plus grande partie de sa vie (plus de trente ans) fut consacrée à participer au développement de ce pays et des autres pays d’Afrique de l’Ouest. Il fut ainsi nommé Secrétaire Général du Conseil de l’Entente.

Cette riche expérience ne pourra être décrite que par les bénéficiaires de ces pays.
« Nul n’est prophète chez lui  » en effet.

Les années 90

Nous avions tous souhaité, lors des préparatifs de la Conférence Nationale Souveraine, la présence de Monsieur Paul Kaya et nous le considérions comme le « Soglo » du Congo, en référence à ce qui se passait au Bénin. Il ne vint pas et c’est Monsieur André Milongo qui fut élu Premier Ministre et j’eus l’honneur de travailler avec lui.
Il se présenta par contre à l’élection présidentielle de 1992, mais les nouvelles générations ne le connaissaient pas. Sa campagne fut de loin la meilleure et nous nous préparions tous pour les élections de 1997, en ayant implanté le MDS dans tout le pays. Les élections n’eurent pas lieu, les belligérants ayant empêché au peuple congolais de voter en lui imposant une guerre civile.
Monsieur Paul Kaya fut dans la délégation de la médiation nationale, et la guerre civile se solda sur la victoire des milices de Monsieur Sassou Nguesso, aidées par l’armée angolaise sur les milices du Président Lissouba.
Lorsqu’il fut sollicité pour travailler avec Mr Sassou Nguesso dans le but de participer au développement du pays, je fus l’un des rares à lui demander de ne pas y aller en arguant qu’il était dommage que l’un des protagonistes fut battu par les armes et qu’il risquait de subir la «  loi des vainqueurs  ». Dommage que la concertation de Libreville ait capotée.
Très vite, il se rendit compte qu’il n’avait pas la possibilité d’imposer sa vision et il démissionna du gouvernement.

Les idéaux du M.D.S. et la vision de son Président, Monsieur Paul KAYA

Avec lui, nous travaillions beaucoup pour le parti. Il a beaucoup investi et consacré beaucoup d’énergie pour que les idéaux du MDS soient vulgarisés, le contexte local marqué par l’intolérance ne pouvant faire rayonner son parti.

Nous n’évoquerons brièvement que 7 points tout en sachant cela couvre un nombre infini de domaines :
  Le caractère prééminent de la dignité de la personne humaine ;
  La préoccupation de la dimension spirituelle de tout être humain ;
  L’économie devant être au service des hommes et la vision d’une économie sociale du marché ;
  Le principe de subsidiarité dans laquelle la responsabilité d’une action publique revient à l’entité compétente la plus proche (décentralisation, fédération etc…)
  La solidarité dans le sens de la redistribution des richesses (prélèvements obligatoires, protection sociale). D’ailleurs l’intitulé du M.D.S. est le mouvement pour la démocratie et la Solidarité ;
  La recherche de l’excellence en valorisant les talents donnés à tous ;
  La construction de la paix et la sécurité.

Hommages internationaux

Bien que Monsieur Paul KAYA n’ait pas souhaité de couronnes et de fleurs, nous avons observé, le jour de l’inhumation, les couronnes adressées par Madame et Monsieur Alassane Ouattara, Président de la Côte d’Ivoire, témoignage de remerciement de ce pays. De plus de nombreuses personnes venues des pays d’Afrique de l’Ouest nous ont évoqué ce qu’ils lui doivent jusqu’à maintenant.

Je peux le dire, son grand regret, c’est de ne pas avoir pu donner ce qu’il aurait pu rendre à son pays.

Paul Kaya est un grand africain et quel que soit le pays où il a exercé, il a beaucoup aimé l’Afrique et les africains.
La vie de Monsieur Paul Kaya nous pose une question importante en tant que congolais :
Pourquoi ne nous aimons nous pas ? Pourquoi sommes-nous jaloux, violents, haineux entre nous-mêmes ? Puisse cette mort nous aider à nous reposer des questions sur nos maux et retrouver les ressorts d’un renouveau.

Paul KAYA, le laïc engagé

Paul Kaya a beaucoup aidé les croyants de quelques religions qu’ils soient, au Congo comme ailleurs.
Des dons et offrandes diverses, de la tolérance.
Une dernière œuvre qu’il n’aura pu voir, c’est la construction de l’université catholique de Pointe Noire auquel il a contribué en tant qu’administrateur de ce projet.
Lors de la messe d’enterrement, j’ai été frappé par les nombreuses personnes venues de toutes contrées, les sens de l’amitié à travers cette famille qui l’accueillit, depuis ses études dans les années 50 au Puy jusqu’à sa mort, des Congolais de toutes régions et ethnies. L’homélie, basée sur le texte de l’évangéliste « Je suis le chemin, la vérité et la vie », texte que je retrouverai sur l’épitaphe de la tombe d’une célèbre psychanalyste dans le cimetière de Bourg La Reine. Comme un signe…

Reposez en paix, Monsieur le Président,

Jean Luc MALEKAT
Secrétaire National du M.D.S.
Ancien Ministre de l’Economie, des Finances et du Plan du Gouvernement de Transition du Congo

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