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A fleurets mouchetés

Débat : D’accord et pas d’accord avec Ludovic Kokolo !

Le Congo Brazzaville vit une crise multidimensionnelle qui a mis en rouge tous les indices de la vie nationale. De l’homme de la rue à l’officier général des Forces armées congolaises, en passant par l’enseignant à l’université ; de la vendeuse des cacahouètes au coin de la rue au directeur d’entreprise privée, en passant par le gérant d’un magasin au centre-ville… tout le monde se plaint et s’accorde pour dire que plus rien ne va dans le pays et que l’heure est grave !

Oui, l’heure est grave ! Et, il est normal que les Congolais vivant au pays ou à l’étranger réfléchissent sur la situation que traverse le Congo et proposent des solutions durables.

C’est dans ce sens qu’ont été organisés, en France, du vendredi 12 au samedi 13 janvier 2018, le colloque sur l’éthique, et les assises nationales du Congo, le 14 janvier 2018.

Mais à ces deux manifestations, on doit ajouter la lettre ouverte du Haut conseil des congolais de France et d’Europe au premier ministre congolais, Clément Mouamba.
Nous avons lu avec un grand intérêt les articles qui ont été publiés sur les deux premières rencontres, et la lettre du Haut conseil des congolais de France et d’Europe. D’ailleurs, c’est à cette dernière que nous voulons réagir parce que nous sommes à la fois d’accord et pas d’accord avec lui.

D’entrée de jeu, nous voulons nous excuser auprès du président du Haut conseil des congolais de France et d’Europe, Ludovic Kokolo, au cas où certains de nos propos paraitront durs à son égard. Par ailleurs, nous rassurons les lecteurs que nous ne connaissons pas l’homme. Nous réagissons tout simplement sur sa lettre et profitons de cette réaction pour apporter, nous aussi, notre pierre à l’édifice.

Nous avons dit d’accord et pas d’accord !

Nous craignons que cette lettre n’ouvre plus qu’un débat d’école ou d’idéologie qu’elle apporte des solutions concrètes et durables à la crise congolaise. Aussi, faut-il dire que la lecture des filigranes de cette lettre semble révéler un clin d’œil fait au premier ministre. Ce qui est pourtant normal pour un intellectuel qui veut travailler pour le développement de son pays.

Mais, la constitution d’une équipe stratégique, composée de juriste, avocat, stratège, communicant, technicien, politique, journaliste… qu’elle suggère nous paraisse comme une doublure du gouvernement ou du cabinet du premier ministre. D’ailleurs, le gouvernement a déjà nommé des cadres le représentant dans ses négociations avec le Fonds monétaire international. Nous préférons et conseillons au Haut conseil des congolais de France et d’Europe de garder le statut d’observateur.
Pourtant, nous aussi, nous voulons partir des intellectuels mieux encore des technocrates. Nous préférons le mot technocrate parce que nous voulons parler de ces hommes et de ces femmes qui font prévaloir dans leurs fonctions respectives, les aspects techniques. Car, pour sortir de la crise dans laquelle le politique a plongé le pays, il nous faut des technocrates. Vous avez donc raison de parler d’une équipe de juriste, avocat, stratège, communicant, technicien, journaliste. Cependant, nous excluons le politique de cette liste.

Car, le sous-développement du Congo trouve aussi ses racines dans la politique : mauvais choix des politiques ; définition erronée de la politique, mauvaise conception du pouvoir politique et délinquance politique des acteurs politiques qui pensent que lorsqu’ils gagnent une élection présidentielle, c’est tout leur clan, leur région ou toute leur famille qui a gagné. Des acteurs politiques qui pensent que lorsque l’on gagne une élection, on a tout gagné. Et, que celui qui a perdu une élection a tout perdu.

« L’ inculturation » des concepts

Le Congo et beaucoup de pays africains restent sous développés parce qu’ils se perdent dans des concepts qui ne cadrent pas avec les cultures de leurs peuples. Des concepts qu’ils ont importés, au nom de l’universalité de certaines valeurs, et auxquels ils n’ont rien ajouté de local. Je crains donc que ces nombreux concepts, pour ne prendre que ceux du « Management stratégique et d’intelligence économique » et du « Programme d’ajustement structurel » que le Haut conseil des congolais de France et d’Europe propose dans sa lettre, soit, eux aussi, voués à l’échec comme ceux que le Fmi avait déjà expérimentés avec ce même pouvoir et dans ce même pays. Parce qu’ils n’avaient pas subi l’ « inculturation ». L’ « inculturation » est le mot que l’église catholique utilise pour « désigner la manière d’adapter l’annonce de l’évangile dans une culture donnée ». Les concepts importés devaient donc subir une « inculturation ».

