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Sacrilège

Côte d’Ivoire - Le viol du caveau de l’Ivoirien D.J Arafat : une illustration de la théorie du complot

« C’est Yoro ! » hurlent les uns « C’est pas Yorobo les gars ! » s’hystérisent les autres profanateurs en palpant la dépouille de DJ Arafat qu’on vient officiellement et fraîchement de descendre dans sa tombe. La scène d’épouvante qui s’est déroulée au cimetière d’Abidjan ferait pâlir de peur le metteur en scène de Dracula en personne, manipulateur du plus terrible vampire des films d’horreur. Laissez les vivants déterrer les vivants ? Profanation de tombe.

Mais que diable s’est-il passé dans la tête des Chinois pour transgresser les frontières de l’au-delà ? Dans un univers où la mort est une hantise, qu’est ce qui a déclenché la macabre paranoïa qui s’est emparée des abidjanais ?

La réponse est dans la théorie du complot.
Lorsqu’une explication ne satisfait pas ceux auxquels on la donne, ceux-ci proposent leur propre explication. On entre dans le soupçon complotiste. C’est ce qui est arrivé sur les rives de la lagune Ebrié dès l’instant où l’autorité politique n’a pas fait autorité en matière de vérité historique.

L’une des faiblesses de la médecine légale, en s’inscrivant dans une méthodologie spécifique de l’anatomie disséquée, c’est de déterminer avec plus ou moins de succès les causes de la mort mais pas d’identifier un mort. En vertu de ça, identifier un cadavre n’est pas donné au premier venu même si ce dernier fait partie des premiers qui ont connu la personne de son vivant. Les risques de se tromper étant alors énormes, le complot, souvent, s’infiltre dans cette chance de faire fausse route quand on met en route le processus de reconnaissance d’un macchabée. A plus forte raison si le défunt a séjourné dans l’eau ou s’il est en état de décomposition avancée. Ou si simplement l’illustre disparu était équivoque de son vivant. Arafat fut un artiste très trouble.

Sosie

Saisis de ce doute clinique cartésien, pour les fans d’Arafat Yorobo, l’homme âgé de 33 ans, qui s’est fracassé le corps sur sa moto, sur un boulevard de la capitale ivoirienne, n’était pas leur idole qu’ils ont tant adulée comme Dieu. Rien ne prouve qu’Arafat est Arafat. Les fans, au bord de la tombe violée, ont eu le même doute. « Non ce n’est pas lui mais il lui ressemble ! » niaient les uns - « Si, c’est lui !  » affirmaient les autres. L’incertitude : c’est ce qui rend intéressant le complot. Si ce n’est pas Yoro, c’est qui alors ? C’est un sosie. Un comédien aurait joué le rôle de l’homme à la moto pour se jouer de son public avec la complicité d’un metteur en scène, en l’occurrence le gouvernement. Le scénario aurait été monté par une intelligence supérieure, en l’occurrence la classe dirigeante qui, bien entendu, est composée de pourris.

Magie

Il y a eu trop de scènes sur la scène du drame. Il y a eu trop de zones d’ombre sur la zone de l’accident et pendant le transfert de l’accidenté à l’hôpital où, selon les « Chinois », s’est fait le transfert de l’âme de l’un dans le corps de l’autre, ou l’inverse, c’est-à-dire une métempsycose. De toute façon, à en croire les ouvriers de la spéculation métaphysique, Arafat a été, de son vivant, signataire d’un pacte magique dont ses maîtres sont tenus de léguer la puissance à un autre artiste maintenant que lui le Yoro est mort. Voilà pourquoi (soit dit en passant) les Koffi, Roga-Roga, Bill Clinton et autres Faly Ipupa ont vite rué sur Abidjan pour escompter hériter (de) la force du trépassé ; un pouvoir qui, en toute logique, doit passer d’un dépositaire à un autre à la mort de ce dernier.

