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Tribune libre

Construire des universités au Congo Brazzaville

Dans sa dernière adresse au parlement réuni en congrès, le président de la république a fait état, dans le volet éducation de son discours, du lancement à court terme des études de faisabilité des pôles universitaires départementales. J’avoue que je n’ai pas très bien compris, ce que veut, exactement, le chef de l’état congolais. Mais, j’ai été agréablement surpris par cette annonce, même-si, dans un pays où on est habitué à des déclarations sans lendemain, je reste assez septique.
Peut être que le chef de l’état, s’est enfin, rendu compte que notre pays avait pris un retard préoccupant dans ce domaine. En 48 ans d’indépendance nous ne comptons qu’une seule université avec un nombre de cursus limité. Depuis quelques années, des diplômes du 3ème cycle sont délivrés et les premiers ingénieurs issus de Marien Ngouabi arrivent sur le marché. C’est encore très largement insuffisant par rapport aux besoins nationaux, et bon nombre de ces formations ne répondent ni aux ambitions légitimes des étudiants ni aux profils recherchés par les entreprises. Conséquence, les meilleurs étudiants s’expatrient et les entreprises recrutantes, comme TOTAL E&P Congo, peinent à trouver des candidats. Elles sont contraintes de lancer des recrutements auprès des congolais installés à l’étranger, paradoxe choquant, dans un pays où le taux de chômage est parmi les plus élevés au monde.
Ne nous y trompons pas, l’enseignement supérieur n’est pas, simplement, une question de qualification ou de recrutement. C’est le développement même de notre pays qui serait remis en cause si nous y prenons garde. Comment, en effet, compte-t-on développer notre pays si nous n’avons pas la matière grise nécessaire ?

La capacité à créer de la richesse est plus importante que la richesse elle-même

En travaillant sur ce sujet, je suis tombé sur une interview du professeur Théophile Obenga, accordé au site interne Africatime.com. Pour monsieur Obenga, et il a raison, « Tout le monde se développe avec les richesses de l’Afrique, en l’occurrence l’Europe et l’Asie, tandis que les pays africains s’appauvrissent ».
Posséder une terre fertile n’a jamais suffi à enrichir qui que ce soit, encore faut il savoir la cultiver. Le savoir et les technologies qui permettent la mise en valeurs des richesses du continent sont entre des mains étrangères et ces richesses sont, généralement, transformées à l’extérieur, privant les pays africains de la valeur ajoutée et de la possibilité de créer des emplois en grand nombre et donc d’en faire la redistribution aux populations.
« La capacité à créer de la richesse est plus importante que la richesse elle-même », c’est le principal héritage qu’André Milongo aura laissé à la jeunesse congolais. Mais comment développer cette capacité, sans éducation à court terme et sans renforcement du système de formation universitaire et professionnel à moyen et à long termes ? Comment comptons-nous reprendre le contrôle de nos richesses, si nous ne maîtrisons pas les technologies qui permettent leur valorisation ?
Notre pays a un potentiel énorme qui ne demande qu’à être exploité. Sans cerveaux et sans personnel qualifié en grand nombre, nous serons toujours tributaire de l’extérieur et ne serons jamais maîtres de notre destin. Le Congo manque de cadres, d’ingénieurs, de techniciens et d’ouvriers qualifiés. Des moyens que nous mettrons dans leurs formations, dépendra le développement de notre pays.

Construire de nouvelles universités

Certains, seront peut être choqués, qu’au moment où l’enseignement primaire et secondaire d’une part, et l’unique université que compte notre pays d’autre part, se trouvent dans un état pitoyable, que j’ose parler de la construction de nouvelles universités.
Qu’il faille, effectivement, mettre de l’ordre dans un système qui n’a d’éducation nationale que le nom ne fait aucun doute. Mais en quoi cela, nous empêche-t-il de nourrir des ambitions pour notre enseignement supérieur ? Ce n’est pas parce que les ministres de l’enseignement primaire et secondaire ne font pas leur boulot que les autres ne devraient pas faire le leur. D’ailleurs, peu importe le nombre et la qualité des bacheliers qui sortent des écoles congolaises, ils remplissent les bancs des universités tant à l’intérieur, qu’à l’extérieur du pays, connaissent des fortunes diverses et formeront, tôt ou tard, l’élite de demain. Les étudiants congolais ne sont pas tous mauvais, ils sont nombreux a réussir dans les universités occidentales. C’est la preuve que l’on peut avoir fait des études secondaires moyennes et réussir tout de même un cursus universitaire. Je ne dis, cependant, pas ça pour encourager ce qui se fait actuellement dans notre pays. Mais s’il est vrai que l’un ne va pas sans l’autre, les problèmes et les besoins et par conséquent les solutions de l’enseignement primaire et secondaire ne sont pas les mêmes que ceux de l’enseignement supérieur.
Pour ce qui est de l’état de l’Université Marien Ngouabi, c’est le manque de moyen, dû au désengagement de fait de l’état congolais, qui en est la cause. Et la loi "responsabilité des universités" voté l’année dernière en France, visant à donner plus d’autonomie aux présidents d’universités peut être source d’inspiration. En effet, les universités françaises – sur lesquelles la notre est calquée - auront non seulement plus de libertés dans l’élaboration de leurs programmes, mais, comme les universités anglo-saxonnes, aussi la possibilité d’avoir recourt aux financements privés.
Des entreprises qui opèrent sur notre territoire pourraient être associées dans l’élaboration des programmes - ce qui permettrait d’avoir des diplômes plus adaptés au marché du travail - dans le choix des objectifs de l’enseignement supérieur et dans le financement des universités.
Il y a un problème de management et de financement de l’université MN dont il faudra trouver la réponse si on veut que celle-ci sorte de sa situation léthargique. Le gouvernement congolais a-t-il seulement une stratégie de développement du système universitaire ? On aimerait bien que le ministre concerné s’exprime sur cette question, surtout après l’intervention du boss de la république.
N’oublions-pas, enfin, qu’une université n’a pas que pour vocation la qualification de ses étudiants, mais également celui de la recherche et de la réflexion. Dans 50 ans, il n’y aura plus de pétrole, il est urgent de développer d’autres secteurs d’activités avec la manne pétrolière et de financer des travaux de recherche sur l’impact actuel et futur de cette activité sur notre environnement et sur les populations.
Pourquoi laisser ces travaux de recherche, uniquement, entre les mains des occidentaux ? Crierons-nous encore au complot lorsque nous allons nous rendre compte qu’un certains nombre d’information et de données scientifiques, pourtant relevés sur notre territoire, nous auront été cachées ? Il faut que notre pays bouge sur ces questions, c’est notre avenir qui est en jeu.