Réforme globale de l’Etat

Vous avez parlé de la réforme globale de l’Etat ? Oui, vous avez raison ! Nous avons toujours pensé que le plan bateau sur la séparation des pouvoirs telle que voulue par Montesquieu, philosophe français du 18ème siècle, a révélé ses limites avec le temps. Par exemple, certaines activités qui sont exclusives à certains pouvoirs sont menées par d’autres. Cela crée une grande confusion dans les pays où les valeurs démocratiques ne sont pas encore érigées en une culture. Aussi, signalons-nous que la dualité pouvoir et opposition telle qu’elle est vécue au Congo n’est pas productive. Elle pousse à croire que le pouvoir doit écraser l’opposition pour ne pas lui permettre de gagner une élection ; et l’opposition doit à tout prix saboter l’action du gouvernement pour le rendre impopulaire. Elle ne peut pas donc favoriser la création d’un Etat fort. Le Congo risque de n’avoir que des hommes forts ; mais ne sera jamais un Etat fort. Par Etat nous comprenons l’ensemble des pouvoirs publics. D’ailleurs, la crise congolaise émane effectivement de cette faiblesse de l’Etat. L’Etat a été très faible dans la gestion et dans le contrôle.

C’est ainsi dans cette nouvelle organisation que nous reprenons dans notre livre, « 50 cheveux sur une tête nue », un recueil de nouvelles sur le cinquantenaire de l’indépendance de la République du Congo, publié par la Fondation littéraire Fleur de Lys, Lévis, Québec, 2012, 266 pages, nous définissons le pouvoir à partir des rôles et des fonctions de la majorité qui gouverne, et de l’opposition qui contrôle l’action des gouvernants. Ce qui revient à dire que si la gestion du pays est dans les mains de la majorité, le contrôle de cette gestion doit revenir nécessairement à l’opposition. Confier les deux à la majorité ne peut qu’aboutir à un véritable chaos. Le cas du Congo Brazzaville suffit pour servir d’exemple. Les constitutions doivent être strictes sur ce point.

La place aux technocrates

Pour mettre fin au chaos enregistré dans tous les domaines de la vie et dans lequel Sassou Nguesso a plongé le Congo, il faut non seulement une nouvelle organisation des pouvoirs de l’Etat ; mais il faut aussi laisser la place aux technocrates.
C’est ainsi que, le pouvoir exécutif ne devra plus être composé seulement par le président de la république qui en est le chef, et le gouvernement qui est l’exécutif ; mais il devait s’étendre à la création d’autres institutions spécialisées qui sont des conseils et qui seront composés par des technocrates.

C’est ainsi que l’on devrait avoir le Conseil national de la décentralisation et de la gestion du pétrole et du bois. Composé des représentants élus par les conseillers départementaux, et d’un représentant de la présidence de la république, le Conseil national de la décentralisation et de la gestion du pétrole et du bois est l’institution de l’État qui organise les structures administratives, les pouvoirs et la gestion des départements, et manage d’une manière autonome toutes les questions liées au pétrole et au bois : exploitation, contrats, raffinage, transport, commercialisation et compte d’épargne à l’étranger ouvert à partir de la vente de ces deux principales matières premières. Cette organisation permettra aux Collectivités locales d’avoir une mainmise sur le pétrole et le bois et favorisera un développement de tout l’arrière du pays. Les recettes pétrolières et celles du bois ne devront plus être simplement utilisées pour payer les salaires des fonctionnaires qui, rappelons-le, ne sont pas une victoire politique que le chef de l’Exécutif vient célébrer devant le parlement réuni en congrès. Le payement des salaires des fonctionnaires, disons-le, est un simple devoir républicain. Les recettes pétrolières et celles du bois serviront avant tout au financement des projets de développement : infrastructures (routes, voies ferrées) et des installations territoriales (services, écoles, universités et hôpitaux).

Le Conseil national de la santé et de l’hygiène publique. Composé des techniciens et experts sur les questions de la santé et de l’hygiène publiques, élus au sein de cette même profession, le Conseil national de la santé et de l’hygiène publiques élabore et applique les actions et les prescriptions relatives à la protection de la santé des citoyens. Il manage le Fonds national de la santé (une sorte d’assurance maladie, obtenue à partir d’un impôt de solidarité payé par tous les citoyens qui exercent une activité lucrative), gère tout le personnel évoluant dans le domaine de la santé et de l’hygiène publiques, délivre les licences ou certificats qui permettent d’exercer une activité dans le domaine de la santé et de l’hygiène publiques.

Le Conseil national de l’éducation, de l’emploi et de la gestion des ressources humaines. Composé des représentants des associations des parents d’élèves et des enseignants, de tous les syndicats des travailleurs, des représentants des associations des opérateurs économiques élus au sein de cette couche sociale, le Conseil national de l’éducation, de l’emploi et de la gestion des ressources humaines élabore la politique de l’éducation nationale et de l’emploi. Il définit et programme la formation dispensée par rapport aux besoins de la nation et sert de service d’orientation pour les ressources humaines. Cette organisation permet de réunir au sein d’une même administration toutes les activités liées à l’éducation, l’emploi, la formation professionnelle, l’assurance chômage et toutes les formes de pensions.
Quant à la justice et la presse, elles ne devraient plus être mises sous tutelle des ministères qui, en réalité, ne font que réduire leurs forces et limiter leurs missions et leurs actions. Elles devraient s’organiser, elles-mêmes, au sein des institutions recommandées par la Constitution.

Serge Armand Zanzala, journaliste et écrivain

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