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Faiseurs de roi

RD CONGO - 23 juillet 2006 - par PHILIPPE PERDRIX
Certains candidats sont sûrs de ne pas être élus. Ils détiennent cependant une influence que ceux qui jouent la gagne à la présidentielle ne peuvent ignorer.

Trente-trois candidats pour un fauteuil, cela fait beaucoup ! Mais seule une poignée d’entre eux joue la gagne et se donne les moyens de mener campagne tambour battant dans l’ensemble du pays. D’autres, sur la réserve, comptent sur ces élections présidentielle et législatives du 30 juillet pour prendre date. Et puis, il y a, de loin les plus nombreux, ceux qui ne veulent pas quitter la scène malgré un poids électoral aussi lourd qu’une plume d’oie et qui entendent monnayer leur ralliement. Derrière les professions de foi censées séduire les 25,7 millions d’électeurs, les postulants se livrent, en coulisse, à un vaste marchandage. L’enracinement local et la popularité sont autant d’atouts que les uns et les autres cherchent à faire valoir pour continuer à jouir des prébendes du pouvoir.

L’un des plus courtisés est Antipas Mbusa Nyamwisi. Dans le Nord-Kivu, il est en mesure de faire le plein des voix. D’ethnie nande, l’une des communautés les plus influentes de l’est du pays, et ancien chef rebelle, l’actuel ministre de la Coopération régionale pèse lourd dans une région clé qui compte 31 % de l’électorat. Après une première tentative ratée en juin dernier, l’Alliance de la majorité présidentielle (AMP), qui soutient le chef de l’État Joseph Kabila, semble tenir le bon bout. La presse kinoise a annoncé, le 14 juillet, son désistement. Tout en démentant l’information, l’intéressé a stoppé sa campagne et reconnaît « qu’il n’est pas question de se lancer dans la précipitation sans savoir de quel côté se trouvent les intérêts supérieurs du peuple congolais ». Les états-majors de l’AMP se heurtent toutefois à une difficulté de taille. Un retrait en faveur de Kabila dès le premier tour n’est pas très judicieux. Les bulletins au nom de Mbusa ne pouvant pas être détruits, certaines voix iront inévitablement se perdre vers un candidat virtuel.

« Nous ne sommes plus à l’époque Mobutu, caractérisée par la duplicité des politiciens. Nous refusons d’acheter les voix et un accord électoral ne peut porter sur des postes ministériels », promet pour sa part Vital Kamerhe, le secrétaire général de la formation présidentielle, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD). « En cas de second tour, un rassemblement solide autour de l’AMP peut être en revanche envisagé », ajoute-t-il.

Du côté du PPRD, on ne cache pas non plus son intérêt pour Antoine Gizenga, le patriarche du Bandundu. Les appels du pied se font pressants, mais celui qui fut vice-Premier ministre de Patrice Lumumba en 1960 n’est pas facile à amadouer. Réputé incorruptible et toujours fort d’un réseau de militants disséminés sur l’ensemble du territoire malgré ses années d’exil à l’époque du régime Mobutu, le vieux Gizenga préfère jouer en solo. Du moins pour l’instant. « Nous ne sommes pas demandeurs et nous rejetons toute entente avant les élections », explique Sylvain Ngabu, le secrétaire permanent du Parti lumumbiste unifié (Palu). Eugène Diomi Ndongala, lui, détient l’une des clés du vote dans le Bas-Congo et peut faire monter les enchères. Ministre des Mines de 2003 à 2004, il a dû quitter le gouvernement de transition après avoir été accusé de corruption. Même si une réconciliation avec Kabila semble aujourd’hui difficile, en politique, tout est possible ! Pour les deux vice-présidents candidats, mais d’ores et déjà distancés au jeu des pronostics, l’heure est aux spéculations. Sans base électorale dans sa province du Maniema, Arthur Z’Ahidi Ngoma cherche avant tout à rester en piste. Cela exige nécessairement un arrangement avec une tête d’affiche. Par exemple, Kabila. Quant au président du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), Azarias Ruberwa, il entretient le flou sur ses intentions. « Je plaide pour une troisième voie entre Kabila et la famille mobutiste », lâche-t-il. Ruberwa multiplie les contacts, mais bien malin qui peut dire de quel côté il penchera dans les prochains jours.