Pour les « Chinetoques », il n’y a pas l’ombre d’un doute : le corps de ce dernier a été subtilisé selon un plan bien élaboré. Prophète, dans l’un de ses derniers clips, le célèbre musicien avait annoncé qu’il allait imminemment (incessamment sous peu) mourir puis ressusciter. Mourir, c’est ce qui est arrivé. Ressusciter ? Comment ? Les fans se gardent d’expliquer ce casse-tête chinois aux relents bibliques. Pour eux, Yoro l’avait annoncé, donc Yoro allait le faire. L’une des dimensions de la théorie du complot c’est de se couper de l’empirisme. Moins c’est démontrable, plus c’est donné pour vrai.

Secte

On ne leur a pas dit la vérité. Donc, comme on ne leur a pas dit la vérité, les yorobistes disent leur vérité. Le gouvernement (notamment le fameux ministre Hamed Bakayoko) a planifié le décès de « Yorobo » dans le but secret de détourner l’attention du peuple ivoirien des prochaines échéances politiques très problématiques pour le pays. A cette mystification, soutiennent les Chinois, il faudra ajouter l’appartenance du mythique artiste dans les mêmes loges maçonniques que la plupart des membres du gouvernement.

Remords

Reste que le Yorobo, avant sa mort, saisi de remords (tant les pratiques des loges sont diaboliques) le Yorobo aurait eu l’outrecuidance de vouloir démissionner alors qu’il devait sa notoriété à la loge. Appelez-ça « trahison » ou « ingratitude », c’est selon. Il s’en est mordu les doigts car on devient disciple à vie. Les sanglots du ministre Bakayoko, accusé d’avoir organisé des obsèques bidon, ont davantage corroboré la thèse complotiste selon laquelle Arafat était l’un des leurs et non le chef des « Chinois ». On lui a fait payer sa trahison. D’où ce qui lui est arrivé et qui a fâché ses supporters, la jeunesse désœuvrée d’Adjamé, les gavroches de Kumasi, les bouts de bois de Dieu de Yopougon et autres faubourgs d’Abidjan. Les Chinois sont à Abidjan ce que les Shégués sont à Kinshasa ou les Bébés Noirs à Brazzaville : une cristallisation de la misère urbaine.

Le complotisme

«  La théorie du complot est une thèse selon laquelle les événements mondiaux sont planifiés par un groupe secret d’hommes dont le but est de dominer le monde. Cette théorie permet de désigner un coupable idéal sans preuve : juifs, francs-maçons... » lit-on sur la toile.

Marien Ngouabi

Le complotisme n’est pas exclusif à la Côte d’Ivoire. « La théorie du complot est mondiale. En somme, tout groupe détenant, réellement ou supposément, un quelconque pouvoir, est susceptible de se voir mythifié, de voir son influence fantasmée. » (Wikipédia)

Les gouvernements en font les frais. Selon les complotistes, le 11 septembre n’a jamais eu lieu, John Kennedy n’est jamais mort, l’homme n’a jamais marché sur la lune, Hitler serait encore en vie bien que devenu un vieillard plus que centenaire. Michael Jackson se reposerait en paix quelque part sur une île du Pacifique.

Pire ! Plus près de chez nous, la mythomanie complotiste a soutenu que les restes mortuaires de Marien Ngouabi ne seraient plus dans le mausolée brazzavillois de l’Etat-major. Le corps de M. Ngouabi reposerait dans sa Cuvette natale, peut-être à Oyo. La raison ? Sassou se servirait des ossements de l’ancien Président pour soutenir mystiquement son propre pouvoir.
Mieux ! Sassou ne serait pas Sassou. Il s’agit d’un sosie, un mannequin qu’on changerait tous les dix ans en se servant de mannequins cubains.
Encore mieux selon de les conspirationnistes : Sassou et Ntoumi sont de mèche, le second est une fabrication du premier.

Complétez, complotez, il en restera toujours quelque chose. On connaît la formule.
Bien que les Chinois soient allés jusqu’à la périphérie de l’outre-tombe, le dilemme est resté intact. Pour les uns c’est bien Arafat qui git dans sa tombe, pour les autres, c’est un clone et que, le gouvernement a, une fois de plus, berné son monde. Il a comploté.

Bref, les Ivoiriens ont, des milliers d’années après les Egyptiens, démontré que la mort est un grand complot organisé par Dieu et que l’homme ne pourra jamais l’éventer.

Thierry Oko

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