L’économie de la connaissance

Les entreprises du monde entier sont à la recherche de la matière grise. Il n’y a pas que la présence des matières premières ou l’abondance d’une main d’œuvre bon marché qui détermine le choix d’implantation d’une entreprise. L’Inde, en l’espace de quelques années, est devenue la première pépinière d’informaticien au monde avec des centaines de milliers d’ingénieurs formés par an. Ce pays attire les investissements des majors et les start-up de l’informatique. Un tel attrait n’aurait pas été possible sans la présence d’une matière grise de qualité.
Eads, géant européen de l’industrie aéronautique, va construire des usines en Tunisie pour faire face au surcout de production dû à la dépréciation du dollar face à l’euro. Là encore, le choix ce pays n’est pas anodin. Il abrite des écoles d’ingénieurs, parmi les premieres en Afrique. Eads s’y installe, parce qu’elle sait, qu’elle n’aura aucun mal à trouver du personnel qualifié et les cerveaux indispensable à son développement.
C’est dire que, la connaissance est devenue une vraie matière première et au moment où on nous reparle de la diversification de notre économie, il serait intéressant de s’y intéresser sérieusement. En effet, en dehors des cadres, dont on a cruellement besoin et que le développement des universités pourrait nous fournir, des capitaux, des investissements et des emplois pourraient y découler, si nous savons attirer les entreprises et les centres de recherches. Ayons une vraie ambition, une vraie vision ! Notre pays a ses Einstein qui n’attendent qu’à être découverts. A moins que nous nous croyions incapables de réaliser ce que les indiens et les chinois ont fait avant nous.

L’enseignement supérieur au service du développement de l’arrière pays

Ceux qui connaissent un peu la carte universitaire française savent que certaines villes de province ne seraient rien si, elles n’avaient pas leurs universités. Des universités de qualités dans une ville ou dans une région, ça veut dire des étudiants en provenance du monde entier, des enseignants et du personnel technique et administratif qui contribuent à la vie et à l’économie de la cité.
Le gouvernement congolais a lancé, il y a quelques années, les municipalisations accélérées. Sortes de célébrations de la fête nationale de manière tournante. La ville ou la région qui reçoit les festivités bénéficie d’investissements dans les infrastructures de base ce qui favorisent leur désenclavement.
La construction d’établissement universitaire peut être un excellent moyen de désenclaver et de développer certaines de nos villes.
Une université à Pointe-Noire, une autre dans le nord du pays ne seraient pas de trop. Les travaux peuvent être très rapidement lancés et les cursus choisie en fonction des besoins. Aujourd’hui, les nouvelles technologies de l’information sont dans toutes les bouches. Mais où sont les informaticiens congolais pour les développer ? Le ministre reçoit, soi-disant, des idées qui viennent des compatriotes qui sont à l’étranger. Pourquoi ne pas voir l’ambition de former des ingénieurs dans les métiers de l’informatique ? Surtout que si, nous mettons les moyens et si nous tissons de bonnes relations, nous pouvons attirer des entreprises du secteur ou même en favoriser la création par des Congolais.

Notre pays a besoin d’avoir de nouvelles universités. Il n’est plus possible d’avoir une seule université pour un pays qui va bientôt avoir une population de 4 millions d’âmes. Toutes proportions gardées, la région de Nancy-Metz a deux universités pour 500 000 habitants. Le Gabon voisin, avec moins d’habitants en a plusieurs et, est entrain de construire d’autres établissements. L’Angola, après plus de 2 décennies de guerre civile va, elle également, se lancer dans un vaste programme universitaire avec l’aide de Cuba. Il n’y a pas de raison que notre pays reste sur la touche.
Investir dans l’éducation en général et dans les universités en particulier, c’est investir sur l’avenir, espérant que les paroles du chef, du moins en ce qui nous concerne, ne seront pas des paroles en l’air.

Justin Osalikongo
[email protected]
Un congolais qui n’a pas eu d’autre choix que de poursuivre ses études à l’étranger.

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