Viennent ensuite les « 19 », ainsi dénommés pour avoir appelé ensemble au gel du processus électoral et dénoncé des tentatives de fraude. Aucun poids lourd parmi eux, mais quelques « candidats alimentaires », assez en tout cas pour que les journalistes congolais se demandent comment ils ont pu financer leur caution non remboursable de 50 000 dollars. Leur survie politique passe obligatoirement par des alliances. Ne pouvant exister uniquement par les urnes, ils tentent de s’imposer auprès des principaux leaders, soucieux d’avoir une majorité parlementaire pour gouverner. Dans ce groupe hétéroclite figurent quelques meneurs : originaire du Bandundu et ex-mobutiste, Gérard Kamanda wa Kamanda est l’actuel ministre de la Recherche scientifique et président du Front commun des nationalistes (FCN) ; Roger Lumbala du Kasaï occidental a rejoint l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila, puis le RCD durant les années de guerre. Aujourd’hui, président du RCD Nation, il est l’un des Kasaïens qui tentent de séduire les électeurs orphelins de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d’Étienne Tshisekedi, qui a appelé au boycottage.

Pour qui pencheront ces faiseurs de roi ? « Ces différents candidats sont nos alliés, et nous soutenons les revendications du groupe des 19 pour une réelle transparence du scrutin. Notre stratégie est celle d’une large coalition dans la perspective du second tour, car personne ne peut l’emporter dès le 30 juillet à moins qu’il y ait tricheries et tripatouillages. Tous ceux qui ont une sensibilité nationale peuvent se retrouver autour de Jean-Pierre Bemba », assure François Mwamba Tshishimbi, le secrétaire général du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), par ailleurs coordinateur du Regroupement des nationalistes congolais (Renaco). Pas sûr qu’il soit entendu. La force d’attraction de Joseph Kabila est loin d’être négligeable. Le vice-président Bemba peut cependant déjà compter sur le soutien de Jonas Mukamba et Christophe Mboso Nkodia, candidats et membres de la Renaco. « Pour l’instant, nous faisons campagne séparément, mais nous nous retrouverons au soir du premier tour », promet Mwamba. L’ex-patron de la Minière de Bakwanga (Miba) devrait apporter dans la corbeille les voix récoltées dans la région diamantifère dont il est originaire, le Kasaï oriental. Quant à l’ancien ministre mobutiste, il est chargé de collecter les suffrages dans le Bandundu.

L’autre terrain sur lequel se joue ce « mercato politique » a des lignes très fluctuantes. Il s’agit de la mouvance mobutiste totalement éclatée et divisée. « Il n’y a pas d’hérédité idéologique entre tous les candidats qui ont travaillé avec le maréchal », estime l’ancien patron des services de renseignements de Mobutu, André-Alain Atundu Liongo, porte-parole du candidat Pierre Pay-Pay, qui fut gouverneur de la Banque centrale du Zaïre, de 1985 à 1991. À défaut d’unité, chacun cherche à défendre au mieux ses intérêts. « Il est prématuré de parler de rassemblement avant le second tour, mais on a été abordé par bon nombre de candidats », assure Atundu Liongo, qui évoque une entente éventuelle avec le mystérieux cancérologue venu des États-Unis, Oscar Kashala. Inconnu, il y a encore quelques mois, ce Kasaïen est devenu un outsider dont la cote ne cesse de monter. Son dernier meeting à Kinshasa, le 15 juillet, a attiré plusieurs milliers de personnes. Son budget de campagne intrigue, sa montée en puissance inquiète le camp Kabila qui a tenté en vain de le compromettre il y a deux mois dans une sombre histoire de mercenaires.

Outre Pay-Pay, Catherine Nzuzi de l’ex-parti unique, le Mouvement populaire de la révolution (MPR), mise sur une éventuelle nostalgie d’une période « durant laquelle la stabilité et la dignité étaient assurées ». Pour l’heure, elle se refuse catégoriquement à donner ses voix à qui que ce soit. Non sans humour. « Je suis une vieille cocotte et je m’interdis de dire n’importe quoi », s’esclaffe-t-elle. Et d’ajouter : « Je me tournerai, le moment venu, vers les libéraux. » De quoi donner quelques espoirs à Jean-Pierre Bemba qui n’a eu de cesse de présenter son bilan en tant que vice-président en charge des affaires économiques : croissance retrouvée, inflation maîtrisée, multiplication par trois du budget de l’État et stabilité du taux de change. Des arguments qui ne semblent pas convaincre le fils Mobutu, engagé lui aussi dans la bataille. À défaut d’être parvenu à être le rassembleur au sein de son camp, François-Joseph Nzanga Mobutu s’échine à séduire au-delà de son fief de Gbadolite dans la province de l’Équateur. « Malgré leurs relations familiales, Bemba et Nzanga ne sont pas de grands amis », avoue un proche du leader de l’Union des mobutistes (Udemo). A contrario, entre les héritiers Kabila et Mobutu, il serait plus facile de s’allier.

Qui portera la couronne ? Pour beaucoup de ces faiseurs de roi, peu importe. Il s’agira surtout d’obtenir un siège qui soit le plus près possible du trône. Mais les électeurs-citoyens auront peut-être leur mot à dire.

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