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Du bon usage d’une éventuelle entrée d’argent providentielle

Le temps est venu de parler. Dans la "Lettre du Continent" numéro 413 en date du 11/12/2002, nous venons de lire que des négociations entre la République du Congo et la Société Totalfinaelf se déroulent en ce moment à Paris, en attendant celles avec le partenaire E.N.I., relatives au contentieux opposant notre pays aux compagnies pétrolières, et que le Congo aurait réclamé la somme de 3 milliards de dollars, soit en équivalant CFA 1800 milliards de francs.

Nous pensons que cette somme providentielle est vraisemblable, pour des raisons que nous allons évoquer dans une première partie. Puis nous disons : il faut que tout le monde puisse s’exprimer sur l’usage de cette "cagnotte" providentielle, ce sera notre deuxième partie. Et en conclusion, nous donnerons notre opinion sur le bon usage de cette cagnotte.

Après le passage du système de concession à celui du partage de production, pour les champs pétroliers de l’avenant n°4 (Emeraude, Likouala, Yanga Sendji, Tchibouéla, Tchendo, Loango, Zatchi, Pointe Indienne) signé fin 1995, nous avons perdu beaucoup d’argent. Le principe de coopération entre les compagnies pétrolières d’un côté et l’Etat congolais de l’autre côté n’a pas été respecté.

Nous allons démontrer cela et prouver que nous devons le récupérer par une négociation ferme avec les compagnies pétrolières.

Sur le système du partage de production, tout d’abord, nous avons perdu de l’argent.

Soit le prix de vente par baril moyen, depuis 1996, de 16 dollars, et un cost oil de 7 dollars. Dans l’ancien régime de la concession, l’Etat aurait du percevoir : 17,15% du prix de vente, qui est une redevance moyenne pondérée ; en plus, l’Etat percevait l’impôt sur les sociétés, à 75% du prix, dont on retranchait le coût moyen sur la période et la redevance.

Depuis 1996, dans le nouveau système de partage de production relatif à cet avenant, la redevance est passée à 12% du prix, l’Etat reçoit en plus une provision pour investissement diversifié de 1% du prix, et l’impôt sur les sociétés à 50% du prix, retranché du cost oil ajouté à la redevance puis à la provision pour investissement diversifié.

La résolution de ces deux équations et l’application de la différence entre les deux systèmes constituerait le manque à gagner pour l’Etat.

Si l’on on obtient à travers notre hypothèse un manque de 1,90 dollar par baril, l’on peut supposer que pour les productions nettes de ces champs évaluées à 350 millions de barils, cela correspond à des pertes, sur la période de 1996 à 2002, de plus de 600 millions de dollars soit 360 milliards de francs CFA.

La cession au cours de l’année 1995 des parts de l’Etat dans les compagnies Elf Congo (25%) et Agip Recherche Congo (20%) se sont faites sur la base de 200 millions de dollars pour Elf Congo, soit 50 millions de dollars, et sur la base de 142,5 millions de dollars pour Agip, soit 28,5 millions de dollars. Nous pensons qu’il y a eu un véritable bradage des actifs, à travers un système de minoration de la valeur des compagnies Elf Congo et Agip Recherche Congo quand on a cédé la part de l’Etat, et là nous avons encore perdu de l’argent.

Il se pose, effectivement,le problème de l’évaluation fiscale des titres cédés. L’évaluation de la valeur vénale des titres se distingue selon qu’il ’agit de titres cotés ou pas. Dans le premier cas, le cours de la bourse le jour de la cession est réputé exprimer en principe leur valeur vénale. Mais ce n’est pas le cas des actions d’Elf Congo et d’Agip Recherche Congo.

Pour elles, l’on retient alors l’évaluation multicritères par le jeu de plusieurs paramètres tels que la situation présente de l’entreprise et ses perspectives d’avenir, la valeur mathématique reconstituant l’actif réel et le passif réel, la valeur de rendement, la marge brute d’autofinancement, etc, et non plus seulement l’assiette fictive de l’actif net. Or, le capital des deux sociétés s’est beaucoup valorisé : a-t-on pris en compte toutes les réserves existantes, a-t-on bien apprécié leur valorisation ? Cela a été au contraire minoré en 1995, et l’Etat a ensuite beaucoup perdu dans l’opération : il a perdu en informations, n’ayant plus accès aux informations sur la productio, la valeur des réserves, etc, et en dividendes : par exemple, Total Elf Production Congo a distribué, en l’an 2000, plus de 50 millions de dollars de bénéfices, soit une somme supérieure à la valeur totale de cession de notre part en 1995...

Nous estimons donc que nous avons à récupérer au moins 200 millions de dollars sur Elf et 140 millions de dollars sur Agip, soit 204 milliards de francs CFA.

Sur la production, nous avons perdu constamment de l’argent : nous ne maîtrisons pas la production et les cargaisons du terminal pétrolier : dans une interview à la télévision française, l’ancien président d’Elf, Loic Le Floch Prigent, a déclaré en souriant qu’il y avait des "cargaisons fantômes", et que "les compteurs étaient mal réglés" : prenons une hypothèse moyenne, sur 22ans, d’une production de 160.000 barils/jour, au prix moyen de 16 dollars. Si le taux de "déperdition" est de 1%, cela fait 200 millions de dollars supplémentaires à récupérer.

Sur la commercialisation du brut Djeno, nous avons également perdu beaucoup d’argent : la décote variable sur notre brut n’est pas le reflet de sa qualité. Il faudra faire une étude de marché précise, mais nous nous dire que nous avons à récupérer au moins une décote indue de 1 dollar/baril, sur la période de 22 ans, soit 1,2 milliard de dollars, 720 milliards de francs CFA.

Pour le projet de Nkossa, il est nécessaire de suivre les conclusions de l’audit. Le projet a coûté 2 milliards de dollars alors qu’il était initialement prévu pour 800 millions de dollars, d’où un surcoût très flou de 1,2 milliard de dollars. Dans le même ordre d’idée, il faudrait veiller à ce que ce surcoût ne soit pas récupéré.

Sur d’autres plus petites choses, nous avons perdu de l’argent : par exemple, sur la provision pour abandon de site, nous avons perdu au moins 40 millions de dollars, idem sur les amortissements réputés différés, les frais financiers non justifiés, etc.

Donc, quel est le montant total de ce manque à gagner ? Nous pensons qu’il ne peut être inférieur à 3,5 milliards de dollars, soit 2100 milliards de francs CFA. Cela représente une somme très importante, rapportée au budget de l’Etat par exemple : ainsi le budget de l’Etat en 2003 a été chiffré à plus de 800 milliards de francs CFA. Cette somme représente donc plus de deux années et demie de budget de l’Etat.

L’Etat a compris, sous les gouvernements successifs, qu’il s’était fait avoir. Mais jusqu’à aujourd’hui, il n’a pas pu récupérer ni négocier convenablement.

Aujourd’hui, on dit que le président de la République, conscient de son rôle de chef de la nation, veut redonner au pays les manques à gagner perdus depuis de nombreuses années, et que l’Etat est en train de négocier avec les compagnies pétrolières pour récupérer une partie de cela.

Et là, nous arrivons à notre deuxième partie : à qui doit aller cette somme providentielle ?

Dans le droit fil du débat démocratique, et de la nouvelle Constitution qui a été votée, en tant que citoyen responsable, nous proposons au gouvernement de lancer le débat démocratique à la population, qui a beaucoup souffert, sur ce qu’il convient de faire de cet argent qui va être récupéré.

Il y a plusieurs voies possibles. Nous lançons le débat. Nous donnerons à la fin la solution que nous, en tant que citoyen responsable, nous préconisons, tout en disant que ce sera à la majorité de décider.

Henri OKO
Copyright La Semaine Africaine

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